Holy Mayreau 1



On va finir par croire que
Montreuil est la patrie des enfants adoptés… Après Holy Luc (voir texte du 17 septembre), voici la rencontre
avec Holy Mayreau.

Mayreau est un petit garçon de
bientôt deux ans, à la peau mat, aux yeux bridés et aux cheveux couleur corbeau
avec lequel Zébulon aime à jouer au square selon le grand principe d’imitation
(tu t’accroches à la barre, je m’accroche à la barre, tu jettes des cailloux,
je jette des cailloux…) et dont la mère, une (plus si) jeune femme  blonde aux yeux bleus et à l’allure juvénile,
façon Jane Birkin, nous avait d’abord laissé à penser que, vu la trombine du
moutard, son jules devait être d’origine asiatique.

Sauf qu’un jour on a vu le jules
en question, et il était aussi clair de peau et de cheveux que sa femme.



CQFD, on en avait finement déduit
que le petit Mayreau était un enfant adopté et comme sa mère n'en parlait
jamais, on ne faisait pas nos lourdaux, mais bien plutôt nos discrets. On
n'était pas franchement dévorés de curiosité mais on aurait bien aimé connaître
un peu plus leur histoire à tous les trois. En savoir un peu plus sur l'épopée de ce
mignon petit Mayreau atterri en terre montreuilloise dont la mère si blonde, habillée
chic sympa et tirant sur le début de quarantaine plutôt que la petite trentaine,
ne se mêlait pas plus que ça aux mères bobotes qui fréquentaient le square de
ce quartier à l'allure de village (un prof un intermittent, un prof un
intermittent, selon l'expression d'une de ces mères pour qualifier la
répartition socioprofessionnelle des foyers du coin).

Bref. Jeudi dernier, poussés par
le vent et la lumière si plaisante des débuts d'automne, on a dévalé la pente,
Zébulon et moi (enfin surtout moi, le Zébu étant dans son pousse pousse), jusqu'à
ce square, et on y a retrouvé Mayreau et sa mère. Tandis que les deux gosses
qui n'ont qu'un mois d'écart ont commencé leur rituel d'imitation (là c'était le
Zébu monté sur un pousseur heureusement délaissé par sa proprio, poursuivi par un
Mayreau qui poussait follement la poussette de poupée empruntée au Zébu), j'ai
vaguement commencé à converser avec la blonde mère du petit pruneau.

Un peu laborieusement, je dois
dire. Des histoires de jean tombant sur les fesses de Mayreau à la taille trop
fine, de toboggan trop pentu, de magasin de fringues d'occase pour moutards, de
météo du week-end, bref, rien que des mots pour passer le temps qui parfois se
traîne quand on fait son planton de mère au square tandis que le moutard
s'amuse, à moins qu'il ne soit occupé à déclencher une mini guerre ethnique à
propos d'un tricycle ou d'un pousseur emprunté et réclamé par le propriétaire
légal (auquel cas le planton de mère doit faire son flic).

Mais voilà que tout à coup, à ma banale
question lui demandant où elle habitait, elle m'a répondu, on a acheté un
terrain à bâtir rue Molière, on va construire une maison en bois, il faut qu'on
s'agrandisse car on vient d'obtenir l'agrément pour adopter un second enfant.
Et là, ma discrétion habituelle à ce sujet s'est faite soudain eh bien discrète…
je tenais là l'occasion d'en savoir plus, et j'ai donc embrayé sur une série de
questions concernant l'adoption de Mayreau.  

Cela a commencé par l'obtention de
l'agrément, avec des rendez-vous mensuels réguliers, en tout neuf mois de
temps (bonjour le symbole). Et ainsi, entre
le moment où ils ont déposé cette première demande d'agrément et cet autre où
ils ont appris qu'ils allaient être enfin parents, deux ans et demi allaient s'écouler.
Je me souviens, sourit la mère de Mayreau, ce jour là, c'est mon mari qui m'a
appelée  au bureau, il m'a dit, assied
toi, je suis déjà assise, alors reste assise… tu vas être maman !!! ça m'a
fait bizarre, j'étais un peu… choquée. D'habitude, c'est la femme qui annonce
ça à son mari !

Ils sont ensuite partis chercher
leur futur fils au Vietnam. Mayreau avait à cette époque 5 mois et il vivait dans
un orphelinat. Il avait été découvert, abandonné dans la rue à l'âge de 6 jours,
par l'homme dont il porte en second le prénom. Là ma mémoire calanche, un truc
comme « douch » mais je n'en suis pas sûre, surtout que c'est le nom
du khmer rouge actuellement jugé à Phnom Penh en tant que responsable du centre
de torture de Tuol Seng situé dans cette même ville, alors j'aime autant pas
imaginer que ce petit garçon si croquignolet porte un tel prénom. Le futur
Mayreau a donc été placé dans l'orphelinat où ils allaient venir le chercher, et pas mal balloté jusqu'à son adoption puisque
le règlement voulait que ce ne soit jamais la même personne qui s'occupe des
petits orphelins pour éviter qu'ils ne s'attachent à cette dernière (tout un
programme).

On avait dû lui dire qu'on allait
être ses futurs parents, se souvient sa mère, parce que sur une photo prise de
lui, on le voit tenir une photo de nous dans ses mains, et puis, quand on l'a
vu, ça a été tout de suite très fort, il m'a serrée, serrée dans ses bras… Quelque
chose d'incroyable. On avait une telle envie de pleurer… mais il ne fallait surtout
pas pleurer devant lui, les choses étaient déjà assez difficiles pour lui,
comme pour nous. On est restés encore quelques jours, le temps que le Tribunal
rende son jugement comme quoi nous pouvions être ses parents. Mayreau était
affamé, il voulait tout le temps manger. A l'orphelinat, à 5 mois, il n'avait
droit à 90 millilitres de lait toutes les 6 heures (soit le régime d'un
nouveau-né pas fort goinfre quoi). En attendant que le jugement ait lieu, je
lui donnais des énormes biberons et il buvait tout, tout jusqu'à la dernière
goutte… Enfin, on a eu droit de rentrer en France avec notre fils, Mayreau.

Et alors que les deux garçons se
sont maintenant réfugiés sous le toboggan en pente, sur une idée du Zébu qui
adore en ce moment se glisser en dessous, se tasser contre la tôle, le nez
presqu'au sol et jouer avec la terre au risque de dévaler jusqu'en bas, je
m'écrie alors emballée par l'émotion du récit, ah et puis c'est bien, vous lui
avez laissé son prénom vietnamien !

Sauf que non, Mayreau n'est pas
du tout vietnamien. Son origine est pour le moins poétique, et symbolique.
Mayreau est la plus petite des îles des Grenadines, situées dans les Caraïbes,
une île de 4 km2, sur laquelle le couple a fait escale alors
qu'ils faisaient une croisière en catamaran, et sur laquelle également ils ont
pris la décision d'adopter un enfant et de lui donner pour prénom Mayreau,
qu'il soit une fille ou en garçon, en souvenir de cette décision orise ne ce lieu et qui fut, on
s'en doute, tout à la fois lourde d'espoir, ils arriveraient à être parents
coûte que copute, et de douleur, celle de devoir faire le deuil de n'avoir
jamais un enfant biologique ensemble.

La mère de Mayreau devait avoir
dans les 41 ans à cette époque, j'ignore l'âge de son mari, et si elle a tenté
les méthodes de procréation artificielle. J'imagine en tout cas combien a dû
être, et doit être encore pesant ce fardeau pour elle, comme pour tous ceux qui
n'arrivent pas à avoir d'enfant, quand tout dans la vie, de notre enfance à
notre maturité, ne cesse de nous y renvoyer. Petites filles berçant leurs
poupées, amoureux bien trop jeunes cherchant déjà les prénoms de leurs futurs
enfants, fêtes de famille, de Noël en passant par les baptêmes et les
anniversaires des neveux, nièces, sans oublier les présentations du moutard aux
collègues, célibataires ou appariés, féconds ou stériles, rassemblés autour
d'un verre et d'un hochet… Un pur enfer. 

Beaucoup de parents rencontrés au
cours des réunions de l'association Enfance
et Avenir
, par qui ils ont adopté Mayreau, cherchaient à adopter un enfant
de type européen, qui leur ressemble donc, comme s'ils ne pouvaient s'empêcher
malgré eux de faire comme si cet enfant venait d'eux. Des petits blonds aux
yeux bleus de Russie, de Roumanie, ils cherchaient, se remémore la mère de Mayreau, ce
qui nous a hallucinés parce que nous, on voulait surtout un enfant qui ne nous
ressemble pas. Ca aurait pu être l'Ethiopie ou Madagascar, ça a été finalement
le Vietnam…

Mayreau a donc débarqué en France
il y a maintenant plus de deux ans, mais ses parents n'ont pas réussi à obtenir
pour le moment qu'il ait la nationalité française ni même qu'il porte leur nom.
Il s'appelle donc toujours Nguyen, une énième pierre dans le paradis de la
maternité et paternité de ces parents adoptifs.

Les premiers mois ont été très durs,
à croire que c'est un éternel classique chez les petits adoptés, des
cauchemars, des cris, même dans son sommeil, et une obsession pour la bouffe
qui l'a conduit à accepter de faire ses nuits sans manger que depuis cet été
seulement. Soit à 20 mois bien sonnés. Ne culpabilisez pas, a dit le pédiatre,
c'est normal, vous arrivez après un abandon et cinq mois d'institution qui,
quand bien même bien traitante, ne lui a pas donné beaucoup d'amour et
d'attention…

Maintenant, la mère de Mayreau a
repris son travail, à temps partiel et à reculons, mais c'était devenu nécessaire
car l'ambiance à la maison ressemblait à celle d'une cocotte minute, tant le
gosse avait viré gâté. Maintenant, il est gardé deux jours par semaine par la
voisine et tout se passe très bien chez elle, quand chez lui c'est encore le
bras de fer pour beaucoup choses. Et là, nous nous retrouvons à parler de ces
deux moutards qui pour le coup deviennent parfaitement identiques, le
biologique comme l'adopté… mêmes scènes pour manger, mêmes scènes pour aller se
coucher, mêmes scènes pour garder le camion benne piqué au voisin, et aussi, ce
soudain besoin d'affection qu'ils semblent avoir découvert en partant de chez
eux pour passer la journée avec une inconnue. Après des mois de bons et loyaux
services, les bons esclaves ont enfin droit à leurs bisoux baveux…

On s'arrête de causer et on
regarde les deux gamins blottis sous le toboggan et jouant avec la terre, les
bouts de bois, les cailloux. Chacune s'est enfermée dans ses pensées. Moi je
pense au chemin étourdissant parcouru par ce petit Mayreau, de Hanoï à
Montreuil, en passant par les Caraïbes puisque l'idée de sa venue est née là
bas… Je pense aussi à sa vraie mère, et je me demande si elle a vécu les six
premiers jours de son fils avec lui avant de l'abandonner. Je me demande aussi
si Mayreau parviendra, plus tard, à l'adolescence notamment, à échapper à cette
obsession que connaissent tant les enfants adoptés, qui est de partir à la
recherche de leur mère. Je pense aussi au roman autobiographique de cette Américaine
qui, elle, n'a jamais cherché à retrouver ses parents mais qui les a vus pour son malheur
réapparaître à l'âge adulte et la revendiquer comme leur fille naturelle et
abandonnée. Cette honte qu'elle a ressentie en rencontrant ce couple de parents
aux antipodes de tous ses rêves et fantasmes…

Je récupère mon Zébu sous le
toboggan, couvert de terre, sale comme un peigne, et j'ai droit aux grands cris
sur le ton du On m'assassine ! et à quelques bons coups de pied. Rouge de
colère dans sa poussette, il finit par se calmer en se vengeant sur son biberon
d'eau. La mère de Mayreau rigole, ah oui j'ai droit aussi à ça, ils
font vraiment les mêmes choses… Et disant cela, elle a cet air content, et
rassuré, qu'ont toutes les mères lorsqu'elles voient un moutard de l'âge du
leur se comporter tout aussi péniblement.

Et je repars avec mon Zébu tout crotté
qui pour sa part demeurera encore bien longtemps dans la bienheureuse ignorance
de qui est venu quand comment et par où.

One comment on “Holy Mayreau

  1. Reply EcoBusinessAngel Juil 8,2011 21:21

    Beau récit, belles aventures, beaux bébés, belles dames, tout en émotions retenues… La Vie est là, l\’amour aussi. Longue vie donc à Zebu, et à Mayreau Nguyen, épousant son autre nom, que je connais, mais que je ne peux dire qu\’aux papillons qui passent…
    Il en a, et en aura, des amis, ce petit (Nu)Mayreau ! Un sacré Pirate … des Caraïbes ?

Leave a Reply