Speed

Il n’y a que les montagnes qui ne se rencontrent pas. Pompez, pompez, il finira bien par se passer quelque chose. Tant la cruche va à l’eau qu’elle finit pas se caser. C’est pas en restant chez soi que l’on se trouve un jules. Etc.

Tels sont les préceptes qui, toute votre vie, vous accompagnent sur un mode incantatoire plus ou moins culpabilisant (parce qu’à la base, on n’a pas envie de bouger), qu’il s’agisse de la rencontre amoureuse, du sexe, de l’amour, de la quête du saint Graal (et de l'amour) ou que sais-je encore (je sèche).

Forte de mon hérédité (un père savant multipliant les expériences foireuses), j’ai décidé de sacrifier aux expériences modernes de la rencontre.

J’ai démarré par quelque chose qui ne nécessitait pas la mobilisation de beaucoup de matériaux (temps, espace, argent…).

J’ai testé le speed dating.

Je vais donc vous présenter cette expérience qui nécessite une petite bouteille de l’eau (et une flasque de whisky), une écoute extrême genre traduction simultanée chinois-français d’un séminaire sur la nourriture macrobiotique, l’absence totale de lucidité sur soi-même (se présenter en 7 minutes sous la meilleure forme) et l’absence de même totale de bégaiement, de toux, de rêvasserie, de moucherie, bref, toute chose susceptible d’occuper inutilement l’espace-temps déjà très réduit. Je précise aussi qu’il faut une âme de chercheur qui ne supporte pas le doute, l’attente et la confrontation de la théorie au réel, bref, toute chose à la base de… la recherche.

Je m’y suis rendue sous une fausse identité (comme 90% des participants). Une hôtesse (mariée) m’a accueillie et m’a conduite à une table éclairée de façon peu violente, pour ne pas dire quasiment nulle (inutile de suivre un traitement dermathologique ou de s’épiler la moustache au laser pour l’occasion, on y voit goutte). J’ai commandé une bière mais elle est revenue (l’hôtesse, pas la bière) en me disant que l’on buvait après si, si quoi, enfin vous voyez bien, oui mais l’un n’empêche pas l’autre, ne discutez pas, voici votre premier dééééte.

Philippetrenteuhseptanscourtieraimantrireetconverserlesbaladesdanslanatureles randosdudimancheoulestrecksdelétédésireuxdevivreenfinlegrandamourlesyeux danslesseinscombienpeutellefairecommetourdepoitrinecellelà, stoooooooooooop.

C’est à mon tour. J’essaye de réunir les informations me concernant. Mon âge ? On me l’a plus que déconseillé, in-ter-dit. Mon pedigree ? Physiquement, il a des yeux pour voir et je doute que la saga des monarques Chotek l’excitent. Mes goûts ? Quels sont mes goûts ? Merde, je sèche. Le sport ? L’art ? La culture ?

– Euh, j’aime beaucoup Haruki Murakami, je balbutie.

Philippetrenteseptans fronce les sourcils. Effectivement, lâché comme ça, c’est vague (si on connaît pas Murakami). De quoi parle-t-elle ?

– C'estvraiquec’estbonlesushisc’estvrai

Admet-il, dans le doute.

Apartça? Il demande, l’air tendu comme si j’étais le grand cancérologue Edmond venu lui délivrer les résultats de ses analyses.

A part ça. Un long silence. Très long silence. Le temps de faire un aller et retour sur la banquise en se payant un esquimau (très glacé). Cling clang clong. Mon temps est écoulé. Le mec se lève, l’air dégoûté, il est tombé sur l’ours des Pyrénées à n’en pas douter, la demeurée du village, la yoyote de la foire au célibat, etc, c’est bien sa veine.

Bonjourjem’appellefrédéricj’ai35ansetjechercheunefilleentre25et32ans…

Dois-je l’arrêter ? Je n’entre pas dans la case, d’office (d’état civil). Je lève un doigt, comme à l’école, siouplait, je voudrais vous dire que, mais il est déjà loin devant…

…j’aimelesanimauxlesrestosgastroslesvoituresdecourse…

Le renard et la belette, je complète mentalement.

…jesuistraderascendantgémeaujegagnedegrossesdéeuhprimes j’aitravailléànioullorqueetàsanfranssicojepratiquelefootingetlesquash j’adoremadonnaetetet…

Son regard devient désespéré. Il ne sait plus quoi dire quoi il aime en musique.

– … et Depech mode ?

Je suggère, bonne fille car ça me semble rester dans le même registre.

– NON NON SURTOUT PAS !

Il se met à crier, l’air furieux comme Dominique à qui on disait, c’est clear I stream ?

– Désolée, je marmonne.

– TU NE DOIS PAS PARLER TU NE DOIS PAS M’AIDER JE DOIS Y ARRIVER TOUT SEUL TOUT SEUL TOUT SEUL… Il HURLE.

Mondieuseigneurdélivrezmoidumâle. Cling cling clung. Zirwo minute. Il part en courant, l’air hagard et affolé, les gens se retournent sur son passage… et me jettent un regard inquiet (et accusateur).

Bonjourjem’appellebrunoj’aiquarantesixansjesuisgaragistejesuismariéàunefemme frigideetobsédéeparleménageetlapropretéj’enairasleculj’aitroisenfantstousaussibêtes etlaidslesunsquelesautresjemesuismariéjeunejenesaismêmepascequec’estlecélibat j’aimeraisenfinm’amusermoiaussiensautantdestasdenanassuperdiplômées etquidirigentdesservicesentiersde…

Cling cling clung. Je n’ose pas me lever. Je ne veux pas le vexer. Je ne veux pas qu’il croit que j’ai quelque chose contre les professions manuelles, les hommes mariés et les vieux. Comment faire ?

– Alors quoi ? Il me fait d’une voix normale. T’as perdu ta langue ?

– Je suis employée de bureau, je marmonne. Je possède six aspirateurs, un pour chaque pièce, je suis vierge et accessoirement, je suis le garde-enfants préféré des autres…

– Salope ! Il s’écrie.

– Pétasse ! Il se lève.

– Coincée du cul ! Il insiste.

Cling cling clung. Il en reste 4, je crois que ça va pas être possible.

Bonjourjem’appellestéphanej’ai36ansjesuisprofesseurdephilosophietendance heidegershcopenhauerjepensequenouscouronstousverslenéant j’aimelevidelerienj’aimelipolipolipo

Lipokoâ ?

LipopolipopotamusmusetoitoidemaisonmaisondefousfousleCAMP !

Mince alors, encore un fou (qui fout le camp). Il m’en reste 3, et je m’amuse de moins en moins (ou de plus en plus mais dans un sens lipopo).

Bonjourjem’appelleadrienjesuishomosexueljerecherchecellequiseralamèrede mesenfantsunefillemêmemochemêmevieillemêmetrèsvieillemêmortej’aivuparleavec elled’almodovardoncjesaisqu’ilestpossibledemenerune grossesssurorganismevégétatif…

O secours. Je souris poliment. Je lui dis que je suis en train de garder le sac de ma copine, qui est celle qui concourt à la foire au jambon et à la cuisse légère, elle revient de suite des toylettses.

Je décide pour ma part de me téléporter dans un émirat arabe très uni, où ma mère, oum Fatima m’annonce que j’ai l’âge de me marier, 37 ans, et qu’elle va me présenter mon futur mari, Driss chose truc, 39 ans, dont la famille attend depuis sa naissance, et la mienne, que nous soyons suffisamment grands et mûrs pour contracter une union à laquelle nos familles nous ont destinés dès notre conception et existence intra-utérine.

Concernant cette expérience, je vous la conseille si vous êtes écrivain ou sociologue ou encore amateur de néant vain comme dirait le Lipopo. Concernant la rencontre proprement dit, le doute persiste même si, comme dirait la Parfaite, je n’ai absolument rien fait pour me vendre.

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