De l’avantage d’être une vieille (et blanche de surcroît) 1

C'est ce que je me suis dit avec grande
philosophie ce soir en regagnant mes pénates, après avoir été
coincée dans le métro entre une armoire à glace aux mains
violacées qui sirotait une cannette de bière (et sentait de même),
et un individu de couleur non blanche, porteur d'une capuche qui lui
tombait sur les yeux façon le nain simplet, et qui, face à moi,
opinait sans cesse du chef comme s'il acquiesçait à tout ce que je
disais.

Bon, en fait, il écoutait de la
musique, fort, très fort, grâce aux fils qui reliaient son portable
à ses oreilles mais ça ne devait pas être bien étanche, comme
système. C'était si fort que je n'arrivais plus à suivre Annie
Ernaux dans le dédale de Ses années, où elle écoutait, jeune
fille, des microsillons en se gaussant de ses vieux qui en étaient
restés à des types comme Reggiani ou Maurice Chevalier (enfin quelque chose comme ça, la musique était trop forte pour que j'imprime).


Je me suis consolée en pensant à ce
que m'avait dit A qui fréquente les forums d'électro-informatico
musicos en ligne, un grand nombre d'entre eux, jeunes pour la
plupart, se plaignent de souffrir d'acouphènes, résultat sans doute
d'une écoute assidue à fortes décibels avec oreillettes enfoncées
dans les tympans et A était frappé par le nombre de personnes
concernées.

Quand je vois, que dis-je, j'entends ce
jeune à capuche, moi pas.

Comme pour faire écho aux basses, le
type à côté de moi a lâché un rot sonore, qu'il a aussitôt
neutralisé en ingurgitant slurp slurp une autre lampée de sa bibine
qui, vous m'excuserez, aurait fait d'une Kronembourg, une sorte de
champagne de la binouze.

J'ai rentré mon nez dans mon écharpe,
et je me suis efforcée de retrouver Annie Ernaux. Peine perdue. Le
jeune à capuche avait encore augmenté le volume et il semblait pris
de mouvements incoercibles, genre prieur devant le mur des
Lamentations. Je me suis hardiment lancée…

  • S'il vous plait (toujours vouvoyer
    un jeune dit de banlieue)…

  • boum, boum, boum…

  • Excusez moi…

J'ai tapoté son genou. Aussitôt, il
m'a lancé un regard agressif, et sur l'extrême défensive, comme si
j'étais en train de procéder à une sorte d'attouchement sur sa
personne de mineur.

  • Excusez moi… vous pouvez baisser
    un peu votre musique s'il vous plait… je n'arrive pas à lire et
    je…

  • groufe niaquobé beille
    lassange…

  • Pardon?

  • J'ai dit, a articulé le jeune
    sans toucher à son casque, change de place la vieille si ça te
    dérange!

Le type à la canette a encore laissé
échapper un rot ultra sonore. Allait-il prendre ma défense en
flanquant sa canette sur la capuche de ce jeune rudement mal poli
comme aurait dit Nadine Morano (même si la capuche, contrairement à
la casquette, ne pouvait pas se porter à l'envers) et que ce jeune,
après répétition, s'était exprimé en langue vernaculaire, et non
en verlan.

Mais non, le type a fini
consciencieusement sa canette avant que de la balancer sous le siège, amen. Et
d'en ressortir une aussi sec de son blouson style tenue de
camouflage.

J'ai alors unilatéralement décidé de
ne pas me battre. Je n'allais pas m'en prendre à un jeune non blanc
alors que je rentrais vannée de ma journée de boulot. Comme il
aurait dit, j'étais trop vieille pour ça. Ou alors pas encore assez
pour lui admonester un coup de parapluie en lui glapissant, jeune
homme, je ne vous ai pas tutoyé, alors n'usez pas du tu avec moi!

Lâche, grosse lâche, espèce de bobo
culpabilisée, d'avatarde de la post-colonisation et de l'utopie
tierds mondiste, couille molle par extension, carpette urbaine,
bourgeoise complexée, voilà ce que j'aurais pu entendre autour de
moi si la musique du descendant de l'ex colonisé n'avait pas été
si forte. Bon, en même temps, c'était intérieur cette salve, la
question du son ne se posait donc pas véritablement.

Et puis de toute façon, nous étions
arrivés au Terminus, mairie de Montreuil. Mes deux compagnons de
route se sont rués vers la sortie et je suis descendue, lentement,
très lentement, ne tenant pas à les retrouver, ni le noir, ni le
violacé sur l'escalator.

Sauf que le jeune encapuchonné avait
été intercepté par un flic à l'air euh très flic accompagné
d'un type genre l'armoire à glace mais en sobre, avec un brassard
orange sur son bombers noir. J'ai vu qu'ils lui demandaient ses
papiers ainsi qu'à un autre jeune, un blanc celui là, genre
boutonneux à cheveux gras coiffés façon rideau de pluie ruisselant
sur son visage. Le jeune encapuchonné avait l'air surpris, et
effrayé. De même le jeune à cheveux rideau de pluie, comme un coup
au coeur. Qu'est-ce qu'on a fait? Semblaient dire leurs deux regards
éperdus alors que leur main se portait à la poche arrière de leur
jean.

Vous êtes jeunes. Vous écoutez de la
musique de jeunes trop fort. Vous êtes habillés comme des jeunes.
Vous marchez comme des jeunes. Vous parlez comme des jeunes. Et en
plus, vous êtes noir (ou grungie).

Cela dit en passant, le buveur de
bière, lui, avait filé sa canette à la main, sans avoir été
interpellé par les deux sbires (car oui ils faisaient penser à des
sbires). A croire qu'il valait mieux boire de la bière que de porter
une capuche ou des cheveux gras mi-longs, surtout si on était non
blanc. Je savais déjà que plus on était âgé et blanc, moins il y
avait de potentialité d'être interpellé pour montrer ses papiers
mais je découvrais que l'on pouvait être violacé et buveur de
bière sans non plus être inquiété.

J'ai caressé une demie seconde l'idée
chevaleresque de m'interposer en demandant aux flics ce qui
justifiait qu'ils demandassent leurs papiers à ces deux innocents et
exiger qu'ils me contrôlent de même, bien que blanche et vieille
(enfin, eu égard à ces deux jeunes hein bien sûr). J'imaginais la
surprise puis la confusion et enfin la gratitude se peindre sur les
traits du jeune noir à capuche (désormais rabaissée). Ses excuses
ensuite pour m'avoir imposé des décibels trop élevées et m'avoir
par ailleurs traitée de vieille. Sa résolution désormais de ne
plus écouter de la musique trop fort dans les transports en commun
et de ne plus automatiquement taxer de vieille, toute blanche plus
âgée que lui, lui demandant de bien vouloir baisser le son de son
portable.

Mais je me suis opportunément rappelé
que ma carte d'identité était périmée, que Zébulon m'attendait
dans le vestibule de sa nounou et qu'il y avait eu en 2009, 900 000
gardes à vue pour des raisons aussi frivoles que de demander l'heure
à un agent de police ou de lui faire remarquer que sa braguette
était ouverte.

Aussi j'ai piteusement filé vers
l'escalator pour regagner l'air libre, et la liberté… loin du
spectre d'une visite à la cellule de dégrisement, où l'on m'aurait
stockée toute une nuit, indifférent à mes cris de mère éplorée,
après m'avoir fait déshabiller dans une pièce chauffée à 15
degrés, avec si cela se trouve une fouille corporelle approfondie
en guise de cadeau de bienvenue dans le monde de la garde à vue, et
dont je ne serait ressortie qu'au petit matin, brisée, humiliée,
vieillie de dix années tout ça pour avoir voulu faire ma
conscientisée auprès des forces de l'ordre et de la jeunesse de ce
pays.

Oui, en vérité, je me suis dit, il y
a un certain avantage à être vieille et blanche… bon, de là à
en être fière, il n'y a qu'un pas que je franchirai à ce train là
dans une décennie, me suis-je dit, et là, ça m'a flanqué les
boules.

Mais il était trop tard pour
redescendre, j'arrivais en haut de la butte non loin de chez
nounou…

One comment on “De l’avantage d’être une vieille (et blanche de surcroît)

  1. Reply ladenio Mar 10,2010 10:38

    Si je ne riais pas, je pleurerais tellement c\’est bien vu… Une lectrice du VIe arrondissement, métro Notre-Dame-des-Champs ousque la bière et les capuches n\’ont pas trop droit de cité.

Leave a Reply