J’attends Aveline à la fée verte

J'attendais Aveline à la fée verte.
Aveline devait en effet m'y rejoindre, ayant réussi à trouver un
créneau entre l'otite de Pomme et l'angine de Prune, tandis que son
semi-maori continuait à faire de courtes apparitions sur la ligne
Paris-Aukland, accumulant dans le même temps, un nombre de points
vol qui ne pourrait que faire chuter sa compagnie nationale lorsqu'il
viendrait à les utiliser.

Sur fond de Bowie (euh plutôt à fond
le Bowie), je suis tombée en ouvrant mon ordinateur sur les
confidences de Jérôme Kerviel sur yahoo.

Jérôme Kerviel, J'ai joué un
personnage. Jérôme Kerviel, je jouais sans plus pouvoir m'arrêter.
Jérôme Kerviel, mes supérieurs ne pouvaient pas ne pas être au
courant. Jérôme Kerviel, Let's dance, ah non ça c'est la baffle
dans mes oreilles, Jérôme Kerviel, Je suis victime d'une anomalie
aberrante du système. Jérôme Kerviel, C'est la faute à pas de
chance, je ne suis ni responsable ni coupable. Jérôme Kerviel, On
n'enferme pas en prison les malades d'un système.


Maintenant, Bowie avait cédé sa place
à Cure. En levant les yeux, j'ai vu qu'une demie-heure après,
Aveline n'était toujours pas assise en face de moi qui, pourtant,
m'étais extraite de mon canapé rouge à grand peine pour venir
profiter de sa présence par éclipses depuis une année maintenant.
Ça n'était pas un Aukland-Paris, certes, mais moi, je n'étais pas
le père de sa paire de, alors quoi?

Jérôme Kerviel, Je ne suis pas ce que
ce déguisement de trader-boy peut laisser supposer. Jérôme
Kerviel, J'étais une bonne danseuse jusqu'à ce que ma cheville
lâche. Jérôme Kerviel, J'ai été laissé seul avec moi-même et
j'ai perdu les pédales. Jérôme Kerviel, Ma banque m'a laissé
faire tant que mon tapin lui rapportait. Jérôme Kerviel, J'envisage
de monter une association de défense des traders exploités. Jérôme
Kerviel, Les petits épargnants et moi-même, nous partageons
désormais la même impossibilité de découvert.

Trois quart d'heure de retard. La fée
verte est agitée, bruits de saucoupes, balais sous mes pieds, Robert
Smith dans mes oreilles, et pas de conversations croustillantes à
mes côtés. Juste Jérôme Kerviel comme compagnie. Je regarde mon
portable. Aucun message d'Aveline et elle est injoignable. Mince, ça
ne lui ressemble pas. Serait-ce un énième coup du semi-maori? Ils
avaient rompu sans rompre, disons que quand il venait chez elle,
enfin chez sa mère (heureusement toujours entre ses cinq demeures et
ses trois vies) elle lui serrait la main et elle lui interdisait de
manger dans son assiette comme de venir ronfler dans son lit, de
toute façon généralement occupé par une des paires de, qui ses
angoisses, qui son nez bouché ou sa fièvre galopante.

Jérôme Kerviel, Je n'ai jamais aimé
empocher tous ces bonus. Jérôme Kerviel, J'aurais voulu être le
Robin des Bois de la Finance. Jérôme Kerviel, J'ai retrouvé le
sens des vraies valeurs. Jérôme Kerviel, Cette épreuve m'a fait
découvrir un univers que j'ignorais jusque là, l'écriture. Jérôme
Kerviel, au fond, j'ai toujours été un artiste. Jérôme Kerviel,
J'ai tout plein d'idées de romans. Jérôme Kerviel, Je pense
demander une bourse d'écriture au Syndicat du crime ès livres.
Jérôme Kerviel, je n'ai jamais rien lu d'autre que La finance
pour les nuls
, mais j'envisage de lire La princesse de Clèves
dès que tout ceci sera terminé. Jérôme Kerviel, Entre Proust et
moi, après tout, il n'y a qu'une différence de départements.

Une heure de retard. Aveline, tu
charries, et en plus t'es sur répondeur. J'ai une sirène de Samu
coincée dans les tympans et le temps vire à l'orage. L'idée de
remonter ma pente jusqu'à mon immeuble sous des trombes d'eau me
donne envie de me coucher sur mon banc de bois et de faire la sieste
que j'envisageais de faire avant qu'Aveline ne m'appelle en
catastrophe, j'ai deux heures de libre, vite! En plus, les
confidences de Jérôme Kerviel m'indisposent, d'autant plus qu'à
cause de lui, A a perdu la moitié de son patrimoine boursier. Vous
me direz, bien fait pour lui, hein, à mort la Bourse, le capital,
etc. Sauf que c'est sa seule possession, mise à part moi et son
fils, et qu'en vivant sur un petit pied, il comptait retarder son
immersion totale dans le marché du travail. Ce qui moi, me laissait
une sorte de garde-fou avec un jules disponible pour s'occuper du
mouflet et étendre la lessive.

Jérôme Kerviel, J'aimerais aussi
faire du cinéma. Jérôme Kerviel, Je me suis laissé dire que
j'avais un petit côté Robert Redford (jeune). Jérôme Kerviel, Ma
mère trouve que je ressemble à Paul Newman (enfant). Jérôme
Kerviel, Acteur et écrivain, je crois, oui, je crois profondément
que c'est mon Destin. Jérôme Kerviel, Si je peux faire du bien aux
autres en écrivant et en tournant des films, pourquoi ne le ferai-je
pas? Jérôme Kerviel, Le Nobel de littérature, non, tout de même,
ce serait un beau rêve mais je n'y crois pas (trop).

Une heure quinze de retard. Un appel
enfin d'Aveline.

  • Ohlala, heureusement que je
    t'attrape avant que tu ne partes!

  • Euh… c'est que je suis au café
    depuis plus d'une heure déjà!

  • Tu arrives en avance maintenant?
    Ben dis, c'est nouveau ça…

  • On avait dit 14 H 00 Aveline, et
    il est 15 H 15!

  • Ah bon… qu'importe de toute
    façon… je crois bien que Prune a attrapé la scarlatine… à
    moins que ce ne soit une coqueluche… ou le paludisme nord
    continental…

  • Euh ça fait des symptômes assez
    différents non tout ça?

  • Aucune idée! Peter devrait
    arriver dans une ou deux heures avec un médecin maori qu'il a
    rencontré dans l'avion, j'en saurais plus… mais du coup, désolée
    ma vieille, je ne peux pas venir! impossible!

  • Ah…

  • Je suis vraiment désolée, pour
    une fois qu'on pouvait se voir… c'est vraiment râlant! J'en peux
    plus de touts ces maladies et je voudrais me coucher dans mon
    cercueil pour pouvoir dormir un bon coup en étant sûre que
    personne ne me réveillera…

  • Bon, t'inquiète, j'ai repris
    compatissante, je passerait chez toi un de ces quatre…

  • ok, cool, et toi, tu vas bien?
    T'as fait quoi en m'attendant?

  • Oh rien de spécial… j'ai
    discuté avec Jérôme Kerviel.

  • Ah très bien, passe lui le
    bonjour de ma part.

Et elle a raccroché.

Au vu de ses épreuves, comme dirait
l'autre, elle ne devait même pas savoir qui c'était, la pauvre,
qui ne pouvait même pas envisager d'écrire un témoignage sur sa
terrible expérience de mère célibataire à paire de (banal et sans
intérêt). A moins qu'elle ne me voit faisant partie, désormais, de
celles qui peuvent discuter une heure durant avec un ex-trader
repenti comme le loup qui jurait qu'il n'aimait décidément plus
l'agneau… et que cela ne l'étonne pas plus que ça.

Déprimant.

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