Le pouvoir rend-il pervers ou faut-il être pervers pour accéder au pouvoir?

On se le demande.

Du moins, la Cadette et moi, ce qui
fait toujours deux personne s'interrogeant sur ce questionnement
somme toute banal, survenu à la suite à de coups étranges portés
par Eddie Colonette, notre nouvelle Secrétaire générale donc,
descendue du Budget , entité pour le moins floue dans mon esprit mais
évoquant une sorte d'énorme tiroir-caisse tenu par des gens très
stricts, dans l'objectif noble (officiellement) d'apporter ses lumières
technocratiques au Livre.

Jusqu'à présent, je l'avais surtout
vue de loin en loin. L'image que j'en avais pour ma part était celle
d'une petite femme vive pour ne pas dire sur-dynamique vêtue d'un
vison et penché sur le guidon d'un vélo de course. Une femme aux
yeux bleus lumineux qui lançait des bonjour, bonjour pressés dans
les escaliers et qui avait tendance à vous répondre un coup, avec
chaleur, un autre coup, avec mépris.


Exemple.

  • Les indicateurs indiquent une
    augmentation du fléchissement des aides pour l'année passée…
    (moi)

  • Très jolie courbe d'augmentation
    du fléchissement… (Eddie Colonette, avec un accent dè marseille plein de cigales et de soleil)

  • En même temps, on peut dire aussi
    que c'est à cause du fiasco lamentable du nouveau système d'aides
    des bibliothèques que l'augmentation du fléchissement peut être
    observée, ce qui relative l'augmentation du fléchissement global
    (moi, mise en confiance)

  • C'est quoi toutes ces
    calembredaines ? Qui vous paye pour dire ça… que nos aides
    fléchissent leur augmentation?! (Eddie Colonette, me toisant avec
    mépris, le vison encore chaud de sa course sous le bras et l'accent
    méditerranéen agressif et sanguin)

  • Euh ben euh… (moi, archi
    déboussolée).

Rien que la normale me direz-vous quand
on est une femme de décision parvenue à un (relatif) sommet du
pouvoir, après lena, des postes dans les hautes sphères, au Budget par exemple, avec, à chaque changement de poste ou
même, à chaque exercice de chaque poste, ces mêmes concurrents
hommes au rictus arrogant de supériorité testostéronique qui,
parce qu'ils étaient ça, des lenarques à couilles, étaient
persuadés qu'ils auraient toujours les meilleures places, du moins
qu'ils passeraient aisément devant toutes ces progesteronées qui
commençaient à envahir ces hautes sphères jusqu'alors réservées
à leur particularisme d'êtres humains péniens (cela dit en passantt, ouf,
dieu merci, le conseil constitutionnel et la cour des comptes demeuraient encore un gynécée exclusivement masculin).

Bref, tout un parcours qui forcément
n'avait pu qu'amener Eddie Colonette, si ça se trouve une créature
initialement au coeur tendre et fragile, à bannir la poésie et la
sensibilité exacerbée à la sensibilité d'autrui si vite écorchée
quand on la moque, la piétine ou l'indiffère car sinon, comment
aurait-elle pu survivre un seul instant dans ce monde de brutes en
costumes trois pièces?

Bull shit.

La question du pouvoir et de ce qu'il
induit de perversité (peut-être) s'est en tout cas posée avec le
retour d'une convention supposément actée entre un prestataire de
services éditoriaux et Bécassine (convention conçue portée
accouchée et développée par la Cadette), biffée par la Colonette
d'un rouge rageur : il est hors de question que JE paye, c'est 50-50
sinon rien!!!

Bon, l'ennui c'est que c'était le
Syndic qui était demandeur auprès de ce prestataire. Cela faisait
un peu comme si Eddie Colonette était entrée dans une boutique
vendant eh bien des visons par exemple et avait déclaré, c'est
50-50, on partage kif kif la came… sinon, c'est niet.

Troublant. Après que nous ayons
appelé Bécassine, terrassée par la gastro mais curieusement
environnée d'un brouhaha dans lequel a émergé une voix braillant,
taille 40,5, ça vous irait? Il s'est avéré qu'Eddie Colonette
avait été trop vite, le nez sur son guidon en forme de cornes de
bouc, et qu'elle avait confondu commande de prestation (un guide) par
le Syndic et demande d'aide à la publication émanant d'un
quémandeur comme elle appelait in peto les éditeurs (bon ok
ça c'est de moi).

Suite à un coup de fil de Bécassine
depuis sa cabine d'essayage à Balancelle, le bras droit de
Colonette, cette dernière avait rétabli la situation auprès du
tronc pensant (la colonette donc), qui bien sûr ne s'était pas
excusée et avait juste aboyé à la Cadette, si vous ne m'expliquez
pas convenablement les choses, comment voulez-vous que je sache de
quoi il en retourne… Sachant que la Cadette avait joint une note où
justement elle expliquait en long et en large les tenants et
aboutissants de cette convention.

Cette rebuffade avait été suivie par
une autre. En effet, la Colonette avait été conviée par
la Cadette (et Bécassine, mais Bécassine avait la gastro donc) à
une réunion au sommet avec d'autres prestataires venus rendre leurs
devoirs, à avoir une étude intitulée comme suit, Les jeunes,
les vieilles, à l'heure du numérique, quel mode de lecture?

Prestataires cornaqués jour et nuit par une Cadette qui ne les avait
pas lâchés d'une semelle, tapant follement ensuite son casque sur
les oreilles les compte-rendus de leurs échanges, relisant leur
étude, la corrigeant, la peaufinant, bref, ayant donné tout ce
qu'elle pouvait donner jusqu'à minuit encore la veille de la réunion
au sommet pour se ramasser au final un, il manque une question 21 de
la part d'Eddie Colonette, qui, le nez plissé, une loupe à la main,
avait épluché le dit travail, devant tous les protagonistes réunis
et rendus silencieux par ses caresses veloutées suivies de ses
piques aiguës comme des pals, br.

  • Ah, avait fait d'une voix blanche
    la Cadette (aux yeux cernés façon lunettes power flower)

  • Oui… la 21 que l'on pourrait
    libeller ainsi, préférez-vous taper sur les touches de votre
    I-phone avec le doigt ou avec le stylet…

  • Euh… avait lâché la Cadette
    l'air de pas savoir si c'était du lard ou du cochon.

C'était du lard, du bon gros lard.
Eddie Colonette avait exigé que cette question soit rajoutée et
elle avait ensuite tancée la Cadette pour cet oubli gravissime,
pelotant dans ses mains la dite étude comme si c'était du papier
tout juste bon à enrober des épluchures de tubercules.

La Cadette, suite à ces deux affronts,
avait été plongée dans une forme rare d'abattement chez elle, une
catatonie entrecoupée de sursauts de rage, voire de haine, pour
cette cycliste en vison.

Pour lui changer les idées, sans trop
l'éloigner de son obsession (c'est comme un vilain bouton à tête
blanche c'est plus fort que tout, il faut y revenir jusqu'à ce qu'il
soit percé), je lui ai donc posé cette question :

  • Le pouvoir rend-il pervers ou
    faut-il l'être pour y accéder?

  • Aucune idée, m'a-t-elle répliqué
    (un peu sur le ton Colonette, je me dois de le remarquer).
    Perversité ou non, je peux juste te dire que je n'ai jamais
    rencontré un ou une big boss qui n'ait une grosse tare quelque
    part… y a qu'à regarder sa vie privée…

  • Tu ne caricatures pas un peu? J'ai
    avancé prudemment.

  • Que pouic! Tous, te dis-je, tous
    ceux qui ont du pouvoir, du vrai, ont quelque chose qui déraille
    quelque part!

  • Mais si tu prends… si tu prends
    Mandela par exemple, j'ai protesté, ce type a l'air exemplaire à
    tout point de vue, bien qu'homme de pouvoir!

  • Tututtut… t'as vu la femme qu'il
    s'est trimballé pendant des années? En plus, pendant longtemps, ses propres enfants ne
    voulaient plus le voir… non, te dis-je, qui a du pouvoir, a
    forcément quelque chose de détraqué dans sa vie…

  • Mais Stéphane Hessel, j'ai encore
    argumenté, ce type a tout l'air exemplaire dans toutes les strates
    de sa vie, intime, publique… voilà un homme de conviction,
    respecté en tant que tel, et qui chaque fois qu'il parle, s'exprime
    avec douceur et grand respect, alors hein?!

  • Tututut… Stéphane Hessel n'est
    pas un homme de pouvoir! C'est un… militant ou je ne sais quoi
    mais pas un homme de pouvoir, ni même un homme politique!

  • Mais il se présente sur la liste
    Europe Ecologie en Ile de France, j'ai presque braillé.

Il ne fallait pas désespérer
Montreuil sous bois, bon sang.

  • Tututut… il est là pour la
    figuration et rien d'autre… ce n'est pas à 95 ans qu'il va
    dégoter un maroquin quelconque… non, te dis-je, je te mets au
    défi de trouver un seul homme ou une seule femme politique que le
    pouvoir n'a pas tordu!

  • Simone Veil? J'ai hasardé.

  • Quoi Simone Veil? Tu trouves que
    le pouvoir ne l'a pas abîmée elle?

  • Eh bien… non pas que je sois de
    droite hein ne va pas croire ça surtout mais je me disais que cette
    femme semblait avoir des convictions humanistes qu'elle avait
    toujours honnêtement défendues… c'est quand même grâce à elle
    que l'on peut avorter à l'air libre sans passer par une faiseuse
    d'anges à blouse crasseuse et à sonde infectée…

  • Ah ouais… tellement humanistes
    ses convictions qu'elle a soutenu Sarkozy à la présidentielle!

  • Ben…

J'ai encore réfléchi mais je n'ai pas
su trouver un seul nom. Il est vrai aussi que je ne connaissais pas à
proprement parler d'homme ou de femme politiques, de loin comme de
près, ce qui m'aurait permis à l'aune d'une connaissance intime de
savoir si, il ou elle était ce que l'on appelle quelqu'un de bien,
d'honnête, et de pas tordu surtout.

  • Je me demande, j'ai repris,
    comment ces gens là étaient enfants…

  • Han, han…

  • Je veux dire… pouvait-on dès
    leur enfance déceler en eux l'homme ou la femme de pouvoir qu'ils
    seraient… faisaient-ils partie des meneurs, des têtes de
    groupe… est-ce qu'ils…

  • Excuse moi Mimi, mais je dois
    rédiger le compte-rendu de cette affreuse réunion d'hier matin…
    et l'enfance des puissants de ce monde ne me préoccupe pas pour le
    moment…

Et la Cadette a remis son casque sur
les oreilles. Je me suis demandé si, au fond, elle non plus n'aurait
pas en elle cette fibre qui fait de vous une créature appelée à
régner sur les autres, même à un niveau modeste.

Pour en revenir à l'enfance des chefs,
j'ai poursuivi ma méditation en collant et copiant du excel sur
word, en une sorte d'automatisme, un peu comme de faire des lignes de
tricot, qui permettait à l'esprit de divaguer.

Comment ces gens là devenus hommes ou
femmes de pouvoir étaient-ils enfants? Avaient-ils des frayeurs
stupides comme celles de traverser la cour ou de monter à la corde
devant tout le monde, d'être interrogés sur la couleur de la robe
d'Emma Bovary alors qu'elle agonise sur son lit après avoir avalé
du cyanure et d'avoir un trou… verte, bleue, rose… Avaient-ils
reçu une éducation particulière, soit qu'on les ait toujours
poussés en leur disant qu'ils étaient meilleurs d'une façon quasi
autistique, soit qu'on leur ait instillé de cette inébranlable
confiance en eux, obtenue grâce à l'alliage d'un code Dolto et de
mamma juive au sens positif du terme?

Et plus tard, jeunes adultes, ont-il
connu le doute et la sensation parfois d'être une vieille chaussette
abandonnée sur le bord de la carpette? La colonette, par exemple,
a-t-elle bramé comme un veau parce que Louison Bobet ne l'avait pas
rappelée et lui avait préféré jeannie longot ? La colonette
s'était-elle soudain demandé au cours d'une leçon inaugurale
consacrée au droit régissant la concurrence entre les tomates de
différents calibres au sein de la CE ce qu'elle foutait là et ce
que serait sa vie plus tard si elle poursuivait dans l'étude des
différents calibres de tomates et afférent à cela leur droit à la
libre concurrence? Etait-elle restée des heures allongée sur son
lit sans qu'une seule pensée un peu tangible et énergique ne la
traverse, et la remette à flot dans le flou d'une vie, la sienne, en
apparence si linéaire et si construite…

Bien sûr, à moins de devenir amie
intime avec la Colonette, jamais je ne saurais la réalité de son
ressenti intime ainsi que son processus de formation. Ni d'elle ni
d'aucune autre femme de pouvoir car ma vie n'avait pas franchement
pris la direction de leur côtoiement, et ainsi, j'aurais peut-être
dû plutôt me proposer d'étudier quelque chose du style, le refus
des responsabilités, lâcheté ou sagesse? J'aurais eu sans doute
plus de matière tangible à portée de cervelle.

Mais ceci était un autre débat, que
je n'avais pas envie d'ouvrir et que j'ai donc laissé bien fermé,
cadenassé, pour une autre fois peut-être…

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