La retraite à 60 ans ou la mort

Une fois de plus, je pensais faire
celle qui n'en pense pas moins mais s'abstient.

Oui, forcément, j'étais contre le
relèvement de l'âge légal de départ de la retraite (et tutti
quanti), non, je ne ferai pas grève ni n'irai manifester. A quoi
bon, je veux dire, non pas que ça ne servait forcément à
rien mais défiler 2 heures tous les 3 mois ne me semblait pas être
ce qu'on appelle un engagement militant, donc, ne comptant pas faire
plus, je préférais ne rien faire (et sauvegarder une journée de
salaire).

Cependant, la lecture du Libé
de mardi me mit un poil de poil à gratter dans la posture. Récits
d'ouvriers travaillant à la chaîne, cassés à peine les 50 ans
sonnés (si ce n'est les 40), petits employés ou ouvriers (encore),
ayant commencé à travailler à 14, 16, 17 ans, et que les crânes
d'oeufs de l'UMP se voyaient ainsi sans complexe faire trimer jusqu'à
63 ans, malgré leurs trimestres atteints dès 58 ans voire avant.
Chômage des jeunes, des séniors (les vieux en forme quoi), aucune
véritable réflexion d'ensemble sur les moyens, les nouvelles
recettes, bouclier fiscal et députés cotisant double pendant leurs
3 premiers mandats… et allons y, amusons nous folle ville!


Je suis resortie de la rame,
fulminante. Arrivée au boulot, Bécassine m'a cueillie par un, ah
les chiens, ils ne me lâcheront donc pas avant 63 ans!, vous faites
grève demain alors finalement? j'ai rétorqué, pas question,
elle a glapit, je les hais mais je voterai quand même pour eux
en 2012, en plus, j'ai bien TROP de travail pour me permettre de
faire grève un seul jour, moi!

A d'autres, j'ai pensé. En tout cas, le fléau de la balance a
commencé à pencher sérieusement du côté de la grève. Ce qui
m'éviterait qui plus est de me lever le jeudi pour ne travailler
qu'une matinée, et me permettrait ainsi de cravacher pour le
concours de nouvelles réservé aux femmes berrichonnes et autres que
j'avais relevé sur Internet.

Oui, mais à condition d'aller à la
manif, me glissa perfidement Claudie von der Truyot qui photocopiait
avec rage ses dossiers de commission, sinon c'est zéro, ça ne
compte pas, tu ne seras pas décomptée… Dans ton état cependant,
admit soeur Sourire qui passait part là, et qui était déléguée
du personnel affiliée à la branche molle de la CFDT, on comprendra
va, que tu préfères rester faire la sieste chez toi pendant que les
autres marnent sur le pavé…

Quand à 15 h 00, ayant pris ma
décision, j'annonçai à la fois fière et honteuse à la Cadette
que je comptais faire grève demain, cette dernière haussa les
épaules avec mépris.

  • Comme s'il n'y avait pas des
    choses plus importantes tiens… lâcha-t-elle d'un air irrité.

  • Y a toujours des choses plus
    importantes, je protestai, et ça n'est pas que la retraite à
    60 ans, c'est, c'est… tout un ensemble!

  • Un vaste fourre-tout quoi… elle
    a ricané.

  • Il faut bien savoir dire non
    parfois, j'ai grogné, pas toujours être ok ok ou ça sert à
    rien…

Mais fume, elle avait déjà remis son
casque sur les oreilles. Bonne élève va, j'ai ragé intérieurement,
le RA est plus important pour toi que la retraite et le système
qu'on est en train de détruire c'est ça hein? Eh bien bosse, brave
petite soldate, fais ta parfaite, moi j'irai défendre ta retraite,
j'ai grondé intérieurement avant que de m'y remettre.

Plus tard, Bécassine à qui j'annonçai
la chose, me rétorqua :

  • Eh bien bien oui, vas y, si ça
    compte pour toi… de toute façon, la retraite ça n'est pas
    vraiment un problème pour toi…

  • Ah bon et pourquoi? Je lui ai
    demandé.

  • Quand on travaille à 70% et qu'on
    n'a pas de loyer à payer, c'est qu'on a des rentes derrière… tu
    t'en sortiras toujours, va!

  • C'est pas aussi simple que ça,
    j'ai protesté, et puis, et les autres hein? La solidarité, ça
    vous dit quelque chose?

  • Ah, elle a gloussé, c'est que
    mademoiselle a une conscience… mademoiselle va descendre avec les
    malheureux dans la rue pour défendre leurs retraites, sans compter
    que mademoiselle est enceinte… c'est presque de la sainteté ça…

  • Tiens à propos de sainteté, j'ai
    fait saisissant la balle au bond, j'ai entendu dire que le saint
    Patron, l'Ensoutané lui-même, allait se mêler au cortège, sous
    la bannière de l'amicale des retraités de l'Eglise orthodoxe, en
    signe de solidarité contre cette réforme qui non seulement va les
    forcer à trimer jusqu'à pas d'âge mais ne leur vaudra qu'une
    dérisoire pension…

  • Non? A sursauté Bécassine.
    Quasimodo fait grève?!

  • C'est ce qu'on dit…

Et sur ces mots, je me suis enfuie.
Tout ceci me rappelait furieusement les manifs de lycée où quelques
conscientisés à la cervelle bien formatée par leurs aînés, décidaient
superbement de qui en était (des leurs) et qui n'en était pas
(bougerois, fils à papa ou chien de garde du grand Capital). Mais au
bout du compte, si vous étiez de la partie, on vous accusait d'être
une suiviste, ou bien de jouer les bonnes bourgeoises révoltées, et
si vous ne faisiez rien, vous étiez une autre sorte de mouton, la
fayote sans conscience, docile et bien dressée, la pauvre fille
quoi.

Avec tout ça, on était déjà le 27
mai. Sous la pluie, je suis donc partie scrupuleusement rejoindre le
cortège à mi-parcours (je suis enceinte après tout) en me disant
que si j'en faisais déjà une moitié, ça serait bien suffisant aux
yeux du Dieu social. J'ai marché parmi des vieux (retraités sans
doute culpabilisés et venus soutenir ceux qui cotisaient pour eux)
et des jeunes profs remontés bien que tempérés, et quand ça a été
fini, j'ai eu le vague sentiment du juste devoir accompli, même si
finalement, je n'avais marché qu'une heure et même pas sous la
pluie, et qu'arrivée à Bastille, il n'était que 16 h 30 et que
j'ai aussitôt filé par le métro le plus proche.

Avais-je suffisamment payé mon écot à
la défense du Système? Il me faudrait sans doute attendre le
jugement dernier de l'Intersyndicale des Gens Engagés Dans La Lutte et la Résistance pour le savoir…

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