Les trois T du Japon

A
m'ayant assuré que cette fois ci, il le sentait, on était partis
pour le Japon, je me suis assise sagement en tailleur face à une
feuille blanche, un bol de thé aux algues à portée de mains, mes
cheveux retenus par un peigne en ivoire (euh non là je blague) et
j'ai commencé de noter consciencieusement ce que le Japon
m'évoquait, ou plutôt, ce que je connaissais du Japon de façon
libre et spontanée, façon écriture automatique vous voyez.

Chronique
japonaise (de Nicolas Bouvier, jamais lu) et Le dedans et le dehors
(super, surtout quand on ne va pas vivre, là bas, au Japon)

Stupeur
et tremblement, à moins que ce ne soit Surprise et chuchotements, ou
bien peut-être Etonnement et hurlements? Enfin, le roman d'Amélie
Duchapeaucloche où, si je m'en souviens, elle se faisait humilier
avec délice par sa patronne jap dont elle était amoureuse.

Hiroshima,
la bombe et mon amour, la première, pas drôle du tout, le second, à
mourir de rire quand on le voit à 20 ans avec un autre potache après
avoir bu une bière à jeun (après, c'est pas qu'on ne ricane plus à
l'écoute de la célèbre réplique « Non, tu n'as rien vu à
Hiroshima » répétée en boucle, mais on le fait
intérieurement pour ne pas passer pour un anti-durassien primitif)

Le
type qui gazait au gaz saurin ses concitoyens dans le métro bondé
de Tokyo (où des employés aux gants blancs sont payés pour pousser
et entasser les Tokyoites dans les rames)

L'autre
type qui avait découpé une femme en morceaux et l'avait stockée
dans son frigidaire (après en avoir goûté un morceau je crois
bien)

L'autre
type encore qui, alors que son avion de ligne s'écrasait, avait
écrit à la hâte dans un carnet tout ce qui lui passait par la tête
(mais est-ce possible? Je veux dire, a-t-on vraiment retrouvé son
carnet?)

Les
chaussettes blanches des lycéennes de 32 ans remontées jusqu'aux
genoux et leur costume marin (vu mardi près de la librairie
japonaise à Opéra)

Leurs
culottes (utilisées de préférence) que de vieux quadras salary men
s'arrachent à prix d'or

Les
toilettes au siège chauffant avec des tas de boutons dont un pour le
jet d'eau judicieusement orienté et un autre pour faire un bruit de
chasse d'eau qui dissimule les autres bruits (no coment)

Le
salut à la japonaise, exponentiellement courbé au fur et à mesure
que s'élève le niveau de la hiérarchie

Le
statut des femmes qui fait dire à ma tante Babe Babater qu'à côté
du Japon, la France est le paradis de la femme (mais ma tante Babe
est-elle une objective référence?)

Le
statut des femmes qui fait dire à Mishiko, une Japonaise, que la
France est le paradis de la femme à côté de son pays (mais Mishiko
est une Japonaise francophile, aussi est-elle objectivement
objective?)

Les
cadres surmenés qui restent dans leur bureau jusqu'à la fin du
premier film de la soirée, rentrent ensuite chez eux après un arrêt
dans un bar à saké et hôtesses légèrement (dé)vêtues avant que
de pousser la porte de leur appartement et s'effondrer pour quelques
heures de sommeil aux côtés de bobonne qui a couché l'enfant
unique et s'est fait un soin du visage à base de tofu aux algues en
attendant que le sens de sa vie ne rentre à la maison (bon, là
c'est sans doute un peu cliché, je veux dire, le masque au tofu aux
algues)

Les
tremblements de…

  • Mimi!
    Le Japon n'existe plus! Un gigantesque tremblement de terre d'une
    force 48,9 sur l'échelle de Richter l'a entièrement balayé
    durant la nuit!

C'est
ainsi que j'ai été interrompue dans la rédaction de ma liste par
la stupeur et le tremblement de ma tante Dolorès qui était même
venue se prendre à ma sonnette pour me le dire (en fait, c'était un
essai de skype effectué par A et dont la première à l'avoir testé
s'est révélé être tante Dolorès de passage chez un de ses
neveux). Elle m'a fait un récit en long et large de ce tremblement
de terre qui, vérification faite, était d'une magnitude de 8,9 sur
l'échelle de Richter et n'avait fait que 3 morts à Tokyo.

  • Mais
    le pire reste à venir… il y a un tsunami qui déferle sur la côté
    du nord-est, non loin de Tokyo… sans compter les répliques qui
    pourraient bien enclencher un nouveau séisme à Tokyo cette fois
    ci…

Ma
mère, sur skype encore, mais sans l'image.

  • Mimi,
    si jamais il y a un tremblement de terre, mets toi sous une table!

Ma
tante Babe, à ses côtés.

  • Mimi,
    surtout n'approche jamais à moins de 5000 mètres du bord de mer!
    Et au moindre bruit suspect, mets toi à courir sans te retourner en
    essayant de trouver un endroit en hauteur… un endroit le plus haut
    possible!

Son
mari, Bob, grand spécialiste des raz de marées.

  • Les
    immeubles japonais sont solides, c'est déjà ça, en revanche, face
    à un tsunami, no way…

Un
voisin architecte qui ajoute.

  • Tremblement
    de terre puis tsunami, heureusement que que Tokyo n'est pas au bord
    de la mer…

Si,
il y est. Merde. Qu'est-ce qu'on leur apprend aux archi dans leurs
écoles?

  • Je
    savais qu'il y avait des tremblements de terre et des typhons dans
    cette zone là, mais des tsunamis de ce type, mince alors…

A,
le guide du Japon en mains.

  • Les
    typhons, c'est tous les ans, et c'est à partir de juin jusqu'à la
    fin août…

Pile
au moment où je dois arriver quoi, welcome Mimi.

Tremblement
de terre, tsunami, typhon, les 3 T du Japon me font douTer de m'y
rendre, être loin du Syndic et de la grise Ile de France est-il un
argument suffisant face à ces 3 T? A choisir, est-ce que je préfère
les calamités naturelles mais dans un univers exotique et riche en
promesses de découvertes, ou bien l'ennui et l'absence de sel d'une
vie bureaucratique mais néanmoins confortable et sécuritaire? A
choisir, préfère-je les dangers de la Nature (les 3 T…) ou les
dangers de la société (les gangs mexicains et les rapts d'enfants
et les trafics d'organe etc etc choses auxquelles est confrontée mon
amie Fifine, commissaire de Bruxelles exilée à Mexico avec sa
famille).

En
attendant, je dois dire que ma première crainte finalement est qu'on
ne parte PAS, maintenant que je me suis faite à l'idée et que j'en
suis à ma cinquième leçon du japonais parlé en quarante leçons.

  • Ah
    et puis, il paraît que les Japonais ont réagi très calmement, il
    n'y a eu aucune scène de panique…

Ma
mère, encore elle. Même quand le tsunami a déferlé à 400
km/heure sur Sendai, la ville portuaire la plus touchée, ils ont
continué à marcher au pas en échangeant des saluts de politesse?

  • Tu
    apprendras vite, Mimi, à garder ton sang froid… ça te fera un
    bon entraînement tiens!

Ma
tante Babe qui me reproche de paniquer pour un rien (sauf concernant
mon destin professionnel).

A
la fin de la journée, toutes les images et paroles relatives à ce
tremblement de terre du 11 mars avaient écrasé ces autres images
que j'avais commencées de recenser sagement sur le papier, adieu
cerisiers en fleur, mont Fuji au dôme enneigé sur les dits
cerisiers en fleurs, adieu pagodes en bois et rizières riantes, et
il ne me restait plus qu'une gigantesque sensation de sang pas froid
du tout, d'angoisse diffuse (partira, partira pas?), un creux de la
vague (enfin, si on peut dire) après ces derniers jours si
prometteurs en aventures extra-montreuilloises…

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