Les journées sans de Marie

Journée de cafard. Impossible de sortir de mon moi, le château tangue et l’horizon s’est enfoncé dans la mer noire. Ernesto m'a concoté un petit morito de la mortadelle, pour que je récupère mon sourire, mais je gis, telle une princesse défunte assassinée par l’anarchiste serbe cafardovitch sur ce divan où il y a peu encore, Carlo Bosse et sa merveilleuse fille péroraient follement.

C'est les journées sans. Les journées où on se dit qu'on préfèrerait boire la mer où l’horizon a chu plutôt que de continuer seule, pieds nus, sur le chemin pointu avec dans les fourrés, les râles de plaisir des autres (c'est une métaphore). Ce matin, ça commençait déjà fort mal avec une nuit brève brutalement arrêtée par un réveil aux aurores où je me suis vue partir, à 45 ans, randonner avec Terres d’Aventure, en racontant aux autres vieilles femmes seules que j’étais écrivain-presque-publié et que je m’éclatais follement dans ma vie entre raves et pots de départ.

Le coup de grâce a été assené par un faire part que Cara Bosse m'a fait suivre.


Ma mère ADORE faire suivre les faire-partsSmile, avec une préférence pour les mariages, une préférence absolue pour les accouchements, mais même un faire-part de mort, c'est toujours mieux que rien (regarde les gens pleurer, cet être était aimé et entouré, à n’en pas douter). Là il s'agissait du faire-part d’une amie à elle dont la fille, Justine, vient de mettre au monde une pauvre chose rouge et grasse qu'elle a appelée Victoire. Tu parles d'une victoire, je lui souhaite bon vent à la Victoire avec la pollution, la guerre, l'obésité, le cancer, et le célibat.

Quand Parfaite a mis bas, j'ai eu ainsi droit successivement à un faire part en A 3 avec bébé nu, bébé habillé, gros plan sur gros sein dans bouche à bébé, sourire triomphal de la Mère sur son lit de parturiente, à croire qu'elle avait grimpé l'Everest en espadrilles, et cette phrase que je vous demanderai de graver au frontispice de votre foyer d’amour : Jade, bébé d’amour, est née, la Terre ne sera plus jamais dépeuplée. Et pour la seconde naissance, celle d’Orneille, j'ai eu droit à carrément une petite video sur internet (également disponible sur papier) où l'on voyait le bébé crever de joie entre ses deux parents, eux-mêmes agonisant de bonheur (cinq minutes de bonheur absolu). A la fin, le message suivant s’affichait : avec Orneille, la boucle est bouclée, l’Univers lui-même est désormais habité. J’ai eu furieuse envie de passer au chalumeau une crèche entièrement vivanteSealed.

Carla Bosse est une mère normale. En tant que mère normale, elle s'inquiète follement de ce que sa fille ne convole pas dans son lit, et qu’en conséquence, ses ovaires restent plus couillons que des oeufs périmés dans une supérette de seconde zone. Elle commence même à regarder Ernesto d'un oeil glauque en se disant qu'il pourrait bien finir en oua oua à sa mémère… Elle ne m'aide pas, je ne l'aide pas. Quand j’ai refusé catégoriquement d’assister au baptême d’Orneille, le mort-de-rire, ma mère s’est exclamé : mais Marie, fais un effort voyons ! Tu seras bien contente quand tu seras vieille et à mobilité réduite d’avoir tes neveux et nièces pour s’occuper de toi ! Alors, pas de raison que je la rassure, moi, qui crève parfois de trouille de finir à la morgue sans avoir connu l'amour, le vrai, l'unique, c’est mon seul mysticisme. Pas de raison que je la rassure sur mes proportions à parvenir enfin à la case Fin de ce jeu de l'oie, aimée et aimante, bravo, vous voilà membre du grand club des familles heureuses.

Carla Bosse est une mère normale, j’insiste. Elle est donc perdue et angoissée. A son époque, on allait au bal, bonsoir, bonsoir, vous habitez chez vos régnants ? on pourrait aller manger une glace ensemble demain (avec ma grand-mère, ma tante, mon père), d'accord, au revoir, smack. Et hop, c'était dans le tuyau, quelques mois après, fiançailles, babague brillante au doidoigt, quelques mois après, zoupla, mariage, curé, riz, fleurs d’orangers et argenterie dans le buffet. Pas besoin de se suer sur les pistes de bal jusqu’à la retraite dans l'espoir, au moins, d'avoir une nuit, au moins, les pieds chauds et le cœur cognant.

D'accord, entre les faiseuses d'ange et le mariage à 22 ans, du temps de madame Bosse, c'était pas forcément la folle virée tous les soirs, j’admets, mais au moins, on coupait court à ce parcours de la combattante pas forcément moderne et particulièrement chiant, où l’on peut très bien finir à passer ses vacances à randonner jusqu’à la mort avec Terres d’aventure. Et puis, qui aime encore sincèrement, profondément, à 58 ans comme moi (enfin presque) sortir après une journée de travail se tuer le moral sur une piste de bal remplie de jeunes gens de 25 ans, en couple depuis l’âge de 14 ans, pour se dire, au moins, on a essayé, parce que hein (dictature des gens heureux) c’est pas en restant chez soi, qu’on va trouver pantoufle à son panard, personne va vous sonner, etc.

Et puis justement… drelin drelin…

– ‘llo…

Moi. Au bout du rouleau.

– ALLO !!!!

Elle. La Parfaite au bout du fil. Parfaitement en forme.

– Ah… ça va ?

– Très très bien ! Dis moi, Mémé…

La Parfaite est la seule à m’appeler encore Mémé, comme on m’appelait quand j’étais petite, alors que quand j’étais petite, elle ne me connaissait MEME pas.

– Marie… je grogne.

– Peu importe ! Tu es prête ? Elle jappe.

– Prête à quoi ?

Moi. Ahurie.

– Enfin voyons Marie… pour la soirée de ce soir pardi !

– Quelle soirée ?!

Mon Dieu. Une soirée. Dans l’Etat où je suis, Etat Cafard du grand Empire Chotek.

– La super soirée du 17 juin ! Tu sais ! Le lancement de mon super docu !

– Ah oui c’est vrai…

– Cache ta joie princesse ! Elle glapit.

– Excuse moi, j’ai eu une semaine chargée… je marmonne dans mes gencives. Beaucoup de boulot en ce moment…

– C’est sûr, le public ça turbine ! Elle ironise la mauvaise citoyenne. Bon, qu’importe… avec Louis, mon cher et tendre, on vient te chercher à 20 H 00 pétante… prépare la robe !

– Mais c’est à dire que…

– Taratata, il faut te bouger Marie ! Va cours vole te préparer !!!

C’est à dire que je comptais rester seule avec mon cafard et Ernesto, siroter du porto en écrivant des poèmes très beaux très noirs qu’on retrouverait juste après ma mort et même que l’on se dirait, quel gâchis pour l’Humanité, on n’avait rien compris à cette extraordinaire talent plein de sensibilité qui était le sien (le mien) sans oublier ce cœur (le mien toujours) proprement débordant d’amour non utilisé même que.

– Marie, tu es là ?

C’est Parfaite, encore elle.

– Oui…

– Mets ta robe noire, ça te fait un look trop classe… tu vas les affoler, tu vas voir !

Les affoler. Est-ce bien le juste terme ? En soupirant, je me suis mise debout, et j’ai été chercher ma petite robe noire.

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