La conjuration des Non-


Et avec tout ça, que devenait Aveline ?Rappelez-vous, elle m'avait enjointe de la retrouver sur le
quai du Paris-Bourges afin que nous nous enfuyons ensemble d'un quotidien en
béton armé. Disons pour être plus juste que, fatalement accablée par des
journées sans pause suivies de nuits sans sommeil où elle courait un 150
millilitres à la main d'une Pomme à une Prune, tout en soutenant un semi-maori
dépressif quand il venait à resurgir car tout ourlé de culpabilité eu égard à sa
situation de bigame non avoué (peut être en passe de virer à la trigamie, vu
qu'il avait pris une jeune berrichonne du coin sous son aile, soit disant pour
un échange de pratiques traditionnelles en sorcellerie), Aveline avait cru bien
faire en me proposant de fuir avec elle une réalité qu'elle supposait tout
aussi morose de mon côté.

Bref, je n'étais évidemment pas montée dans le Paris-Bourges,
ma situation étant infiniment plus paisible avec un A, un Zébulon qui faisait
ses nuits et un boulot certes peu grisant mais du moins très protégé. Je lui
avais donc suggéré, un peu plus tard, avec grande sagesse de remettre cette
escapade au printemps prochain (soit dans 7-8 mois) dans le cadre d'un petit
week-end sans euh j'allais dire « les mecs » mais je m'étais reprise
à temps, « sans les enfants », avec au programme tout ce qui ne
pouvait pas être fait avec des mouflets de moins de 18 ans, à savoir de longues
randonnées et de gros restaus plein de bibine terminés à pas d'heure, disons
celle où le têtard (heureusement absent) tête nocturnement.



–         
Autant dire le temps d'une grossesse, elle avait
soupiré au sujet du délai d'attente, d'ici là je serai morte ou de fatigue ou
de déprime ma pauvre Mimi…
–         
 Mais non,
je l'avais rassurée, ça va se tasser, et n'écoute pas trop non plus ta coach
qui j'ai l'impression, est surtout pour là pour t'enfoncer la tête sous l'eau… d'ailleurs,
un bon conseil, fous la à la porte !
–         
Très bonne idée, elle avait grincé, je te
suggère d'en faire de même avec ta non muse, sa sœur, sa fille, sa
cousine et je ne sais qui encore !

Tout ça sur fond de tire-lait, Aveline ayant été
culpabilisée par une ogresse reconvertie en sage-femme et qui considérait
qu'une mère qui ne nourrissait pas de son lait son mouflet même vendu en paire
de, jusqu'à l'âge de 6 mois, était une forme déviée de Madame
Vivagel et ses bébés au congélo.

Bon. Elle avait raison. De quel droit lui suggère-je d'un
ton faussement empathique mais finalement moralisateur de liquider sa coach
quand moi je me traînais la non muse et sa smala depuis plus d'une année
maintenant ?

Fatiguée comme une tricentenaire, ployant sous l'éclatant
soleil d'automne qui rendait encore plus inepte mon internement dans un bureau
8 heures par jour, j'ai donc regagné sagement mes pénates, non sans avoir fait
un détour par la gare de Lyon pour vérifier comme ça à tout hasard les horaires
du Paris-Bourges (19 H 32, heure à laquelle je serai en train de donner son bain
au Zébu, dommage me suis-je dit mi déçue mi rassurée).

Arrivée chez moi, j'ai trouvé la non muse en train de récupérer
les couvertures plastiques de manuscrits que je comptais toujours néanmoins en
dépit que, envoyer à quelques éditeurs demeurés encore ignorants de mon
existence. Tu comprends, elle m'a expliqué sans même rougir, comme tu n'en fais
rien, je les récupère pour que la fille de Cléa Culpa puisse recouvrir ses
cahiers… au prix où sont les protèges cahiers hein… J'allais protester quand le
téléphone a sonné.

–         
Allo… j'ai fait pensant que c'était ou Aveline
ou une erreur (personne n'appelle plus à c't'heure du coup de feu des familles)
–         
Mimi, c'est moi, Soledad ! Tu me
reconnais ?
–         
Soso ! Me suis-je écrié. Bien sûr que je te
reconnais !

Quelle drôle, et inquiétante, question.

–         
J'ai tellement changé… elle m'a fait d'un ton
oppressé. Je suis devenue si méconnaissable depuis… depuis que je suis  en couple !
–         
Mince je ne savais pas ! J'ai glapi dans
tout Montreuil. Tu as rencontré quelqu'un ?!
–         
Oui… elle a dit comme on expire. Oui…
–         
Qui est-ce ? Ai-je demandé, d'une voix
incertaine.

Comme si j'avais peur de la réponse. Aux dernières
nouvelles, Soledad était en proie à la non cupidone, et cette dernière n'avait
pas l'air de vouloir la lâcher de si tôt.

–         
Eh bien… Soledad a pris une inspiration. Je ne
suis pas vraiment en couple… disons que je vis avec… une personne… qui  fait en sorte de faire comme si je n'étais
plus… seule.
–         
Euh…  j'ai
bredouillé. Je ne suis pas sûre de bien te comprendre là…
–         
Eh bien… disons que lors de ma randonnée de
femmes seules-couples qui s'aiment- rogatons du célibat en Ecosse, j'ai
sympathisé avec une… coach… qui s'est ensuite installée chez moi pour que… pour
que je reprenne mes moyens.
–         
Euh… c'est-à-dire ?
–         
Eh bien… que je passe un cap… que je cesse de
vivre seule pour moi-même en ne pensant qu'à ça et à mon boulot… qu'en gros, je
reprenne goût à la vie à deux…
–         
Mais euh… tu m'excuseras Soledad… mais cette
femme, tu enfin tu vois avec ?

Mon dieu, j'étais rouge comme une pivoine, plantée dans mon
séjour, entendant qui plus est la clé tourner dans la porte, ce qui voulait
dire que A et Zébulon rentraient du square.

–         
Mimi enfin ! A protesté Soledad. Tu ne
comprends donc rien à rien ! Comme si j'en étais réduite à coucher avec
des cinquantenaires pour me faire oublier ma solitude !
–         
Te fâche pas Soledad, c'est pas un mal ! J'ai
véhément protesté. D'ailleurs, regarde Mitrand, ça ne l'a pas empêché de
devenir ministre… il est vrai que lui c'était plutôt avec des post-ados de 40
ans…
–         
Mimi, bon sang, est-ce que tu as des rapports
sexuels avec ta non muse hein ?
–         
Ben non, évidemment, ça n'a rien à voir…
–         
Est-ce que vous faites des parties fines avec
elle, sa frangine, sa sœur, sa cousine, bref, toute cette smala de parasites
que tu abrites chez toi qu'on se demande même bien pourquoi ?!

Pétard, c'était ma fête aujourd'hui.

–         
Mais enfin Soledad, non ! Et puis ça n'a
rien à voir !
–         
Si, ça a tout à voir ! chacun vit avec son
manque c'est bien connu ! L'amour c'est jamais qu'un manque qui rencontre
un besoin ! Toi ton manque c'est l'inspiration, donc tu vis à la colle
avec la non muse, moi c'est l'amour alors j'ai droit à la non cupidonne, ça me
semble clair non ?
–         
Oui mais dans ce cas, pourquoi dis-tu que tu es
devenue, je cite, « si méconnaissable depuis que tu vis en
couple » ?
–         
Façon de parler, a marmonné Soledad, disons que
c'est en général ce que l'on dit des gens qui ont trouvé chaussure à leur pied
et qui donc vivent en couple, de façon stable et réussie… qu'on ne les reconnait
plus… non ? C'est pas ça ?

Elle s'est enquise, d'un ton inquiet.

–         
Ben en fait, c'est un peu… comment dire… j'ai
cherché le mot juste… un peu caricatural… non ?
–         
Je ne fais pas crédible c'est ça ? A
demandé Soledad d'un ton anxieux.
–         
Qu'est-ce que tu me parles de crédibilité, j'ai
bredouillé, de plus en plus égarée.
–         
Je veux dire… Soledad a soupiré. J'essaye de
faire en sorte de pouvoir être à nouveau rencontrable… comme il est bien connu
que qui va seule ne rencontre jamais personne (ce qui veut dire,
fondamentalement, ne plait à personne), quand qui ne plait pas, rencontrant
quelqu'un, se met soudain à plaire tout le monde, je me suis dit que si
j'attrapais les stigmates de l'encouplée, alors je rencontrerais quelqu'un…
–         
Soledad, j'ai dit, ça fait beaucoup de « il
paraît » et « c'est bien connu », ça me semble comment dire…
relever un peu de recettes toutes faites à appliquer sur des situations par
définition jamais toutes faites…
–         
Mais c'est ELLE qui me l'a dit ! A lancé
dans un cri de désespoir Soledad.
–         
Qui elle ?
–         
Ma coach évidemment !
–         
Un conseil Soledad, j'ai dit en prenant la voix
qu'on réserve à celui ou à celle qui est assis sur le bord de la fenêtre et qui
menace de tout lâcher, ne te pose pas autant de questions, débarrasse toi de
cette coach… contente toi d'être euh… toi.
–         
C'est ça, merci du conseil ! A grogné la
Soledad. Je te donne le même, vire donc ta non muse et ses poufiasses ! Et
sois toi-même ! Même pas en mieux ! Juste toi et ça suffira bien
merci ! Ciao !

Sur ce, elle a raccroché, ce qui tombait bien car tout le
monde s'était mis en cercle autour de moi pour savoir de quoi il en retournait.
Sauf le Zébu qui était parti explorer la cuvette des toilettes restées
ouvertes.

–         
Tu ne vas quand même pas nous mettre à la porte
alors que les restos du cœur n'ont même pas encore lancé la saison
d'hiver ? M'a demandé d'une voix blanche la non muse.
–         
Sachant qu'après, la saison d'hier lancée, ce
serait franchement bessonien que de nous mettre dehors par un froid pareil… a
renchéri Cléa Culpa avec Morphéophobe qui opinait du chef.
–         
Le petit a fait 2 cacas aujourd'hui, il a
utilisé le pot mais sur la tête, il a mangé des légumes avec du riz, il a dormi
1 h 35 et soit disant dixit Nounou qu'ils auraient été  visiter le musée de l'histoire sociale de
Montreuil donc voici pour preuve le dépliant touristique, a récité A en me
tendant une plaquette remplie de drapeaux rouges.

Non, j'ai dit aux deux premières, et, c'est bien, au
dernier. Puis je suis partie extraire le Zébu de la cuvette et lui donner son
bain en me disant qu'il était fort désagréable d'essayer d'aider les copines
qui ne voulaient pas s'aider elles-mêmes et qui surtout vous
renvoyaient finalement la même baballe dans la figure.

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