Le père Noël est une ordure sexiste

Ce
dimanche, nous avons sacrifié à la tradition familiale. Nous avons
invité ma mère et les tantes, Babe et Dolorès, à fêter la
saint-Nicolas, ce petit homme qui nous gouverne tous (mais non je
plaisante, je veux parler du grand barbu qui sauva il y a bien
longtemps des enfants d'une cuisson au chaudron).

Les
hommes (leurs maris) avaient été excusés, le professeur Colza
avait des expériences à mener et Rob, le mari de Babe, était
retenu dans un quelconque corridor de la mort texan. Quant à Tante
Dolorès, malgré son extrême vigilance à l'égard des maladies,
elle avait perdu son mari il y a maintenant plus de quinze années
(ma mère cependant affirmait qu'il avait fichu le camps avec une
femme de 25 ans sa cadette et imperméable à la maladie comme à la peur de tomber malade).

Je précise, par souci d'exactitude, que tante
Dolorès n'était pas vraiment leur soeur, à elle et à tante Babe,
mais plutôt une sorte de cousine que l'âge aidant, e
lles ont fini par adopter comme soeur, malgré son absolue nullité intellectuelle, cette dernière n'ayant plus vraiment
de famille
(ses propres enfants ont peur de tomber malades rien qu'en
la voyant, prétend ma mère).

Tout
s'est bien passé, jusqu'à ce que, à 16 h 47, ma tante Babe tombe
sur un catalogue de jouets que Zébulon avait laissé traîner sur la
table basse. Et là, on a maudit saint-Nicolas qui, des siècles
après sa disparition, obligeait les familles de l'Est à se réunir
pour le commémorer.

  • Qu'est-ce
    que c'est que ce catalogue Mimi?! A aboyé ma tante Babe.

  • Je
    te laisse, j'ai marmonné, je dois allaiter la petite…

Je
pressentais qu'il valait mieux, à tout choisir, une leçon de morale
sur les nénés plutôt que sur les jouets des petits enfants.

  • Encore!
    Tu l'allaites encore!!! Elle a en effet blatéré.

  • Elle
    n'a que 3 mois, tata Babe et…

  • Mais
    comment fais-tu avec ton travail? A-t-elle glapi.

  • Mimi
    ne travaille plus… a précisé ma mère d'un ton qu'elle aurait
    employé pour dire que j'étais suivie dans le cadre d'une
    trithérapie.

  • Ma
    pauvre Mimi… a émis tante Dolorès. Tu dois en broyer du noir,
    toute la journée, toute seule, à penser aux maladies qui
    pourraient…

  • Mais
    ce catalogue tout de même! A remis tante Babe qui feuilletait
    furieusement le dit objet. C'est, c'est… scandaleux, voir ça
    en 2010!

Zébulon
a commencé à tiquer, il aimait beaucoup son catalogue et le voir
ainsi compulsé fébrilement par sa grand-tante ne lui plaisait pas
outre-mesure. Il a posé d'un air de proprio sa patte pleine de
chocolat sur le dit catalogue.

  • Eh
    bien, j'ai fait d'un ton innocent, qu'est-ce qu'il a ce catalogue?

  • Non
    mais regarde moi ÇA! A tonné tante Babe en pointant son doigt sur
    la page 34 (et en repoussant la patte sale de son petit-neveu).

On
y voyait une petite fille habillée comme une future pouffe, legging
blanc à dentelles, barrettes rose électrique, jupe ras le petit
bateau, en train de pousser un chariot rempli de produits de
nettoyage. Sur la page d'à côté, c'était le modèle bobonne BCBG,
jupe longue, mocassins, serre-tête, et là, elle poussait un
aspirateur tandis que derrière elle, on voyait une table à repasser
avec dessus, un mini fer à repasser tandis qu'à côté, trônait
une machine à laver remplie de slips et de chaussettes de garçon
(pour les sous-vêtements garçon, voir p.56). Et histoire d'enfoncer le clou, la page
double était intitulée, Les petites fées du logis (toutes
classes confondues)
.

  • Et
    on s'étonnera encore qu'il n'y ait pas plus de femmes cadres! A
    soupiré ma mère.

  • Et
    que les enfants de femmes de ménage deviennent des femmes de
    ménage! A gémi tante Babe.

  • Une
    maison bien propre, c'est la clé contre les maladies… a cependant
    suggéré tante Dolorès en regardant alentour d'un air dégoûté.

Quelques
moutons gris flottaient ça et là car j'avais refusé de passer
l'aspirateur avant qu'elles ne viennent, vu que c'était le tour de A
qui avait préféré écrire un article en anglais sur l'art binaire
de la tri-spatialisation en informatique plutôt que de jouer les
elfes du logis.

  • Quand
    on pense, en plus, a poursuivi tante Dolorès, que l'on trouve un
    paquet d'hommes à pousser des charriots de ménage dans les
    bureaux…

  • Tout
    à fait, j'ai admis, et généralement, ce sont des noirs… tu
    penses donc qu'il aurait mieux valu mettre un petit garçon noir en
    train de pousser un chariot de ménage, ça aurait été plus…
    juste?

  • Je
    n'ai pas dit ça du tout Mimi! A protesté tante Babe. Ne me fais
    pas passer pour une vieille féministe raciste s'il te plait!!

  • Certes
    non, j'ai répliqué, j'essayais juste de voir ce qu'il convenait le
    mieux de mettre…

  • Eh
    bien rien! Rien du tout! Elle a henni.

  • C'est
    à dire? J'ai demandé.

  • Aucun
    jouet qui ne s'apparente de près ou de loin à un objet relevant de
    la vie domestique… ménage, cuisine ou que sais-je encore!

  • Mais
    un enfant se construit en s'identifiant, j'ai protesté, et…

  • Tu
    veux donc que ta Zouflette s'identifie comme tu dis en poussant un
    chariot de ménage?! A rétorqué tante Babeth. Alors là, bravo!
    Chapeau bas, ma nièce!

  • Mais
    je ne pousse pas de chariot de ménage, j'ai protesté, et je ne
    fais pas que passer l'aspirateur!

  • C'est
    moi qui pousse le chariot! A cru bon intervenir Cléa culpa. Madame
    à la rigueur passe l'aspirateur mais c'est tout!

  • Mais
    regardez moi ces pages là! A coupé ma mère qui, elle aussi,
    s'était mis à feuilleter fébrilement le catalogue.

Elle
voulait parler des pages filles, de toutes les pages filles du
catalogue, toutes unanimement d'une couleur de fond rose bonbon, rose
bébête, qu'il s'agisse des instruments culinaires, des poupées, ou
des Barbies à longues jambes, cheveux blonds et jupe ras le bonbon,
sans oublier les accessoires des mouflettes, petits sacs en strass
brillants, bracelets de perles criardes… ou leurs déguisements de
princesses, robes à tissu brillant scintillant, déclinant toutes
les nuances de rose (encore!), arborées par des petites filles à
queues de cheval et souliers vernis.

  • Comme
    c'est mignon… s'est esbaudie tante Dolorès, franchement à côté de
    la plaque.

  • Mais
    c'est ignoble! A fait ma mère en se prenant le visage entre les
    mains comme si un avion venait de s'écraser dans notre séjour.

  • Jamais!
    A repris tante Babe. Jamais une Barbie n'est entrée dans ma maison!
    JAMAIS!

  • Bien
    sûr tante Babe, j'ai rétorqué, tu n'as eu que des garçons…

  • Ah
    quel sexisme! Elle a aussitôt glapi. Comme si c'est des garçons ne
    pourraient pas avoir de Barbies hein?!

  • Pour
    leur donner le goût pour plus tard, des femmes à longues jambes et
    à poil blond? J'ai ricané.

  • Ne
    me fais pas dire ce que je n'ai pas dit, Mimi! A-t-elle tonné. Ne
    me fais pas passer pour une gourde féministe et rétrograde!

  • Et
    ça aussi! A poursuivi ma mère. Vous avez vu ça?!

Elle
s'était déplacée aux pages garçon, et elle martelait de son doigt
une page où s'étalaient des armes de guerre, plus vraies que nature
(treillis, voir p.67), l'une d'elle était arborée fièrement par un
petit garçon blanc et rose (quand, une fois encore, les enfants
soldats sont plutôt noirs, me suis-je dit in peto) qui
semblait viser le lecteur. A ses pieds, des douilles, et alentour,
des cadavres de bébés (poupées, voir p.45).

  • Je
    te l'ai toujours dit Simone, a grondé tante Babe, les hommes aiment
    la guerre et on sait d'où ça leur vient… ils sont élevés avec
    l'idée que c'est quelque chose de bien!

  • Je
    n'aime pas la guerre, a protesté vertueusement A.

  • C'est
    normal, tu es informaticien! Lui a inexplicablement rétorqué tante
    Babe.

  • Regardez
    comme c'est mignon… a roucoulé tante Dolorès qui avait feuilleté
    à son tour le catalogue.

Toujours
dans les pages garçon, il s'agissait cette fois ci de mini modèles
de voiture, à pédales ou à moteur, conduites toutes sans exception
par un garçon aux côtés duquel se tenait une petite fille à l'air
nunuche. Elle serrait sur ses genoux un sac à mains scintillant,
tout en coulant un regard de dinde émerveillée en direction du
petit conducteur qui avait l'air d'un coq habillé en être humain.

  • En
    voyant ça, je comprend pourquoi Mimi n'arrive pas à avoir son
    permis de conduire… a gloussé A.

  • Mais
    je l'ai! J'ai glapi.

  • Cela
    fait juste 25 ans que tu n'as pas conduit… M'a-t-il rétorqué.

  • Et
    alors? J'ai grondé. Ça te pose un problème? C'est une tare
    peut-être de ne pas avoir de voiture?

  • Non
    mais…

Un
hurlement a interrompu notre dispute. Ma mère s'était levée pour
mettre le catalogue à la poubelle et Zébulon, agrippé à sa jupe,
hurlait de toutes ses forces. Je suis intervenue en repêchant le
catalogue dans la poubelle, que j'ai redonné à Zébulon aussi sec
et me tournant vers ma mère, je lui ai fait remarquer qu'elle aurait
pu au moins le mettre dans la poubelle papier…

  • Oh
    toi et tes foutues sornettes écologistes! Elle a grommelé en se
    rasseyant.

  • Ce
    ne sont pas des « sornettes », j'ai protesté, et tu seras
    bien avancée d'être féministe quand la Planète n'existera plus!

  • Pfuit!
    Elle m'a fait d'un ton méprisant.

Elle
a voulu prendre le Zébu sur ses genoux, pour faire la paix mais il
lui a donné une tape. Je l'ai mollement enguirlandé, après tout,
elle l'avait bien cherché.

  • Voilà
    bien un garçon tiens! Elle a considéré aussi sec.

  • Oui,
    c'est bien vrai, a confirmé tante Babe, agressif et rancunier…

  • Comme
    tous les hommes! A poursuivi tante Dolorès, pour une fois sur la
    même longueur qu'elles.

  • Bravo
    pour les stéréotypes! je leur ai cinglé, énervée. Vous ne valez
    pas mieux que ce catalogue tenez!

  • Mais
    c'est un fait Mimi, a protesté tante Babe, les garçons sont plus
    agressifs que les filles…

  • Mais
    c'est culturel, s'est empressé de préciser ma mère enfourchant
    son dada favori, on ne nait pas garçon, on le devient…

Heureusement,
tante Dolorès a donné à ce moment là le signal du départ. Elle
devait écouter une émission de radio consacrée aux pesticides dans
notre alimentation, cela promettait d'être horrifiant, elle ne
voulait absolument pas la rater. Elles sont donc reparties, et sur le
pas de la porte, alors que ma mère me donnait son habituelle
accolade, elle m'a lâché :

  • Ah
    et puis, tu me diras ce que veut Zébulon pour Noël d'accord?

  • Je
    ne sais plus bien maman… j'ai marmonné.

  • Quelque
    chose qui lui ferait vraiment plaisir… une voiture, un pistolet,
    un déguisement de pirate ou de ministre du budget hein…? elle a
    suggéré. Envoie moi un message!

Puis
elle a disparu en gloussant dans l'escalier, sans que je sache si
c'était du lard ou du cochon, ses idées de mamie Noël…

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