Mauvaises ondes

La
journée avait démarré en fanfare. A 7 h 00 du matin alors que
j'espérais me renfoncer dans mes mols oreillers après avoir allaité
la Zouflette, celle-ci s'est mis à se contorsionner dans mes bras,
avec rots cris pets et tout le bazar, ce qui a aussitôt réveillé
son frère (mais pas son père) qui dort l'oreille collé contre la
paroi de notre chambre depuis la naissance de sa soeur.

A 7 h 30,
j'étais déjà dans le séjour, essayant de calmer une Zouflette en
pleurs, tyrannisée par ses coliques sataniques, après avoir sorti
fissa le kit pâte à modeler à un Zébulon remonté comme un coucou
tout en surfant sur internet pour trouver Le remède aux sataniques
coliques du nourrisson.

Tenez
le nourrisson la tête en bas après l'avoir allaité verticalement. Bercez
l'enfant de droite à gauche en tournant sur vous-même dans le sens
contraire des aiguilles d'une montre. Faites
vous violence, empêchez-le de téter pendant quelques jours.


  • d'une grande violence inversement proportionnelle au fait qu'elle
    n'est pas du tout reconnue… comme légitime… qu'elle est au
    mieux moquée, mais le plus souvent ignorée… cette impression de
    ne pas exister… parce qu'on est seule… sans amour… m'a
    informée une voix à la radio que j'avais quand même eu le temps
    d'ouvrir.

Serait-ce
la journée de la Femme battue? Si l'on en croyait pourtant le
calendrier, il semblerait que c'était plutôt celle des dames pipi
mises en retraite anticipée, à moins que ce ne soit celle des
chauffeurs de bus du 9-3 molestés durant leur service ou des
postiers franciliens agressés par les chiens durant leur tournée,
on s'y perdait.

  • Soledad
    Solitude… vous écrivez aussi qu'il n'y a dans l'esprit de la
    majorité, celle des couples et des familles, majorité oppressive
    comme toute majorité, que deux images de la femme seule… la
    vieille fille ou la putain…

  • Putain
    n'est pas le terme exact, a corrigé cette voix qui me disait
    quelque chose, je dirais plutôt libertine… libertine et
    fêtarde… car dans l'esprit d'une certaine majorité, la femme
    seule ne peut être que libérée, ce qui signifie également très
    joviale, en…

  • alors
    que, dites-vous, l'a coupée fébrilement le journaliste, comme il y
    a des milliers de sortes de musulmans, pour prendre l'exemple d'une
    autre minorité, il y a des milliers de sorte de célibataires…

  • Des
    milliers peut-être pas, a corrigé d'un ton un peu exaspéré
    Soledad Solitude, disons qu'il y a un paquet de célibataires qui ne
    sont ni des vieilles filles ni des libertines, juste des filles
    qui…

  • sont
    des laissées pour compte du grand marché du sexe et de la
    jouissance!, a glapit tout heureux le journaliste.

  • et
    de l'amour, a précisé d'une voix un peu abattue la femme dans le
    poste.

Que
je venais enfin de remettre… c'était Soledad. Dix siècles que je
ne l'avais pas entendue! Dix siècles que j'avais laissé mon dernier
et ultime message sur son portable en lui proposant pour la millième
fois que l'on se voit, bien entendu loin de tout environnement
rappelant de près ou de loin le conjugo et la marmaille… j'étais
même prête à aller dîner dans un bordel ou un monastère,
l'avais-je exhortée avant d'appuyer sur la touche dièse de mon
téléphone.

  • sans
    compter la solitude engendrée par ces anciennes amies anciennement
    célibataires et nouvellement accouplées… voire… pire encore…
    nouvellement mères…

  • Justement,
    je voulais préciser que…

  • Par
    exemple c'est un exemple… vous parlez de cette amie jadis très
    chère… que vous appelez Marie C…. qui est restée plus de
    trente années de suite célibataire… qui a même failli y rester,
    dites vous… que vous avez soutenue, tête hors de l'eau et massage
    du moral… vous, toujours disponible et disposée que vous l'étiez
    à l'entraîner hors de chez elle dans une quête commune de l'âme
    frère… indigne amie qui, à peine accouplée, s'est mise à vous
    laisser choir… pire… à vous accabler de conseils parfaitement
    déplacés sur l'art et la manière de se débarrasser du célibat…

  • Oui,
    a répondu d'un ton agressif mon amie jadis très chère, surtout
    qu'elle, supposément stérile, s'est retrouvé enceinte à peine
    son jules installé dans son jadis deux pièces solitaire… une
    trahison proprement insu…

  • Sans
    compter qu'après, une fois mère, mon dieu seigneur, quelle
    caricature! Ce sont vos meilleures pages! On rit on rit… et on
    pleure tout à la fois! Allaitement à la demande, congé parental,
    indisponibilité totale à toute personne n'ayant pas au moins un
    enfant en bas âge à charge, incapacité à s'éloigner de plus de
    cent mètres de chez elle…

Frottez
le pied de votre nourrisson avec un doigt de vodka pendant dix
minutes puis remettez dessus une chaussette légèrement humidifiée
avec votre lait. Ne
sortez pas de chez vous, sinon en portant votre bébé en écharpe. Evitez
vous concernant toute source de contrariété, cela acidifie votre
lait

Driiiiiiiiiiiiiiiiing.
Un peu euh sonnée par ce que je venais d'entendre, j'ai posé le
téléphone et mis la Zouflette à mon oreille, euh non l'inverse.

  • Allo?
    A fait une voix énervée.

  • Soledad!
    Je me suis écrié, la voix un peu fausse. Je viens justement de
    t'entendre à la radio, c'est fou ça!

  • A
    la radio? S'est exclamé Soledad. Comment ça?!

  • Ben
    oui… Soledad Solitude, c'est bien toi non?

  • Ben
    oui mais…

  • Petite
    cachotière! Je me suis encore écrié, sur un ton un peu bébête.
    Tu ne m'avais pas dit que tu t'étais mise, et à écrire et à être
    publiée!

Ne
pas aborder tout de suite le thème douloureux de l'amie ex
célibataire qui vous a (soit disant) trahie.

  • Qu'est-ce
    que tu me racontes là? M'a demandé d'un ton renfrogné Soledad. Tu
    te payes ma tête ou quoi?!

  • Pas
    du tout! J'ai protesté en vociférant presque.

Terrifiée
à l'idée que moi, ancienne célibataire, et miraculeusement deux
fois mère, je puisse être soupçonnée d'attentat au célibat.
Comme dans son livre. Je lui ai résumé ce que je venais d'entendre,
en glissant sur cette sombre histoire de Marie C. qui l'aurait trahie
et mortifiée.

  • Les
    hormones te portent à la tête, ma chérie! Elle m'a répliqué
    d'un ton agacé. Je n'ai jamais, au grand jamais, écrit la moindre
    ligne qui soit publiable… tu dois me confondre avec une autre…
    ce qui n'est pas étonnant étant donné que cela fait au moins dix
    mille ans que nous nous sommes vues…

  • Mais
    j'ai laissé au moins dix messages sur ton… j'ai protesté, piquée
    au vif par ce révisionnisme injuste.

  • Qu'importe,
    passons! Elle m'a coupée. Je t'appelais pour te « féliciter »
    pour cette seconde naissance, même si, tu en conviendras, le terme
    « féliciter » est toujours un peu… stupide…
    concernant cette «chose » qui, après tout, ne dépend
    aucunement de soi puisque nul ne décide d'être ou pas stérile…

  • Oui,
    j'ai approuvé fébrilement, c'est comme le célibat, nul ne décide
    d'être…

  • Cela
    n'a rien à voir! M'a-t-elle encore coupée violemment. Sache juste
    que j'ai appris cette seconde naissance par l'intermédiaire d'une
    (vague) amie commune… Marie du Ballon… qui,
    je suppose, en tant que
    multipare récidiviste, a eu le droit,
    que dis-je, le privilège
    inouï de recevoir un faire-part de naissance…

  • Je
    vais t'expliquer… j'ai bégayé.

Comment
lui dire? J'étais pour lui envoyer un faire-part, comme à tout le
monde, quand je me suis rappelé combien il était pénible, quand
j'étais seule, de recevoir ce genre de courrier où ce type si
particulier de bonheur se claironne de façon parfaitement déplacé
quand on va toujours et encore seule à l'abord de la quarantaine,
ovaires vains dans un coeur sain… je m'étais donc dit qu'il
convenait bien plutôt de m'abstenir…


  • faire-part
    que moi je n'ai reçu que ce matin… soit six semaines et deux
    jours après la naissance!

pour
ensuite, revenir sur ma décision. Il était sans doute bien pire de
ne pas recevoir de faire-part et donc d'être oubliée, une fois
encore, que d'en recevoir un (et donc de prendre une claque de
bonheur dans la faciale). Je m'étais donc décidé à lui en envoyer
un, tardivement certes, mais accompagné d'un petit mot plein de
psychologie et de…

  • quant
    au mot l'accompagnant, ma pauvre Mimi, je me demande si tu as
    décidément toute ta tête… après cette histoire d'écriture et
    de radio que tu m'as servie ce matin, je crois avoir la réponse!

J'avais
écrit à peu près ceci, après environ une matinée à rayer
corriger re-rayer jeter le faire-part en prendre un autre rayer
encore etc etc. Chère Soso, la Terre compte depuis le 31 août
une future femme de plus… je te souhaite très sincèrement, avec
toute la force de mon amitié, de concourir à l'accroître d'une
autre à ton tour, pour que nous puissions la parcourir de concert,
avec nos deux petites filles, comme nous nous le sommes si souvent
promis. En t'embrassant fort.

Bon,
ok, c'était peut-être un peu lourdingue mais je voulais tellement
ne pas la blesser et tellement lui souhaiter la même chose.

  • bon
    quoiqu'il en soit, je suis heureuse pour toi… une fille, après un
    garçon… quelle chance! Elle a émis d'un ton sinistre. Je serai
    ravie de venir les voir… enfin… je te propose de prendre date…

  • Bien
    sûr! J'ai glapi avec force. Quand tu veux!

  • Eh
    bien attends… je regarde mon agenda… j'ai un boulot monstre tu
    sais…

  • Oui
    oui, je comprends! J'ai jappé pleine de bonne volonté et de moins
    bonne culpabilité.

  • jeudi
    14, ça te serait possible?

  • Demain?!
    Je me suis exclamée fort surprise.

  • Non,
    jeudi 14 janvier! Elle a couiné. Qu'est-ce que tu crois? Je suis
    prise au moins pendant deux bons mois… et après, je pars en
    vacances!

  • Ah
    bien sûr, j'ai fait, on peut se noter le jeudi 14 janvier, si tu
    veux…

  • Oui,
    notons le nous et d'ici là… on se rappelle!

Et
elle avait déjà raccroché. Je l'entendais déjà colporter dans
tous les cercles de célibataires combien cette amie jadis seule
comme la fille de job sur son tas de fiches meetic était devenue
typiquement familio-centrée en ne prenant même pas la peine de lui
poser la plus petite question sur ce qu'elle devenait…

Ne
consommez ni alcool ni tabac

Ne
sortez pas après onze heure du soir

Fuyez
la compagnie des démoralisateurs

Entourez-vous
le plus possible de personnes positives

Refusez
de fréquenter toute source de culpabilisation

Coupez-vous
du monde au besoin (éteignez radio, télévision et ordinateur)

Soyez
égoïste!

Ne
pensez plus qu'à vous et à votre bébé!

La
qualité de votre lait, et donc les maux de ventre de votre enfant,
en dépendent.

Et
celle de vos amitiés? Hein? Vous avez une solution? Un remède miracle?

 

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