Un week-end avec Chabrol

Outre
la tristesse, nous voilà bien embêté : Claude Chabrol, disparu le
12 septembre dernier à l'âge de 80 ans, était tellement goguenard
vis-à-vis des hommages qu'on a…

Samedi,
petit-déjeuner, 8 h 34. Je démarre un article de Télérama sur
Chabrol… que je terminerai dimanche à 23 h 08.

Première
interruption. Zébulon, levé depuis 6 minutes 20 :

  • Maman!
    Maman! La lumière fantôme! La lumière fantôme!!!

  • Hein
    quoi qu'est-ce?!

La
mère, amnésique en toute choses tant qu'elle n'a pas bu son café
du matin.

  • La
    lumière fantôme!!!!!!!!!!!!!!!!!!!! Veux
    voir!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!

Renseignement
pris, il s'agit d'une série de courts métrages Pixar que son père
a eu l'idée de ressortir de ses tiroirs pour s'octroyer une heure
d'égoïste liberté (dont je profite également pour m'épanouir
d'une façon parfaitement individualiste en vidant le lave-vaisselle,
en remplissant le lave linge, en coupant des carottes en deux, etc).
Quoi? Un DVD déjà? A son âge?! J'entends déjà les clameurs dans
les foyers socio-culturellement élevés… Eh bien certes, à son âge, mais
prenez un Zébulon tout empli d'énergie et du désir de profiter au
maximum
de ses parents dans lesquels il voit de supers GO,
parents ayant de leur côté, leur propre désir d'épanouissement
personnel, et vous arrivez vite à user de cette arme fatale, et
libératrice, dont certains vont jusqu'à y recourir 3 heures par
jour tant leur désir d'épanouissement personnel doit être grand ou leurs
tâches ménagères, infinies.

Bref.
J'abandonne mon article, ouvre le placard, sort le film,
l'ordinateur, le pose sur la table, le met en marche… mises à jour
de votre ordinateur disponibles, ne touchez à rien…10 minutes à
attendre que ça charge, puis que ça plante, et hop, c'est reparti
pour tout redémarrer en résistant à la bordée d'injures qui me
monte à la bouche et que la présence d'un jeune mineur m'empêche
hélas de proférer depuis qu'il est en âge de les répéter en
boucle.

Enfin,
le film est chargé et le petit, installé devant. 10 h 05, je
reprend la lecture de mon article.

De
la soupe justement, les médias en ont servi à grosses louchées, la
semaine dernière, à son sujet : le vin, la bonne chère, son…

Ouiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiin.
A propos de bonne chère. Cri de la Zouflette émanant des
profondeurs de l'appartement., il est 10 h 12. C'est l'heure de la
tétée du matin, impossible de lui en vouloir. Puis l'heure du
change, puis l'heure du bain, puis l'heure du rab de tétée, puis
l'heure de la
régurgitation-en-geyser-qui-salit-tout-le-pyjama-propre-et-le-body-en-dessous-ce-qui-fait-qu'il-faut-tout-rechanger,
puis l'heure des coliques qui tordent le ventre du nourrisson,
puis…

  • Maman!
    J'ai faim! C'est rêt? C'est rêêêtttt??????????????????????!!!!!

Le
Zébulon a délaissé la lumière fantôme pour s'intéresser à la
problématique de son estomac et quand celle-ci surgit, il faut de
suite que ce soit « rêt ». Je venais justement de
m'asseoir et de tourner la page 23 de mon magazine, soupirs…
Comment font les mères célibataires? Car A heureusement est là, le
déjeuner est vite « rêt » et c'est à grosses louchées
que nous faisons bonne chère… avec scène du I (entrée) du II
(plat de résistance) et du III (dessert) du Zébu qui aime à
montrer qu'il a du caractère et les qualités d'un futur dictateur
ou rebelle du NPA en refusant d'avaler ce qu'on lui sert. Pour
ensuite abdiquer car on est peut-être ayatollah ou meneur gauchiste
dans l'âme, on en est pas moins proprio d'un estomac peu enclin à
gréver pour servir la Révolution.

14
h 30. La Zouflette et le Zébulon dorment, je vais pouvoir enfin
finir mon article avant que de plonger, à mon tour, dans les bras de
Morphée qui a heureusement remplacé depuis la naissance de la
petite, sa soeur jumelle, la maudite Morphéophobe… Regarder un
Chabrol, c'était se lover avec délectation dans un univers criminel
en ayant la garantie d'un savoir-faire, d'une histoire bien

Driiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiing.

Téléphone.
Le numéro indiqué est celui de tante Dolorès. Crotte, je ne
réponds pas, sinon je suis cuite pour tout l'après-midi.
Driiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiing. J'écoute le message
laissé par cette tata. Qui d'une voix mourante (mais ferme)
m'ordonne de la rappeler immédiatement car après, elle s'en
va, à l'hôpital, subir une batterie d'examens durant une semaine
entière… En soupirant, je compose donc son numéro.

  • Allo!
    Ah c'est toi, tu filtrais ENCORE UNE FOIS! J'en étais SURE!!!

  • C'est
    que je partais faire la sieste…

J'essaye
vainement de me justifier. Un univers criminel, qu'ils disent. Je
sens que je vais bientôt avoir moi aussi des envies de meurtre.

  • La
    sieste?! A ton âge?!

  • Je
    ne dors pas beaucoup la nuit, tata Dolo tu sais, la Zouflette mange
    parfois trois fois par…

  • Qu'importe!
    Je voulais juste t'entendre avant de partir subir une série
    d'examens à l'hôpital… et qui sait, ne peut-être jamais en
    revenir… ou bien alors plus mal en point que je n'y suis entrée…
    victime d'une de leurs maladies cosonomiales…


  • nosocomiales…

Je
corrige, mécaniquement.

  • Comme
    tu voudras! Ce que je sais juste, c'est qu'on entre avec un cancer
    localisé, et qu'on ressort avec un généralisé PLUS une maladie
    colosomiale en prime!

  • Mais
    que t'arrive-t-il exactement Dolo?

Que
je demande, d'un ton las, et blasé, car il faut savoir que tante
Dolorès couve avec une délicieuse angoisse depuis une dizaine
d'années environ un cancer qui, pour l'heure, n'a encore jamais été
détecté, malgré la batterie d'examens qu'elle s'obstine à faire
chaque année, une semaine par an, et ce, grâce à un piston qu'elle
a à Villejuif qui lui permet de se goinfrer de scanners et d'IRM
sans se ruiner d'un seul euro.

S'en
suit alors une heure de descriptions de symptômes plus nourris
encore que la liste des faits reprochés à Eric Woerth. Mauvais goût
dans la bouche, caca sec, épanchement de bile le matin, oreilles
suintant le suif, nez bouché, yeux collés, plaques sur le ventre,
pieds purulents, mycose récidiviste là où tu sais, etc, etc…

Quand
je raccroche enfin, il est 16 h 08, et je réalise que non seulement
je n'ai pas fini de lire mon article mais que je n'ai pas fait ma
sacro-sainte sieste, que Zébulon vient de se lever (maman! La
lumière fantôme! Encore!) que la Zouflette exige son goûter
(ouiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiin!), sans compter que concernant cette
dernière née il y a quatre semaines, les seuls paroles de bienvenue
de tante Dolorès ont été pour m'exhorter à me rendre aux Urgences
à la moindre alerte (caca un peu mou, nez qui coule,
température supérieure à 37,2…) car elle avait encore lu un
article terrifiant sur ces nourrissons de moins de trois mois
atteints de gastro aigue ou de bronchiolite critique ou de…


Après
le goûter, ce fut la sortie (dans le grand dehors plein de
microbes), puis le bain, le dîner, les histoires, la tétée… A 23
h 00, vaincue, j'optais sagement pour privilégier le sommeil car la
Zouflette avait un bon coup de fourchette la nuit et j'avais appris,
tel le soldat japonais derrière sa baïonnette, à dormir dès que
je le pouvais.

Le
lendemain, dimanche matin. La Zouflette dort encore, le Zébulon a
pris son petit-déjeuner, il gît sur le canapé, étrangement
calme… j'en profite pour reprendre la lecture de mon article, cette
fois-ci, nom de nom, je vais réussir à le finir! Son oeuvre est
nourrissante et copieuse, aux trois quart passionnante, le dernier
quart se composant d'une poignée de…

Copieuse.
Il est 10 h 08, et le Zébu vient de vomir son petit-déjeuner sur le
canapé. Il geint, courbé en deux, plein de hoquets, mal de ventre,
de tête, A lui tend la cuvette pendant que je regarde sur Internet,
avec toujours ce brin de panique (la méningite? La typhoïde? Le
choléra??)… Renseignements pris, cela doit être une banale
gastro, yahou, youpi, super.

On
a la thématique du jour. Maux de ventre, pleurs, cris déchirants (le Zébulon
est bien un futur homme), vomissements, pleurs, sommeil épuisé,
réveil, maux de ventre, pleurs, cris, vomissements, etc etc. Avec
ça, la Zouflette doit être sécurisée (les propos de tante Dolorès
prennent soudain une tournure réaliste et parfaitement angoissante), à
savoir cloitrée dans sa chambre (la nôtre), tenue éloignée au
maximum de son frangin qui déambule hagard dans l'appartement tel un
zombie possédé par Belzébuth suivi de près par A et la cuvette.

La
journée se finit, j'ai juste eu le temps de faire le marché au pas
de course, jetant fébrilement dans mon caddie de quoi alimenter la
famille, chocolat, poulet au vinaigre, opéras, ah non ça c'était
le Chabrol qui me trottait dans la tête, puis retour à la maison,
déjeuner sur fond de vomi (parents indignes se bâfrant devant leur
fils gisant sur le canapé, la cuvette à portée de râtelier),
sieste (prendre des forces, la nuit promet d'être comme celles de
Delanoë, blanche…), puis tétée, bain, vomi, bain, tétée, vomi,
dodo…

23
h 08. On y a souvent l'impression de flotter, comme sous l'emprise
d'un alcool ou de quelqu'un. Qui va maintenant nous mettre dans ce
drôle d'état, cette légère nausée qu'on éprouve lorsqu'on a
très faim?
Fin. Faim. Je réalise qu'avec tout ça, non
seulement je n'ai pas dîné, mais qu'en plus, j'ai totalement oublié
le début, et même, tout le reste de l'article, carrément. Dois-je
tout reprendre au début?

Un
week-end avec papi Chabrol, mieux qu'une soirée arrosée et rock
n'roll. Désespoir d'un cerveau de mère jadis un peu plus… vif. Je
décide sagement d'obtempérer, d'autant plus que, comme me le fait
remarquer A, je ne suis pas si fan du Cloclo que je sacrifie mon
temps de repos à lire sa nécro… Rideau.

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