L’annonce faite par Marie

Cela commençait à se voir.

Durant les vacances, profitant sans
doute de l'absence, et de statistiques parsemées de Bécassine et de
mauvais esprits genre la non muse, il en avait profité pour
s'épanouir comme éponge séchée jetée dans un sceau d'eau.

Tu ne vas plus pouvoir leur cacher
durant longtemps, avait finement noté A un après-midi alors que
j'ouvrais bravement mon ordinateur pour concourir à l'Encrier
renversé, 8bis chemin de l'Arnac tandis que le Zébulon cuvait son
iode par une grosse sieste.

En haussant les épaules, je m'étais
attelée à la tâche, profitant de ce que la non muse et ses avatars
étaient restés bloquées à Paris, l'une par une manifestation de
Sud discount, et l'autre, par le salon des écrivains empêchés. Elles
étaient tellement égocentriques, chacune à leur façon, et chacune
avec ses meilleures raisons, que j'étais à peu près sûre qu'elles
n'y verraient que du feu pendant longtemps concernant mon nouvel
état.


Que pouic. A peine sortie du
périphérique et pénétrée dans l'appartement, la non muse m'a
bondi dessus en me demandant si j'avais fait une orgie de kouin aman
et de crêpes au beurre beurré durant mon séjour breton.

  • Pas spécialement, j'ai répliqué
    d'un air dégagé, pourquoi dis-tu ça?

  • Parce que tu as un ventre énorme!
    Et tes seins! Tes seins! On dirait des PIES!

  • Mimi est trop vieille pour ça
    voyons cousine! A émis de son côté cette garce de Cléa Culpa.
    Elle doit juste faire de l'aérophagie…

  • En tout cas, sache Mimi, a
    poursuivi la non Muse, que si jamais tu as remis ça, je n'y serai
    pour rien dans tes pannes d'écriture… deux mouflets, j'ai même
    pas besoin de te non inspirer, ils feront bien mieux le job à ma
    place! Je pourrais même cesser d'être ton bouc émissaire, ça me
    fera un congé tiens… d'ailleurs, au salon des écrivains
    empêchés, j'ai trouvé tout un tas de candidats (proies) qui
    seraient parfaitement non heureux de m'accueillir…

  • Quant à ton temps partiel, a
    grincé Cléa Culpa de son côté, tu vas le sentir passer… pas
    assez d'argent et même plus de temps à toi avec deux enfants…
    quoique, il est vrai, tu vas sans doute encore palper la cagnotte
    avec le magot de l'aïeule qui a cassé sa pipe à presque cent
    années sonnées, bourgeoise inactive et protégée qu'elle était…
    vivement la révolution qu'on vous coupe tous la tête tiens!

J'ai rétorqué qu'elle était priée
de ne pas insulter mes ancêtres ni à nos têtes, de se mêler par
ailleurs de ses tickets de caisse et autres bons de promo, que je ne
voyais pas ce qui, à elle et sa cousine, leur permettait d'affirmer
que j'avais remis le couvert une seconde fois et sur ce, je suis
partie peaufiner mon texte pour le 8bis chemin de l'Arnac.

Mais bien sûr, rien n'est venu. A part
une sourde angoisse. M'étais-je attaché un énième boulet à l'une
des rares parties de mon corps non encore bouletée? Alors que je
commençais timidement à me remettre à l'écriture, à condition de
partir loin de mes âmes damnées, et de me boucher yeux et oreilles
aux récits de réussite littéraire de jeunes et ex jeunes qui
n'étaient toujours pas moi, n'étais-je pas en train tout simplement
de me saborder? En bref, j'avançais enfin, à condition de me fixer
comme horizon le bastingage du balcon et non plus la ligne bleue de
la publication avec succès, mais là, la barre, n'allais-je pas me
la prendre en pleine poire et ne plus rien y voir?

Le lendemain matin, à peine arrivée
dans le bureau, Bécassine a surgi, habillée dans un
drôle de vêtement qui la faisait rassembler à une nonne ou à une
porteuse de niqab à larges meurtrières. 9 h 17, elle était en
avance, et j'en ai ressenti une sourde appréhension. En dépliant
ostensiblement le journal La croix, elle m'a juste dit :

  • Marie, toi qui portes le nom de la
    mère de notre Sauveur, le saint patron voudrait te voir…

  • Qui ça?!

  • Quasimodo… notre nouveau pope
    euh président… il a pris ses fonctions durant ton absence, un
    homme très courtois au demeurant, et il souhaiterait te recevoir
    dans sa chapelle…

  • Dans sa quoi? J'ai sursauté.

  • Je veux dire, bureau… je suis
    troublée… il faut dire que ma tenue me trouble, j'ai chaud, mon
    champ de vision est étroit…

  • Mais vous êtes vraiment obligée
    de la porter? J'ai demandé d'une voix prudente.

  • Grand doux Jésus non! C'est juste
    un signe de… bienvenue à l'adresse de notre nouveau saint patron!

Fayote, j'ai pensé. Au moment où on
va voter une loi contre les Belfégor, c'est vraiment futé ça tiens
comme tenue.

  • Cours, vole, Marie, ton prénom te
    portera chance mais avant, enlève ce sac que tu portes sur le
    ventre, un minimum de classe s'impose tout de même!

  • C'est que… j'ai balbutié.

  • Mais ma parole, ça y est, tu es
    enceinte!

A glapit la Cadette qui venait d'entrer
et de tomber nez à ventre avec moi.

  • Non? A rugit Bécassine. Tu ne
    m'as pas fait ça quand même, à 5 années de la retraite?!

  • Eh bien… j'ai balbutié. Je
    n'avais pas trop le choix…

  • En ce cas, avorte! A presque hurlé
    Bécassine. Il n'est sans doute pas trop tard!

  • Mais je n'en ai pas du tout envie!
    J'ai protesté. Cela fait presque un an que nous essayions A et moi
    de donner au Zébulon, un frère ou une soeur…

  • Epargne moi les détails intimes
    donc sordides de ta vie, Mimi! A claqué Bécassine (qui, de rage,
    en avait laissé choir la vierge pour en revenir au surnom).

  • En bref, sachez que c'est un
    enfant parfaitement désiré! J'ai grogné. Aucun risque que
    j'avorte, donc…

  • Ohlala, a gémit la Cadette, ça
    va être encore la galère quand tu vas foutre le camp pendant un
    an…

  • Un an?! A vociféré Bécassine.
    Mais Fatima Dati…

  • … Rachida, j'ai mécaniquement
    corrigé.

  • … n'a pris que trois jours,
    elle! Comme notre Seigneur pour ressusciter! Si tu accouches le
    jeudi après-midi quand tu ne travailles pas, tu pourras être très
    bien de retour dès le lundi!

Je n'ai pas relevé. J'ai juste dit que
j'allais au service du non personnel pour déclarer ma grossesse car
il était temps et qu'ensuite, j'irai baiser l'anneau popal de
Quasimodo. Bécassine est partie s'acheter des macarons Ladurée pour
se remettre, en me disant, enfin Mimi, je suis malgré tout
contente pour toi… on va en baver, on va encore travailler un peu
plus comme des bêtes mais bien sûr, ça n'est pas ton affaire, tu
n'étais déjà là qu'à 70%, tu ne seras plus là du tout, et voilà
tout…

La Cadette m'a rassurée ensuite en
m'expliquant que Bécassine vivait mal l'arrivée de ce nouveau
président car elle ne savait plus trop sur quel pied danser. De
réputation orthoxo-traditionaliste, il lisait cependant La croix,
quotidien de gauche chrétienne, plutôt socialement militant, mais
il dînait souvent en tête à tête avec des adeptes de la grande
Serbie et de la Sainte Russie Blanche aux mains pleines de sang, tout
en participant chaque année, il est vrai, au méchoui de l'aït
el-kabir, environné de niqab et de burkas à pompons rouges, ce que
son goût pour la transcendance divine absolue de préférence
orthodoxe alliée avec une forte tendance à voir des barbares
partout venait quelque peu contredire.

  • Bref, elle est paumée la
    Bécassine, a ricané la Cadette, sans compter qu'ici c'est le bazar
    absolu… on ne sait plus qui fait quoi… un jour on est chargé
    d'études, le lendemain, on a à peine le droit d'effleurer la
    tinette des WC… une autre fois, il faut transmettre toutes nos
    infos aux parasites supérieures du SLL (service des lourdingues du
    livre)… et une autre fois au contraire, il faut faire front commun
    contre eux, en leur diffusant de l'intox…

  • Quel merdier en effet, j'ai dit,
    déjà abattue.

  • Bon, mais toi, veinarde, tu vas
    pouvoir te casser de tout ça… quand moi, je vais devoir attendre
    la pré-ménopause pour pouponner car vu les restrictions qu'on nous
    annonce, pas sûre que mon contrat soit renouvelé!

  • Mais si! J'ai protesté mal à
    l'aise. Ils ont besoin de toi! C'est évident!

  • Peuh tu parles… avec le Gnocchi
    qui laisse croire partout que c'est lui qui fait ce que je fais moi,
    au point que la colonette me prend pour sa secrétaire stagiaire,
    pas sûr que l'on rende à Césarine ce qui est à Césarine…

Je me suis sentie affreusement
coupable. J'allais laisser choir une pré-retraitée au bout du
rouleau et une jeune trentenaire sur-bardée de qualifications mais
sempiternellement menacée de Sdfisme et privée de maternité faute
de moyens pécuniaires stables, pour une vie de famille aussi
mirifique qu'égocentrique où, durant les siestes de 4 heures de mon
Zébulon (ou Zébulone) II, je pourrais écrire enfin Le roman de ma
vie, n'ayant en échange qu'à torcher des fesses, charrier des
courses, laver des assiettes et traquer la poussière dans mon logis
de bourgeoise même pas bohème.

Avant de se plonger dans le rapport
d'activités, la Cadette a conclu en disant que j'avais raison d'en
profiter, j'avais bien de la chance, et qu'après tout, élever des
gosses en faisant son ménage, ses courses et ses carreaux, c'était
pas plus idiot que de bosser dans un Syndic devenu désaxé, et que
la carrière c'était tout relatif en ces années où ceux et celles
qui y croyaient, suaient douze heures par jour pour gagner la moitié
de ce que gagnaient leurs parents ou alors bien plus, mais avec un
cancer de l'estomac en échange car on a rien sans rien.

Le tout, m'a-t-elle dit, c'est de pas
te couper trop de la vraie vie hein… quand tu seras chez toi,
conserve Internet comme la prunelle de tes bigles! Et essaye de te
trouver au moins un cercle de femmes au foyer pour garder le cordon
social…

Je me suis sentie… déprimée.
Chanceuse mais déprimée. J'ai réalisé que si j'étais
indéniablement heureuse de remettre le couvert avec un Zébu II, et
soulagée de quitter le Syndic pour quelques temps du moins, mon
avenir n'en était pas moins confus. Je n'avais pas envie de
travailler au Syndic mais pas envie non plus de devenir bobonne à la
maison.

J'aurais bien aimé avoir trois jours
vrais pour écrire, mais cela n'était pas possible car je
n'aurais rien gagné. Et même si les fonds à venir de mon aïeule
me l'auraient permis (chose douteuse), jamais je n'aurais pu accepter
de le faire en imaginant la Cadette et son baluchon expulsés du
syndic, Bécassine sombrant dans la dépression en apprenant l'âge
de la retraite repoussée à 67 ans par solidarité avec les Grecs,
Cléa Culpa se brisant le dos en déplaçant un cageot de butagaz
obstruant sa caisse ou…

J'ai ouvert mon ordi, oubliant
totalement le saint patron et son mandat de prise de contact. A quoi
bon, après tout, puisque la rate au gros ventre s'apprêtait à quitter le
navire..

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