Vierge trempée et roms évacués

Dimanche 15 août, mais
ça pourrait être la Toussaint, la froidure en plus. Après une
semaine de gris, qui a suivi une semaine de gris il est vrai
entrecoupée d'éclaircies, qui a elle-même fait suite à une
semaine de gris certes très entrecoupée d'éclaircies, voilà qu'il
pleut comme au temps du patriarche Noé.

On ne nous prédit pas 40
jours de flotte mais au moins une semaine. Une de trop.

J'imaginais un été
montreuillois bleu et ensoleillé, des piques niques, des virées à
Paris plage, d'autres à la piscine, histoire d'entrer à la
maternité pour accoucher, peau mat sur draps blancs, mollets fermes
(la piscine) enfoncés dans les étriers, prête à affronter une
nouvelle fois la douleur inimitable de la mise à bas, mais également
la suite des évènements avec une provision de bonnes couleurs qui
m'évitera de ressembler à cette sorte de rescapée du radeau de la
méduse que j'étais après la naissance et surtout, les premiers
mois du Zébu.


Dimanche, la sainte
vierge qui grimpe au paradis, la pluie, la non muse très active ces
derniers temps, il suffit que j'ouvre l'ordinateur pour qu'elle saute
sur mes genoux, le Zébu qui tourne en rond, Tchoupi et ses bêtises
en boucle sur l'ordi, et A qui me dit en rangeant les courses du
marché que j'ai accomplies dans un accoutrement digne d'élephant
man, qu'il va nous tuer tous les deux pour changer de vie (il
plaisante bien sûr… quoique).

Moi aussi je pourrais
tuer. Mon bilan d'été et d'auteur n'est guère fameux. Enlisée
dans une nouvelle, j'ai commencé à aller voir ailleurs ce qui en
général se traduit par une fuite en avant et en bout de fuite,
rien, puisque qui trop embrasse, mal étreint. La non muse est très
satisfaite, je respecte désormais scrupuleusement l'heure de sieste
pour faire ce qu'on doit y faire, dormir. Cela vaut toujours mieux de
zapper deux heures d'écriture pour accoucher, à terme, d'un bébé
en bonne santé, elle me dit comme si elle y connaissait quelque
chose, et en général, elle rajoute, oh et puis après tout, tu
auras tout ton temps après… avec ton congé parental! Zygomar(e)
sera sans doute plus facile que Zébulon! Enfin, je te le souhaite…
tu arriveras peut-être à en boucler une (de nouvelle).

Dimanche, la sainte
vierge qui n'en finit plus de monter au ciel, la pluie, les
évacuations de campements roms sous la pluie. 80% des Français y
seraient favorables selon un sondage, dixit A qui a lu ça sur
Internet. Difficile tout de même de croire que nous en sommes
arrivés à ce que 80% d'entre nous trouvent normal que l'on réveille
des hommes, des femmes, des enfants au matin pour les « disperser »
à coups de menaces et de coups. Je veux bien qu'un été pourri
rende irascible, que la perspective de régler ses impôts en
septembre tout en retrouvant un emploi menacé quand bien même
inepte, pousse à se défouler sur une population par ailleurs peu
sympathique (que beaucoup ne côtoient cependant que dans le métro),
mais de là à affirmer, à 80%, qu'on est d'accord pour les virer
comme ça…

Angélisme. Bonnes âmes.
Accueillez les chez vous. Voilà à quoi il va falloir s'attendre si
on fait partie des 20%…

  • Je n'aime pas qu'on
    fasse subir ça à des gens, soupire A, même s'il est vrai que
    cette population n'attire franchement pas la sympathie sur elle…
    sans compter qu'on ne peut le nier, les vols alentour ont
    augmenté… l'instit du premier en a encore vu deux, planqués dans
    un coin du parking, qui mataient les balcons de l'immeuble l'air de
    dire…

Sûr. On aimerait des
victimes plus… attractives. Pour ce faire, j'essaye de penser au
cercle non vertueux qui fait de celui qui est humilié, rejeté et
sempiternellement considéré comme un voleur de poules sale et laid,
quelqu'un de fatalement marginal, violent et voleur de poules sale et
laid. Y a bien ma bonne mamie rom du Franprix à qui achète de temps
à autre de l'huile, des gâteaux bio (après hésitation…
difficile de se payer pour soi du bio et du discount pour l'autre),
du sens bon pour sa caravane et du produit pour ses vitres aussi,
mais il y a aussi l'homme à la poussette et à la mouflette
crasseuse qui, à chaque fois que je le croise et que j'ai le malheur
de poser une demie seconde de trop les yeux sur eux pour m'assurer,
par exemple, que la gamine est toujours aussi crasseuse, se met
aussitôt à geindre, une tite pièce s'il vous plait madame
avec un air éploré de Madone à qui on a refusé l'entrée des
cieux le 15 au matin et qu'on laisse à la porte, sous la flotte.

  • Et puis, on ne leur
    a rien demandé, à ces roms, proteste Cléa Culpa, ils arrivent
    d'un pays avec lequel on n'a rien à voir, qui n'a jamais rien fait
    pour eux et s'est toujours débarrassé de ce problème à bon
    compte sur les autres… chacun sa merde, après tout!

Certes. Mais ça ne
justifie pas l'art et la manière.

  • Mais tu voudrais
    quoi? Qu'on leur dise gentiment de partir, qu'on les aide à plier
    leurs affaires et qu'on leur paye même un taxi pour Roissy?

Ma foi. Ce serait
toujours mieux qu'une rangée de CRS menaçant de séparer les
enfants de leurs mères si jamais les adultes ne se montrent pas plus
raisonnables… raisonnables au nom de quoi? Qu'ont-ils à perdre?
Rien. A gagner? Encore moins. Quelque part, ça me rappelle ce que
disait un djihadiste, on sera les plus forts parce que nous, on n'a
rien à perdre,  y compris la vie, donc la mort ne nous fait pas peur… contrairement à
vous. C'est vrai que les roms, malgré tout, ont plus à gagner à
rester en France, au besoin en voguant de campement sauvage en
campement illicite, que de rentrer chez eux, qui ne semble pas être
si chez eux que ça, soit dit en passant.

  • Ah ça, les roms
    pourront toujours compter sur les bobos pour verser des larmes de
    crocodile sur leur sort… c'est pas eux qui les ont sous le nez!
    Peste Cléa Culpa. Non mais t'as vu, on les a installés dans le
    Haut Montreuil, la partie la plus pauvre de la ville, entre barres HLM et
    cités pourries… tu trouves ça normal?

Admettons. Sachant que
nous, pas pauvres, nous les avons eu longtemps quasiment sous le nez
puisqu'ils créchaient à deux pas d'ici. Et puis, comment s'en
sortir. Les pauvres ont droit de rejeter les roms parce qu'ils sont
pauvres. Les riches n'ont pas le droit de s'apitoyer sur leur sort
car cela fait « bobo », « larmes de crocodile »,
« bien pensants », « bonne conscience » et je
vous en passe. En résumé, personne ne peut ni n'a le droit de
s'indigner du sort qui est fait à ces malheureux, antipathiques
certes, non désirés, d'accord, et à qui, après tout, on ne doit
rien, au contraire de ces Africains et de ces Maghrébins que l'on a
colonisés, puis fait venir par fournées entières pour bâtir la
France des années fastes et que l'on voudrait bien voir désormais
rester chez eux, d'accord une fois encore, mais qui sont, tout de
même, ces roms, des êtres humains comme le rappelait une vieille
dame très digne à une réunion de quartier. Et devant donc être traités comme tels.

  • Que proposes-tu
    alors? Me demande la non muse, en baillant.

Eh bien. Expertiser tous
les terrains disponibles, notamment dans les zones dites riches.
Installer des campements dignes de ce nom. Que les mairies
bourgeoises, j'ai bien dit bourgeoises, il n'y a pas que les bobos,
prennent leur part du fardeau. Des campements encadrés, gérés,
avec un suivi des familles strict et régulier, et.

  • Ah ma belle enfant,
    glousse Cléa Culpa, tu peux être sûre que là où tu en aurais
    mis le matin 20 de familles, tu en retrouveras 40 le soir même!

En ce cas, effectivement,
les virer du terrain.

  • Et comment? Glousse
    de plus belle, Cléa Culpa. En leur chantant une berceuse? Par
    iciiiiiiiiiiiiii, la sortiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiie…

Tu m'emmerdes. Non, en
passant contrat avec un représentant du campement qui s'engagerait à
ce qu'aucun autre de ses euh collègues ne viennent s'installer sur
place, et en ce cas, prendrait la responsabilité d'une évacuation par
la force, à laquelle il pourrait être amené à participer pour la
rendre eh bien moins rude, à moins qu'il ne veuille se voir évacué
de son côté et…

  • Oh la jolie
    mentalité! S'esclaffe Cléa Culpa. Oh la belle collaboration, et le
    croquignolet chantage!

Dimanche 15 août, la
pluie tombe toujours, je renonce à poursuivre la conversation,
d'autant plus que le Zébu vient de se lever, d'une humeur de dogue,
exigeant toutes affaires cessantes de sortir faire de la moto sous la pluie, et pour appuyer
son propos, jetant chaque objet à sa portée par terre, tel Attila
passant avec ses gros sabots sur le gazon des pays conquis.

Nous sortons donc,
longeant l'ancien terrain vague que nos voisins roms occupaient
encore jusqu'au printemps et où les herbes sauvages ont déjà tout
recouvert. Impossible de deviner qu'il y a seulement trois mois, des
familles entières vivaient ici… Cléa culpa est restée à la
maison, tant mieux, mais la non muse m'accompagne, histoire d'être
sûre que, suivant Zébu et sa moto, je n'ai absolument pas le
moindre espace mental libre pour tenter de conclure une nouvelle qui
se filandre sous mes doigts.

Dimanche 15 août, la
pluie, encore la pluie, le gris, les pieds mouillés dans les
sandales, faites juste que je n'accouche pas là, je n'en aurais pas
l'énergie. Ca ira mieux demain, va.

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