Marie Chotek reçoit le Nobel de Littérature (Partie I)


L'Académie
suédoise de littérature a décidé en cette année 2039 de remettre à un outsider,
Marie Chotek, son célèbre Prix Nobel de Littérature, qui prime ainsi l'ensemble
d'une œuvre « traversée par un grand souffle idéal » du vivant d'un
auteur (mais peut-être il y a-t-il eu après tout quelques macchabés primés
post-mortem). Marie
Chotek, donc, un auteur peu connu du grand public, certes, mais un auteur tout
de même.

Après tout le prix Nobel de la paix étant remis à peu près à n'importe
qui, pourquoi n'en serait-il pas de même pour le Nobel de littérature ? On
garde en effet en mémoire l'attribution en 2009 du prix Nobel de la Paix à Barack
Obama, dont on ne contestera pas les indéniables qualités d'ouverture, mais
qui, en ces époques, n'avait pas encore franchement œuvré pour une paix dans le
monde dont l'épicentre de départ se situait au Proche-Orient où, le moins que
l'on puisse dire, c'est que d'action du super Président, il n'y en avait pas.
 
On
avait plutôt voulu voir dans l'attribution de ce prix, un encouragement porté à
un homme de bonne volonté (et il en fallait de la volonté pour pacifier le
coin), comme on avait voulu voir dans l'attribution la même année du prix Nobel
de littérature à Herta Müller, une volonté de récompenser l'œuvre d'un auteur
peu connue du grand public.
 
Eh
bien Marie Chotek, c'est la même chose.



Nous
allons retrouver cette dernière dans les minutes qui suivent, puisqu'elle a
accepté de nous accorder sa première interview de Prix Nobel. Ah… la voilà qui
descend du perron de l'Académie, visiblement fort émue de recevoir l'année de
ses 70 ans, un prix qu'elle n'attendait certainement pas, n'a-t-elle cessé de
répéter depuis son attribution (« vous êtes sûr ? » vraiment sûr ? »
« ça doit être une erreur non ? » « Mais pourquoi
moi ? »), elle qui disait ne souhaiter, il y a peu encore, « qu'avoir
un peu plus de temps pour écrire », à savoir être déchargée de sa charge
d'employée de bureau qu'elle répétait vouloir incessamment quitter depuis
maintenant 42 ans. Adepte des petites structures, elle disait également ne
souhaiter « être publiée que par une petite maison d'édition simplement
respectueuse de ses auteurs », qui ne considèrerait pas, par exemple,
comme faisant partie des obligations de ces derniers, le fait d'aller faire le
tour des librairies leur livre sous le bras, après avoir fait les carreaux des
bureaux et trié les factures des fournisseurs, ou encore qui préfère ne pas
verser de droits à ses auteurs de peur d'en faire des enfants gâtés (à l'instar
de l'effet des acquis sociaux sur le menu peuple, tel que déploré par l'humaniste
Serge Dassault).
 
Au
pied du perron, sont venus l'accueillir ses plus proches proches. Son fidèle A
(qui n'a jamais lu aucun de ses livres), sa fidèle non-muse (qui a tout fait
pour l'empêcher d'écrire) accompagnée de sa sœur Cléa Culpa (caissière au
chômage depuis 30 ans et pèse-conscience de poids) et le petit Zébulon devenu
grand (31 ans), accompagné de ses frères triplets (25 ans) que l'auteur,
symbole de cette génération de femmes qui ont se sont attelées tardivement à la
reproduction des mammifères pour cause de célibat (lire à ce sujet son célèbre
roman Jouissez sans entraves mais
n'espérez rien
), a eu sur le tard grâce à une stimulation ovarienne
particulièrement intense, séquence de sa vie qu'elle a magnifiquement commentée
dans Triple chute ou le post-partum d'une
mère trop mûre.

 
Mais
je me dirige vers la toute nouvelle prix Nobel, puisqu'en effet, nous avons été
choisis, nous (moi), Cinévision (Martine LeMans), magazine auquel Marie Chotek est abonnée depuis 100 ans
maintenant (oui nous avons pris en compte l'abonnement de ses parents), pour
mener avec elle sa première interview de Nobélisée. C'est donc avec émotion que
nous prenons place dans le sauna de l'Académie suédoise, bancs de bois, fumées,
pierres chaudes, et bruits d'eau, nues ou presque devant une tasse de thé vert,
qui donne paraît il la jeunesse éternelle, accompagnée de quelques toasts à la
confiture d'airelle et de graisse d'oie.
 
–         
Alors, Marie…
vous permettez  que je vous appelle
Marie ?
–         
Oui, oui… mais
vous êtes sûre que c'est bien moi ?
–         
Euh oui… vous
êtes bien Marie Chotek…
–         
Je veux dire le
Nobel ? C'est pas une erreur ?
–         
Bien sûr que
non ! Vous imaginez une erreur de cette taille ! Ahahaha !
Impossible !
–         
… ou une
blague ?
–         
Enfin Marie, les
bonnets blancs de l'Académie suédoise sont-ils portés sur ce type
d'humour ? Voyons, mais oui c'est vous, Marie ! C'est vous le prix Nobel de Littérature
2049 !
–         
Bon, si vous le
dites… que puis-je pour vous ?
–         
Eh bien… je
voudrais vous poser quelques questions…
 
Nous
avons donc commencé par évoquer ses débuts d'auteur. Un prix des bibliothèques
de la région du saint boursin, province septentrionale de la Savoie, un
concours de nouvelles remporté dans le chasseur Solognais n°89, un prix de
première classe remporté lors d'un concours rassemblant les agents de la
puissance culturelle (Marie est arrivée en tête devant trois magasiniers, un
ingénieur des bâtiments patrimoniaux, un conseiller technique en lancer de
parapheur, un agent comptable et deux rédacteurs littéraires dont un
alcoolique). Ensuite, la consécration est venue avec la publication de sa
célèbre Femme blanche est fatiguée,
traduit en 1 langue (le français), où elle a frôlé les 300 exemplaires vendus.
J'ai demandé à Marie comment elle avait vécu cette phase d'apprentissage, sans
reconnaissance éditoriale, puis ce succès soudain.
 
–         
Eh bien… à dire
vrai, cette période m'est désormais lointaine… je ne veux pas dire que je suis
passée à autre chose… justement pas… je veux dire que les errances et les
doutes de l'auteur jusqu'à sa publication sont finalement identiques aux
errances et  aux doutes de l'auteur une
fois publié… mais peu lu, pas connu, oublié… pilonné… et qui n'arrive plus à
écrire…
–         
Vous sautez les
étapes, là Marie… revenons à cette époque où vous n'aviez été jamais publiée…
–         
D'accord… disons
que tant qu'on n'a pas été publié et qu'on arrive à écrire, l'espoir est
globalement là… il y a bien sûr les lettres de refus… quand il y en a puisque
même ça, la lettre type, l'éditeur n'arrive plus à vous l'envoyer… un peu comme
une poste auprès de laquelle vous déposeriez un recommandé mais qui ne pourrait
même plus vous garantir l'accusé de réception… ah c'est déjà le cas ?…
ah bon alors éditeurs et postiers même combat… où en étais-je Martine… ?
–         
Les refus d'éditeur…
ou plutôt le silence… ça ne vous a jamais donné envie d'abandonner… d'arrêter d'écrire ?
–         
Oui et non… certains
refus vous bloquent il est vrai… j'ai le souvenir d'une éditrice qui avait
menacé de m'abattre à coups de varlope si je persistais à lui envoyer mes manuscrits…
mais vous finissez toujours par redémarrer… de toute façon, c'est comme pour
tout, il n'y a rien d'autre à faire que continuer, en espérant que vous vous n'êtes
pas complètement plantée de voie… vous relisez aussi fanatiquement Lettres à un jeune poète de Rilke, pour
vous encourager… ou vous décourager c'est selon… et puis après, une fois la
chose arrivée, on est à la fois plus et moins bien avancé…
 
On
reconnaîtra bien là ce désenchantement qui caractérise Marie Chotek, son
désabusement face à l'obstacle, l'Editeur, cette humilité dirai-je désormais
dont feront bien de s'inspirer les Gallimard, Olivier, Pol et consorts qui se
sont refusés à la publier. Quelle bourde, doivent-ils se dire aujourd'hui, il y
aurait-il un moyen de la récupérer quand même ? Je les imagine se ronger
les ongles et lui préparer ce courrier de suppliques qu'elle recevra à son
retour de Suède… Mais ils s'égarent. Marie Chotek est ainsi, irrécupérable
comme on dit d'autres, incorruptibles. Je reprends…

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