Sein ou biberon (brûlera, brûlera pas?) 1

Une
fois l'enfant paru, se pose la question fondamentale de son
alimentation. Sein ou biberon? Telle est la question… qui frise
parfois la guerre de religion entre les passionaria du téton,
symbole de la supériorité de Dame Nature sur l'Industrie chimique,
et les militantes de la bouteille à tétine, Hérault de la
libération de la Femme.

Quand
j'ai parlé à la grande Simone de réitérer avec la Zouflette une
alimentation naturelle, c'est à dire au sein…

  • Naturelle,
    naturelle… qu'est-ce qui est naturel dans notre société hein?
    Nous ne sommes que Culture et Civilisation, Mimi! Vois-tu des
    animaux homosexuels? Non, si, parfois?! Tu vas bientôt me soutenir
    qu'aucun animal n'étant gay, ce n'est donc pas naturel donc
    pas normal, donc à proscrire! A bannir! A tuer!!!

malgré
les difficultés rencontrées avec le Zébulon, au motif que tout est
plus facile la seconde fois…

  • Mais
    quel temps vas-tu avoir pour toi, Mimi? Avec cette technique, c'est
    open bar à volonté,
    et mère corvéable à merci… l'idée de te voir nuit et jour, la
    petite pendue à ton sein, te tenant ainsi tristement éloignée
    de ton emploi de bureau… sans parler de ta (soit-disant) vocation
    d'écrivain… me déçoit et me navre et me…

et
qu'en conséquence, c'était plutôt une bonne idée de retenter le
coup. D'allaiter.


Quoiqu'il
en soit, suite à cette décision, l'allaitement, se
sont succédées à mon chevet, façon visiteuses bibliques, les militantes du saint téton talonnées par celles du
non moins saint biberon, en une véritable bataille idéologique
quand il ne s'agissait après tout que de remplir un estomac de bébé
durant les premiers mois de sa vie.

J'ai
tout d'abord eu droit à la visite des partisanes du saint téton, en
la personne de Madame du Bonnetcentdé, conseillère ès lactatation
à la Ligue du bon Lolo, à laquelle j'avais eu le malheur de faire
appel afin de m'assurer que je faisais les choses convenablement,
tant nous sommes, femmes occidentales, dénaturées au point de ne
plus être certaines de savoir arrimer un téton à une bouche de nourrisson.

  • Madame
    Chotek… laissez-moi tout d'abord vous féliciter… vous avez
    incontestablement fait le bon choix, pour vous et votre enfant…

Ah.

  • En
    effet, allaiter est ce qu'il y a de sub-meilleur pour votre bébé
    et ce, jusqu'à son entrée au Cp (si vous êtes du genre peu
    motivée)… sinon, à tout le moins, jusqu'à son baccalauréat (si vous
    êtes véritablement une bonne mère)!

  • Si
    tard que ça…?

  • Qu'est-ce
    que dix-huit années au regard d'une vie qui, actuellement, peut se
    prolonger jusqu'à cent années?!

  • Certes…

  • Surtout
    avec l'allaitement! En effet, sachez, madame Chotek, qu'allaiter ne
    présente que des avantages…

S'en
est alors suivie une liste longue comme quarante tétons emboutés des
bienfaits de l'allaitement par téton interposé que j'ai dû
écouter, sans broncher, assise stoïquement sur mon canapé, luttant
contre la douleur qui irradiait depuis mon coccyx que la Zouflette
avait été obligée de déplacer d'une main pour pouvoir accéder à
la sortie.

Tout
d'abord… allaiter protège des maladies. Allaiter réduit ainsi par
dix le risque de gastro, par vingt, celui de bronchiolite, par cinq,
celui de bégayer,quand par ailleurs, allaiter diversifie les goûts
alimentaires, le bébé ne mange pas tous les jours la même chose,
vous fabriquez ainsi un enfant facile, qui mangera de tout plus tard.

  • Même des fruits? Non, parce que son frère, qui a été allaité, ne veut pas manger de…

Allaiter
rend plus humain, Brice Hortefeux par exemple n'a jamais pris le sein
enfant, et on en voit le résultat. Allaiter rend aussi plus
intelligent, Raymond Domenech n'a connu, petit, que le biberon et là
encore, on voit le résultat. Allaiter favorise l'écoute d'autrui et
la souplesse d'esprit, Nicolas Sarkozy, par exemple, a été privé
dès la salle de naissance du sein de sa maman, et vous conviendrez
avec moi qu'il n'est pas un modèle d'empathie ni d'écoute d'autrui.

  • C'est
    vrai…

Par
ailleurs, allaiter développe la sensibilité artistique du bébé.

  • Ah
    oui?

Tout
à fait. Allaité, votre enfant a ainsi dix fois plus de chance de
devenir musicien ou plasticien, à moins qu'il ne choisisse de
devenir pensionnaire à la Comédie française ou élève au Centre
National d'Art dramatique. Antoine Vitez, Ariane Mnouchkine, Isabelle
Adjani, Picasso et Bertrand Cantat, par exemple, ont tous tété le
sein de leur maman et regardez ce qu'ils son devenus!

  • Mais
    euh, il y a peu de débouchés dans ces domaines là, non?

Eh
bien sachez qu'allaité au sein, votre enfant multipliera également
par dix ses chances d'intégrer Polytechnique ou de devenir
chirurgien gastroentérologue ou bien pilote de ligne. Et il aura dix
fois plus de chance qu'un allaité au biberon de réussir l'agrèg
puis d'être affecté à un établissement scolaire qui ne soit pas
implanté en ZEP.

  • Non?!

Mais
si. Par ailleurs, contrairement à ce que prétendent les féministes,
allaiter évite de salir des tas d'ustensiles (biberons,
stérilisateur, casseroles…), donc allaiter
libère du temps pour vous
. Par ailleurs, allaiter permet aussi
de faire des économies, quand on voit les prix pratiqués par
l'industrie du lait infantile et artificiel, c'est peu de le dire!
Vous pourrez ainsi profiter et de ce temps et de cet argent dégagés
pour aller au cinéma ou écouter une conférence sur l'alimentation
bio-durable du bébé quand sonnera l'heure de sa diversification
alimentaire. Par ailleurs…

Par
ailleurs, il était 13 h 02 et j'aurais bien déjeuné, moi. La
radio, en arrière fond, racontait qu'un illuminé charismatique, un
pasteur wasp, promettait de faire brûler 200 corans le lendemain,
eleven september in memoriam, au motif que… Que quoi? Que ça lui
ferait du bien au moral, que ça dégagerait un peu d'espace dans sa
bibliothèque, que ça serait une façon originale de non-fêter ce
triste événement?

Et
je ne vous parle pas de la liberté de mouvements! A alors glapi la
grosse assise sur mon sofa. Vous emportez certes bébé partout avec
vous, pour pouvoir le nourrir à la demande, mais bébé ne prend pas
beaucoup de place, bébé est si petit et si mignon… vous en
oublierez sa présence, collé dans l'écharpe contre vous, et vous
pourrez ainsi voguer de cafés en expositions, de déjeuners avec les
copines en apéros avec les copains.

  • A
    propos de copains… allaiter, ça euh… n'abîme pas trop les
    seins…?

Sornettes!
Si vous disposez convenablement bébé au téton, vous n'aurez ni
crevasses ni plaies ouvertes ni abcès ni écoulement putréfactant!

  • Glups…
    mais euh… ça ne favorise pas leur… chute?

Quelle
chute? Un sein est fait pour tomber, c'est la loi de la pesanteur! Ne
vous y opposez pas stérilement, ce serait aussi stupide que de
vouloir arrêter la course d'une étoile filante ou un convoi de
Cégétistes en marche sur l'Élysée. Vos seins tomberont de toute
façon, alors autant qu'ils tombent utilement!

  • Oui
    mais…

Ne
faites pas ça, suppliait le président des USA. Ne brûlez par ces
200 Corans, sinon, ça va faire encore des tas de morts inutiles!
Soyez raisonnable, soyez euh chrétien! Le pasteur pyro-coranomane
disait qu'il allait réfléchir mais qu'en attendant, à 13 h 24, il
était toujours décidé à pratiquer cet autodafé.

Et
puis, si vous êtes soucieuse de votre anatomie, a poursuivi
imperturbablement madame Bonnetcentdé, sachez qu'allaiter remet
naturellement, sans effort, sans salle de gym ni autre lieu de
torture, votre utérus à sa juste place, et fait dégonfler votre
ventre, et fondre vos kilos surnuméraires et ce, alors que vous
mangez comme quatre! Vous allez pouvoir vous empiffrer en toute bonne
conscience. Cela profite à votre bébé et vous, vous ne grossissez
pas, au contraire, vous maigrissez!

Sur
ces mots, Madame Bonnetcentdé s'est enfilé d'un seul coup tous les
petits gâteaux gars et sucrés de fin de Ramadan que j'avais achetés
et m'a fait ensuite signer, là, en bas à droite, un engagement
d'allaiter pour une durée minimum de six mois selon les
préconisations de l'OMS.

  • Madame
    Chotek, vous avez fait le bon choix, bravo! Sachez que vous pourrez
    toujours compter sur nous en cas de mastite, abcès, engorgement ou
    au contraire, tarissement de votre lait… nous vous trouverons
    toujours une solution et si jamais un obscur pédiatre ou médecin
    de ville exige que vous stoppiez l'allaitement pour un de ces motifs
    ou parce qu'il vous administre un antibiotique incompatible quand le
    compatible EXISTE, bien sûr… appelez nous IMMEDIATEMENT… nous
    viendrons lui casser la gueule et lui péter les couilles!

Carrément.
La passionaria du téton est enfin partie, je me suis fait un plat de
nouilles. Brûlera, brûlera pas? A 13 h 38, la veille du 11, il
affirmait toujours que oui malgré un Obama littéralement à genoux
devant lui. Driiiiiiiiiiiiing.

Alors
que je m'apprêtais pour ma sacro-sainte sieste, la sonnette a
retentit. J'ai fait la mère morte. Driiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiing. La
sonnette insistait. J'ai donc dû, en grognant, aller ouvrir la porte
pour me retrouver en face de deux ardentes militantes pro-bibi
reconnaissables à leur badge (un sein barré et un biberon en statue
de la Liberté). Comment avaient-elles eu vent de mon existence et de
ma toute nouvelle et bis maternité?

Mystère…
J'ai voulu refermer tout aussitôt la porte mais, coup classique,
l'une d'elles avait déjà coincé sa mule à talon dans le
chambranle.

  • Vous
    permettez…? Elle m'a fait la grognasse, en donnant une violente
    poussée à la porte.

J'ai
préféré obtempérer, surtout que l'une des ardentes passionaria du
biberon n'était autre que la soeur de la grande Simone, ma tante,
Elisabeth Babater. Quant au pasteur corano-pyromane, voilà qu'à 13
h 56, il imaginait éventuellement de renoncer à son geste.

  • Comment
    vas-tu ma nièce? M'a demandé ma tante d'un ton ardent. Tu n'as toujours
    pas repris le travail?

  • J'ai
    accouché il y a une semaine, tante Babeth… j'ai protesté.

  • Une
    semaine! Elle a couiné. Autant dire un siècle! Tu dois être
    impatiente de retourner dans le grand dehors non?

  • Non,
    j'ai affirmé, d'autant plus que j'allaite.

Ai-je
précisé, non sans une secrète jouissance.

  • Tu
    quoi?! Elle a braillé.

  • J'allaite,
    j'ai confirmé.

  • Mais
    pourquoi? Elle a gémi. Pourquoi fais-tu ça? Avec tous les diplômes
    que tu as!!!!

  • Je
    ne vois pas bien le rapport, j'ai rétorqué.

  • Moi
    non plus, a repris sa compagne, celle à la mule bloquante, si ce
    n'est qu'être aussi éduquée pour finalement se retrouver à
    nourrir son enfant à la mode préhistorique me semble
    parfaitement… incohérent. Connais-tu seulement tous les avantages
    qu'offrent une alimentation au biberon?

Tu.
D'où je la connaissais celle-là?

Elles
se sont alors assises autour de la table et ont extrait des brochures
de leur baise-en-ville. S'en est suivi une liste longue comme
quarante biberons mis bout à bout des avantages indubitables offerts
par une alimentation artificielle, j'insiste sur le terme.

La
liberté bien sûr. Le père peut enfin servir à quelque chose, même
une gourde d'homme sait tenir un biberon et faire faire un rôt.
Pendant ce temps là, la mère peut enfin vivre un peu pour elle, en
lui repassant ses chemises ou en frottant ses carreaux mais non je
plaisante, en sortant dans le grand dehors pour aller s'acheter un
bon livre en librairie ou assister à une réunion du parti
socialiste de son secteur.Ou de la woman lib. 

  • Oui
    mais…

L'hygiène
et la santé ensuite. Le lait est propre, le biberon aussi,
contrairement au sein et au lait qui en sort, imbibé d'insecticides
et de pesticides quand le lait industriel, lui, est fait à partir de
lait bio, si on y tient, et additionné d'éléments, oligo ou
autres, qui l'enrichissent et promettent d'autant une meilleure
protection de l'enfant contre les maladies et les allergies.

  • Justement,
    à propos d'allergies, j'avais cru comprendre que…

La
beauté mammaire ensuite. Le sein est ainsi épargné par la bouche
vorace de l'enfant qui, tirant sur le téton, le déforme, comme il
déforme le sein en s'obstinant à le tirer vers le bas pour en boire
le lait, de la même manière, a précisé la copine de ma tante, le
veau s'excite sur le pie de sa mère la vache.

Veau.
Excite. Le saint-brûleur de Coran promettait finalement à 14 h 34
de carboniser absolument ses 200 exemplaires de littérature
musulmane le jour J du 11 septembre quelles qu'en soient les
conséquences et puis merde.

  • Et
    puis, a repris ma tante Babeth, pense aux séances de ciné que tu
    pourras faire en laissant à ta feignasse de jules la petite…

  • Je
    trouve ça égoïste, j'ai rétorqué, préférer aller se payer une
    toile plutôt que de transmettre mes anticorps avec mon lait à la
    Zouflette, je ne suis pas sûre que…

  • Mais
    puisqu'on te dit que le lait industriel est un lait meilleur que le
    celui de tes nibards! S'est excité l'autre militante.

  • Sans
    compter qu'avec un biberon, tu sais exactement ce que la petite a
    pris… a insisté ma tante en me caressant le dos de la main. C'est rassurant, tu avoueras, toi si soucieuse de la bonne santé de ton enfant…

  • Sans
    oublier qu'avec un lait en poudre, régurgitations et reflux, ces
    deux maux qui font si mal à ta fille disparaîtront très
    certainement… a enfoncé le clou sa compagne.

  • Ah
    bon? J'ai demandé, soudain ébranlée.

La
nature était-elle donc si mal faite que le lait de l'industrie,
seul, parvenait à supprimer les maux naturels d'ingurgitation du
nourrisson? Voir la Zouflette se tordre de douleur après certaines
tétées n'était pas un heureux spectacle, même pour une mère
moderne, comprenez, sans aucun instinct maternel avéré.

  • Mais
    oui! Ont-elles répondu en chœur. De même que les coliques!

  • Comment
    ça?

  • Lait
    artificiel, coliques à la poubelle!

  • J'hésite…

A
fait entendre dans le poste le saint-brûleur de Coran.

  • Je
    ne mettrai peut-être pas ma menace à exécution… finalement…
    je vais réfléchir…

J'ai
dit que moi aussi j'allai réfléchir et qu'en attendant, je les
priais de bien vouloir se retirer, car avec un peu de chance,
j'aurais droit à une petite demie-heure de sieste avant que la
Zouflette ne réclame le sein (ces deux derniers mots à peine émis
dans un souffle). Pour les motiver, je leur ai suggéré d'aller
faire un tour à la Maison des femmes de Montreuil, sur le chemin du
métro, elles pourraient ainsi y laisser des prospectus et discuter
plus avant avec la Responsable, une ex-soixante-huitarde qui animait
des ateliers sur le harcèlement sexuel et l'alimentation au biberon.

  • Je
    ne vois pas bien le rapport… a protesté ma tante d'un air
    soupçonneux.

  • Eh
    bien justement, j'ai répliqué, vas y voir et tu comprendras…

Sachant
qu'il n'y en avait bien entendu aucun mais j'étais prête à tout
pour pouvoir dormir un peu.

Elles
ont donc fini par partir, non sans avoir fini l'assiette des petites
gâteaux de fin de Ramadan, et accompagnées des promesses de
l'autre, le pasteur enflammé qui, après mûre réflexion, s'était
décidé pour accomplir son gigantesque autodafé le lendemain matin
à 11 h 11 très exactement.

Je
me suis enfoncée avec délice sous ma couette, la Zouflette à
portée de main, et de sein, et j'ai rêvé de 200 biberons brûlés
sur un bûcher par madame du Bonnetcentdé, tandis que ma tante et sa
copine de combat tournaient autour en se frappant les seins tout en
psalmodiant Laissez passer les p'tits tétés, à l'instar de ces
pèlerines chiites tournicotant autour du mausolée de l'imam Ali à
Nadjaf, Irak.

One comment on “Sein ou biberon (brûlera, brûlera pas?)

  1. Reply ladenio Sep 26,2010 17:06

    Ah ben moi j\’ai opté pour l milieu : la machine à traitre qui fait un tintouin d\’enfert et que je planquais sous les draps à la traite de l\’aube pour que la voisine ne m\’envoie pas la police. Et comme cadeau de naissance j\’ai reçu une vache en peluche… 🙂

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