Vacances j’oublie tout (surtout les vacances)

Après
deux mois d'allaitement et de maternage intenses, j'ai eu droit à
mon premier congé octroyé par mon employeur du moment, à savoir
moi. Vacances de la Toussaint, donc, celles des morts et des
moribonds, des citrouilles et des rasoirs planqués dans les pommes
rouges.

Drôle
de congé me concernant où le quotidien a été strictement
identique à celui des jours travaillés, sauf qu'il a été
transplanté dans une campagne grise et pluvieuse, et s'est déroulé
dans un lit car il y a une justice sur cette terre, j'avais feignanté
à la ville, pas de raison que je ne feignante pas à la campagne, et c'est
clouée au lit par un virus virulent que j'ai dégusté ce premier
congé de second maternage.

Mais
dans mon malheur, mes bonnes fées étaient toutes présentes.

Ma
mère, la grande Simone, profitant de ce que ma fièvre avait baissé
de 40 à 39 degrés, et s'asseyant au bord de mon lit, la Zouflette
dans les bras.

  • Tiens
    mon bébé, voilà ta mère qui va peut-être daigner te nourrir…
    c'est qu'elle prend du bon temps, ta mère… toujours au lit à 11
    h 30 du matin…

  • Maman,
    j'ai dormi deux heures cette nuit, et je suis…

  • Quand
    tu auras fini de donner le sein à ta fille, Mimi, tu jetteras un
    coup d'oeil sur ces annonces de job que j'ai relevées dans Femme,
    mère et cadre dynamique

  • Parce
    qu'elle donne encore le sein? Malgré qu'elle soit malade?! Mais
    c'est du masochisme!

A
braillé une voix dans le fond de la maison. C'était ma tante,
Babeth Babater, la croisée anti-seins-qui-allaitent, venue passer la
semaine des morts en notre compagnie puisqu'elle se partageait la
même mère avec la mienne, et se retrouvait donc à fleurir maintenant
la même tombe

  • Dis
    donc, cette fille… Maëlys de Labonnegrossegale, elle bossait pas
    avec toi dans ta feue jeunesse chez Gallarion?

Ma
non-muse, qui a pris le relais de ma mère, et qui assise à mes
côtés feuillette le dernier J'aime lire, un magazine de
critiques littéraires pour adultes, très côté et 100% dans la
vérité.

  • Euh
    oui, pourquoi…. j'ai demandé d'une voix prudente, entre deux
    quintes de toux.

  • Parce
    que figure toi, tiens toi bien ma belle, que cette fille, qui a tout
    juste deux ans de plus que toi, et qui publie régulièrement depuis
    plusieurs années, eh bien… tu te tiens bien hein?

  • Oui,
    oui…

  • Eh
    bien figure toi qu'elle vient de recevoir le prix Médicis
    pour son dernier roman, déjà salué par La flasque et l'enclume
    sur France inter qui a du nez… Naissance d'un con, ça
    s'appelle…

  • Euh
    tu es sûre du titre?

  • Ça
    te fout pas les boules hein? A préféré me demander la non muse.
    Naissance d'un con prix Médicis 2010 écrit par une ancienne
    collègue qui était par ailleurs ta supérieure hiérarchique vu
    que…

  • Non,
    j'ai répliqué. Ça ne me fout pas du tout les boules… ce qui me
    fout les boules en revanche, c'est que tu t'es assise sur mon ordi
    que je venais d'ouvrir et que tu as écrasé le texte que je
    m'apprêtais à relire…

Bien
sûr, ça me fichait les boules. Je me souvenais de cette fille.
Sympa, jolie, souriante, sérieuse, compétente, mariée,
multipare… un brin parfaite disons le, pas le genre à avoir un
humour décapant, cynique et désopilant, pas le genre non plus avec lequel je
sympathise personnellement mais je suppose que comme bru, elle doit
être extra.

  • Oh
    que c'est laid la jalousie! A gloussé la non muse. Si tu te voyais,
    tu es plus verte que le chapeau de la reine d'Angleterre!

  • C'est
    la grippe qui me fait ça, j'ai protesté.

Puis
elle m'a enfin laissée vu qu'elle était parfaitement inutile.
J'avais à nouveau 40 de fièvre et il était évident que je
n'essaierai pas d'écrire le plus petit mot qui soit. Allaiter la
Zouflette était au maximum ce que je pouvais faire. Quant au
Zébulon, il était aux mains de son père, je l'entendais se rouler
sur le parquet juste en dessous de ma chambre en hurlant qu'il ne
voulait pas manger ses épinards, la normale quoi.

Quand
j'ai émergé un peu plus tard de mon coma fiévreux, secouée par
une toux qui m'a évoqué celle de la dame aux camélias, ça a été
pour apercevoir une ombre qui s'agitait devant les carreaux de ma
fenêtre. Saisie, je me suis assise sur mon lit.

  • Qui
    est-ce? J'ai bêlé.

  • C'est
    moi, a répondu l'ombre, Cléa Culpa… je suis venue faire les
    vitres vu que dans les maisons bourgeoises, c'est comme ça que les
    cousines pauvres payent leur couvert n'est-ce pas?

  • Qu'est-ce
    que tu racontes? J'ai grogné.

  • Rien,
    rien… le temps file, tu sais, déjà quatre jours que tu glandes
    dans ton pieu… je ne t'ai pas vue beaucoup travailler…

  • C'est
    que…

  • Je
    le dis comme ça mais le temps presse tu sais… dans moins de
    quatre mois, c'est les 42 candélabres, tu n'es pas loin de rentrer
    dans cette zone de non retour qu'est la quarantaine confirmée où
    plus rien n'est possible, surtout pour une femme, à part attendre
    la pré-retraite et la ménopause…

  • Tu
    n'exagères pas un peu? J'ai demandé en fixant d'un oeil morne son
    chiffon qui astiquait mollement les vitres derrière lesquelles
    dégoulinaient des nuages gris comme des énarques mutés à la
    sous-direction du budget des médailles.

  • Oh
    si peu… elle a marmonné. Je sais bien que tu n'as pas vraiment
    besoin de travailler…

  • C'est
    faux! J'ai protesté.


  • mais bon, si
    toutefois tu désirais faire enfin quelque chose de ta vie,
    professionnelle s'entend, il doit te rester environ six à douze
    mois pour réussir à te dégoter un emploi digne de ce nom…

  • C'est
    à dire?

  • Qui
    fasse honneur et à tes diplômes et à ta classe et au minimum de
    sens existentiel requis pour qu'à l'hospice de luxe où tu finiras
    tes jours, tu te dises que tu n'as pas (trop) raté ta vie…

  • Ma
    classe?! C'est toi qui me pousse à respecter ma classe?! Je me suis
    étranglée.

  • Je
    ne pousse à rien du tout, elle a rétorqué, je ne fais que
    respecter cet ordre social qu'on veut nous faire croire naturel, et
    qui fait que les bourgeois ne font pas des prolétaires… et vice
    versa… sur ce, tu m'excuseras, je dois te laisser, ta mère veut
    m'interroger sur ma condition de technicienne de petite surface (les
    intérieurs bourgeois).

Et
elle m'a laissée, avec en moi un arrière-goût un peu âcre mais
c'était peut-être le sirop pour la toux, Toussetoujours, que le
médecin m'avait donné, se refusant fanatiquement à me donner de
ces médicaments qui guérissent et qu'on appelle antibiotiques,
préférant bien plutôt les sirops Toussetoujours, avec les
pshittpshitt dans le nez Aquoibon, sans oublier les pastilles
Jesersàrien.

Quoiqu'il
en soit. Le jour des morts vint, et après une nuit de deux heures
passée pour l'essentiel à tousser dans les oreilles de A et de la
Zouflette (heureusement sourde comme tous les nourrissons plongés en
sommeil profond), je me suis décidé à appeler le 15 où m'a
répondu une blouse blanche, essentiellement payée pour empêcher le
maximum de patients d'atteindre le médecin de garde qui, pendant ce
temps là, faisait des réussites dans son cabinet pour tuer le
temps.

  • Prenez
    du sirop! M'a-t-elle jappé. Le Toussetoujours, très efficace en
    cas de rhino!

  • Mais
    je n'arrête pas d'en prendre et ça ne fait rien! Je n'ai pas fermé
    l'oeil de la nuit!

  • Sucez
    des pastilles Jesersàrien alors, ça aide pas mal aussi!

  • Mais
    ça ne marche pas et j'ai 40 de fièvre! Je veux des antibios
    maintenant!

  • Prenez
    du doliprane et patientez jusqu'à demain… vous irez voir votre
    médecin traitant qui vous les donnera, vos antibios allez,
    m'a-t-elle rétorqué d'un ton plein de mépris.

  • Ma
    fille de 2 mois commence aussi à tousser… j'ai tenté en
    désespoir de cause.

  • Qu'elle
    tousse, ça n'a jamais fait de mal à personne! Donnez lui du
    doliprane, pas de sirop surtout, et ne la couchez surtout pas sur le
    dos!

  • Comment
    ça?

  • Tenez
    la debout, devant vous! Sinon, elle risque de s'étouffer, à tous
    les coups!

  • Même
    la nuit?!

  • Eh
    bien oui, même la nuit… de toute façon, vous ne dormez pas
    alors…

Sur
ce, elle a raccroché et je suis partie à la pêche au médecin de
garde en appelant au hasard les environs. La grande Simone est venue
m'interrompre pour me montrer le CV de la Parfaite « afin que
cela me donne une idée de ce qu'il convenait de faire » puis A
m'a conduite chez le dit médecin de garde, un vieux moustachu qui,
après avoir fini sa partie de cartes, m'a trouvé un foyer
infectieux au poumon droit. Il m'a confirmé que la blouse blanche du
15 rechignait à lui envoyer des patients, qu'il n'avait eu droit à
recevoir que trois angines et une gastro depuis le samedi matin, à
croire que la brave dame attendait un cas saignant de choléra ou de
tuberculeux pour le déranger, à moins que Roseline ne lui aie
instamment demandé de combler le trou de la Sécu à elle toute
seule.

Quoiqu'il
en soit, le lendemain, c'était la fin des vacances et comme m'ont
dit mes bonnes fées, te voilà bien requinquée pour entamer une
rentrée active, bilan de compétences, recherche d'emploi et mise en
chantier d'un roman de 500 pages.

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