Mauvaises ondes (II)

Soledad
Solitude avait donc raccroché (cf Mauvaises ondes) et la Zouflette
dans les bras, je me suis sentie minable, lamentablement et
injustement minable.

Après
tout, moi aussi j'avais été longuement terriblement
interminablement célibataire. Moi aussi j'avais fait partie de ces
pauvres filles qui ne sont tout compte fait ni plus ni moins laides
et stupides que les autres et qui restent infiniment en plan quand
les autres, non.

Après
tout, moi aussi j'avais assisté interminablement à l'inutile
bonheur des autres, enduré mariages (pour les classiques) et pacs
(pour les modernes), profitant certes de la vie mais avec toujours,
au fond de moi, cette sensation lancinante , angoissante et
déprimante, qui parvenait à me gâcher (à force) certaines des
plus belles fêtes, j''étais seule et ma vie était vide.

Crotte.

Après
tout, je me suis dit en essuyant les régurgitations de la Zouflette
tout en posant une casserole sur le gaz et en étendant dans le même
temps le linge du pied gauche, j'avais largement payé mon tribut à
la solitude. A l'entendre, on aurait pu croire que j'avais volé mon
lot à la grande loterie de l'amour ou gagné au loto en piquant la
grille gagnante de la voisine!!!!

Sauf
que Soledad ne m'avait rien dit de tout cela… sauf que ça
transpirait tellement dans ses propos… sauf que c'était malgré
tout du procès d'intentions… sauf que…

C'était
peut-être ce que j'aurais pensé si j'avais été à sa place. Ou ce
que j'avais pensé quand j'avais été à sa place… ou, ou…

Peut-être,
me suis-je reprise en roulant de petites saucisses en pâte à
modeler à un Zébulon saisi d'une soudaine pulsion artistique tout
en mettant au sein une Zouflette affamée et en remplissant une
feuille de Sécu avec la pipette de son Débridat avant que de
retrouver enfoui dans les legos du Zébu mon stylo bille à encore
violette (spéciale Sécu), peut-être disais-je donc, mais moi, je
n'avais jamais torturé une amie chère sortie du besoin, moi je
n'avais jamais exhibé comme les clous de la sainte croix mon état
de fille restée jeune quand bien même vieille (fille donc), et moi,
moi je n'avais jamais ô grand jamais appelé une jeune parturiente
après l'avoir traînée dans la boue sur les grandes ondes
nationales.

Mais
j'avais beau me répéter tout cela, je me sentais iniquement
privilégiée de cette chose, un jules et deux mouflets, si commune
pourtant qu'elle est également partagée de la prolétaire à la
Rsaeuse en passant par la députée ou l'informaticienne, sans
oublier la fleuriste, l'artiste et l'employée de banque. Voire la
nonne ou la lesbienne.

Sur
ce, j'ai rallumé la radio la Zouflette en position verticale
histoire de bien imbiber mon épaule gauche de son lait semi-digéré
tandis que je félicitais chaudement le Zébulon qui, tel un trophée,
m'exhibait son pot plein de pipi.

  • me
    demande encore pourquoi je ne suis pas devenue gouine plus tôt…
    c'est tellement con d'être hétéro… les hétéros sont tellement
    nuls… non mais vous les avez vus avec leurs deux mômes, leur
    chien et leur bagnole? Ça vous donne envie vous?

Je
n'ai pas de chien, je me suis dit, rassurée. Il ne s'agit donc pas
de moi cette fois.

  • Verginie
    Détumescence, a iodlé le journaliste, vous avez éjaculé à la
    lumière du grand jour avec votre roman Bèsemoua, et vous
    revenez en force avec cette nouvelle fiction intitulée A cette
    amie stupidement hétéro-centrée qui m'a trahie.
    .. Marie C,
    écrivain ratée et employée de bureau à peine plus réussie,
    devenue mère de famille, après avoir vécu une vie sentimentale et
    sexuelle absolument nulle, et qui se retrouve à vivre une vie de
    femme au foyer, multipare et multipathét…

  • Non
    mais c'est vrai quoi! A vociféré la néo-gouine. vous les avez vus
    ces gourdes qui, après avoir gémi sur leur célibat, incapables
    qu'elles étaient de se faire bèsemouaser, se retrouvent avec leur
    1,8 enfant sur les bras, à leur torcher le derrière quand ce n'est
    pas leur y enfoncer un suppo, allant même jusqu'à abandonner leur
    carrière pour prendre un congé parental! Le joug volontaire!
    L'aliénation réclamée à cors et à cris! Le syndrome de
    Stockholm!

  • Calmez-vous,
    Verginie, calmez-vous…

  • Non
    mais quand je vois ça, je me dis que je suis vraiment archi
    contente d'être devenue gouine! Je rencontre chez les gouines et
    les pédés des gens tellement extraordinaires quand les
    hétéros sont tellement ordinaires et tristes, tristes à
    mourir d'ennui! A crever d'angoisse ouais!

  • Verginie
    Détumescence, a émis d'une petite voix le journaliste, n'êtes-vous
    pas là en train de pratiquer à l'égard de ces derniers ce que
    vous leur reprochez de vous appliquer à vous?

  • Et
    quoi donc bordel de merde? Putain, je regrette, mais j'en ai
    suffisamment chié en tant qu'hétéro pour avoir le droit en tant
    qu'homo de dire ce que je pense d'eux! Je sais de quoi je parle moua
    puisque j'en ai fait partie!

C'est
complet, je me suis dit, après la célibataire empêchée, voilà la
lesbienne libérée. Est-ce que par hasard, à l'instar de Soledad
Solitude, je connaîtrais une Verginie Détumescence parmi mes amies
qui aurait viré toutes ses cuties, du sexe en passant par l'amitié?
Je sentais la moutarde commencer de me monter au nez.

Driiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiing.
Le téléphone a sonné.

  • Allo…
    ai-je fait presque agressivement.

  • Salut
    ma vieille mimi!!!!

A
glapi une voix au bout du fil. Dans un bruit de friture et de sirènes
genre paquebot. De qui s'agissait-il? Quelle amie anciennement hétéro
et devenue lesbienne s'apprêtait à m'insulter?

  • A qui
    ai-je l'honneur? Ai-je demandé d'une voix à peu près aussi
    aimable que celle de Liliane Bettencourt demandant à sa fille
    Françoise de lui passer le sel.

  • Ben
    dis ma vieille! Tu me reconnais pas! C'est moi!

  • Qui
    moi?! Ai-je demandé de plus en plus exaspérée.

  • Isadora Patissier
    enfin! Dis donc, ça rend sourde la maternité?! Bravo ma vieille!
    Et de deux! Pan!

  • Isadora!
    Me suis-je exclamé, toujours sur la défensive. Mais tu n'es pas en
    mer…? A Ouchouaya?

  • Si
    m'dame! Mais j'ai trouvé un voileux super à la cool qui m'a prêté
    son téléphone satellite pour que je puisse t'appeler! Je voulais
    te féliciter pour cette belle Zouflette! J'ai su la nouvelle par
    les mouettes, ahah!

  • Ro
    mais c'est gentil ça… j'ai articulé, décidément méfiante.

J'attendais
le coup.

  • Ben
    t'as 'air bizarre, Mimi… quelque chose ne va pas? M'a demandé
    Isadora d'un ton inquiet.

  • Si,
    si, tout va bien… et toi? Ça va? Toujours avec le Tabarni?

Il
y a eu un silence. Mince. Puis un scruitch.

  • Tu
    peux répéter la question? A glapi Isadora. Je n'ai pas compris de
    qui tu parlais?! La communication n'est pas très bonne!

  • Ben
    Tom Tabarni… le capitaine… ton jules quoi!

  • Tabarni…
    part… scruitch… alors… scruitch… gggr… deven… grrr…
    ine… scruitch… ienne quoi…

  • Ah
    je comprends, j'ai fait d'une voix pleine de euh compréhension. La
    déception, le milieu machiste des voileux, la solitude en mer…


  • scruitch…
    une… grrr… gou… super… scruitch… les hété… ggrrr…
    ordin… alors que scruitch scruitch… nana… grrr… lesb..
    scruitch… extraord…

  • Ce
    n'est pas grave, j'ai émis d'un ton grave en bloquant la suçette
    dans la bouche de la Zouflette tout en roulant une centième
    saucisse-pâte-à-modeler à son frangin. Etre gouine ou mère de
    famille, ça revient au même, au fond…

  • Gouine?!
    Qu'est-ce que tu me chantes là? S'est esclaffé Isadora. Tu as viré
    ta cutie ou c'est le blues post-partum? En tout cas, je t'entends
    mieux d'un coup!

  • Mais…
    j'ai bafouillé.

  • Ohlala
    je te laisse… Tom revient avec les pièces pour la machine… la
    pompe italienne… c'est bientôt l'été ici, ça vous change un
    ordinaire comme je te disais! A nous les ananas, à nous les bains
    de mer, je te le répète! Les côtes chiliennes promettent en plus
    d'être extraordinaires, je te le répète également!

  • Cool!
    J'ai jappé, déboussolée.

  • Je
    t'embrasse Mimi, prends bien soin de toi, je me demandais d'un
    coup si par hasard, tu ne serais pas devenue…

Elle
a hésité.

  • ienne…
    scruitch… ou goui…!

  • Au
    revoir Isadora, j'ai marmonné, bon vent du sud!

Mais
elle avait déjà raccroché. A 9 euros la minute, on pouvait tout de même dire que
ce coup de fil, c'était de sa part une grande preuve
d'amitié, en dépit de ses insinuations finales.

En
tout cas, par mesure de précaution, ce jour là, je me suis
désormais tenue éloignée de la radio.

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