Le quatrième T du Japon

Kunichiwa,
konbanwa, arigato, ohayo gazeimasu, watashi to anata… chaque jour,
je progressais un peu plus en japonais et chaque jour aussi, le Japon
s'éloignait un peu plus de moi sur sa plaque tectonique, ses radium,
ses nitrium et autres merdium évanescents.

Lundi,
sans plus d'illusions, j'ai pris tout ce qui touchait de près ou de
loin au Japon, et je l'ai enfermé à quadruple tours dans un
placard. Adieu mangas, adieu hiragana, katakana, kanji, adieu Haruki
Murakami, Jiro Tanigushi et Kenzaburo Oé, adieu Lonely planet,
Nicolas Bouvier, le miso accommodé de cent façons, l'art de
connaître le pourquoi du comment d'un froncement de sourcil nippon
lors d'un dîner d'entreprise, etc etc.

J'ai
fait un beau rêve et je vous en remercie mais ce n'était qu'un
rêve, maintenant, je retourne à ma banlieue, à mes écrits et à
mon Syndic.

En
effet, il ne vous aura pas échappé à moins que d'être comme BHL
un aficionado de l'interventionnisme occidental en milieu maltraité
(sauf en bande de Gaza) qu'après le tremblement de terre, le
tsunami, les typhons, est venue l'heure du quatrième T, pour
Thermonucléaire avec en corollaire le « anything is under
control »… Bien que nous concernant, tout va bien, madame la
marquise, nos radium et notrium et tout le bazaraum à nous les
Français sont ultra sécurisés, merci monsieur Besson de nous le
dire haut et fort (déjà quand un spécialiste du nucléaire me dit
ça, j'ai pas confiance, alors les certitudes de monsieur Eric Besson
en blouse blanche merci bien).

Pour
être totalement sûrs, pour notre part, qu'une fois encore, notre
plan d'évasion était à l'eau, on a surfé sur internet avec A.
Difficile de dire ce qui était le plus apocalyptique… La vague
emmenant tout sur son passage avec les voitures charriées comme des
Majorette jetées dans un torrent, avec les maisons, les bateaux? Les
images des survivants du nord-est, ou celles des corps des non
survivants? Ou bien le récit heure par heure des évolutions de la
centrale de Fuck-shima comme on l'a aussitôt rebaptisée? A moins
que ce ne soit cette image d'une petite vieille assise dans une
barque, née à Hiroshima, bombardée à 19 ans, rescapée
miraculeuse, qui se retrouve 66 ans après survivante du tsunami mais
très prochainement future irradiée et qui répète en boucle, je
n'aurais jamais dû naître, je n'aurais jamais dû naître…

  • C'est
    cuit, a fait laconiquement A. Oublions le Japon.

Et
tel un ex futur Japonais, il s'est remis à travailler. The show must
go on…

Et
moi? Moi j'étais toujours une Française de France! Alors je n'ai
pas travaillé du tout! J'ai fulminé, cafardé, déprimé,
pleurniché, et angoissé! Certes, je ne me suis pas ruée sur les
stocks d'iode de ma pharmacie pour m'en gorger après m'être
calfeutrée chez moi car on ne sait jamais, c'est pas parce que les
Tokyoites situés à 230 km de la centrale prête à exploser
continuent d'aller travailler qu'il faut rester zen alors qu'on est
quand même à tout juste 8000 km de la dite centrale. Non, mais je
me suis juste sentie dégoûtée, déprimée, démoralisée,
déglinguée… sauf votre respect et le cauchemar vécu par l'Ile du
soleil levant.

L'avenir
merveilleusement exotique qui m'était promis à moi la semaine
dernière venait de s'écrouler comme un château de cartes construit
sur un plaque tectonique. Adieux articles désopilants écrits sur le
Japon, adieux nouvelles renouvelées, adieux récits de voyage
épiques, adieux cours de français donnés de ci de là à des
cadres supérieurs bouffis de politesse ou à des enfants japonais
d'une sagesse presque pathologique… adieux bye bye Bécassine et
fuck le Syndic… et bonjour le retour au quotidien quotidien.

  • Un
    peu de décence, Mimi… m'a fait remarquer ma non muse. Il y a
    quand même plus de 10 000 macchabées japonais attendus sur le bord
    de mer nippon!

Ma
non muse, ne cherchant même pas à cacher sa satisfaction de me voir
redoubler à Montreuil cette année encore.

  • Mimi
    enfin voyons… quand on pense à tous les morts et au stoïcisme
    des Japonais, prends exemple sur eux!

Sur
qui? Les morts? Ma mère un peu plus tard sur le téléphone normal
(adieu Skype…), donc, soulagée que nous restions (mieux vaut être
un sushi qu'une femme au Japon) et venue me remonter le moral à sa
façon.

Et
toute la sainte journée ça a été ça.

  • Je
    suppose que le Japon n'est plus d'actualité?

Une
amie qui, je me le rappelle maintenant, avait fait la moue quand je
lui avais annoncé la nouvelle triomphalement. La phrase dite ainsi
avec une voix compatissante certes mais dissimulant mal, à son tour,
une note triomphale (ahah, tu croyais échapper à notre laborieux
quotidien?!).

  • Relativise
    ma vieille… t'imagines si t'étais là bas? T'imagine si A avait
    commencé sa période d'essai? Toi ici avec les petits et lui là
    bas, seul? Travaillant comme un pendu? Car vu ce que tu me racontes,
    il a du sang nippon qui lui court dans les tendons ce garçon…

Certes,
mais je n'arrête pas de me dire qu'il y aurait pu AUSSI ne pas avoir
eu de tremblement de terre ni de tsunami ni de centrale bang bang.
Cette plaque avait attendu des décennies, elle aurait bien pu
attendre encore au moins cent ans!

  • C'est
    le destin, Mimi, c'est que tu ne devais pas aller au japon et puis
    voilà tout!

Une
voisine bouddhiste. Mais si je devais! J'avais acheté des tas de
livres! J'en étais à la cinquième leçon de mes 40 leçons,
j'avais déjà un social network qui se mettait en place! J'avais
commencé à remplir mon dossier d'inscription pour faire une licence
de FLE à la fac par correspondance! J'avais déjà coupé dans ma
tête avec le Syndic et toutes ses années d'ennui,et voilà toute cette période de ma vie qui me
revient d'un seul coup d'un seul dans la fiole avec la force d'un
tsunami!!

  • Ah
    bon? Vous n'êtes pas en train de faire les cartons? Vous ne partez
    pas finalement?

D'autres,
à côté de la plaque (tectonique). Si si, on a vidé toutes nos
étagères, les petits sont dans l'enceinte de confinement, on avale
encore un peu d'iode et on y va, hoplà!

  • Oh
    ça aurait été si bien pour toi… tu aurais pu enfin te lancer
    dans l'écriture… de voir autre chose, cela aurait complètement
    renouvelé ton imaginaire, ta création… que c'est bête, que
    c'est dommage, que c'est moche… et puis ce pauvre A… un poste en
    or alors qu'il ne trouve rien en France… vous n'avez vraiment pas
    de chance!

Un
amical plus ou moins bien intentionné qui remue son grand couteau
dans notre plaie si infime, on ne le dira jamais assez, eu égard au
malheur des Japonais pour qui, hélas, ce n'est même pas fini entre
secousses et menaces thermonucléaires, mais une petite plaie quand
même, notre plaie (la mienne surtout, je ne suis pas du tout une
Japonaise dans l'âme, je le dis et le répète).

Le
tout sur fond de commentaires à la fois terrifiants et rassurants
concernant le thermonucléaire. Risque de 6 sur une échelle de 7,
réacteur 1 puis 2 puis 3 puis 4 puis… en rades, chauds bouillants,
émanations radioactives, ouvriers héroïques, entendez sacrifiés,
à la mode liquidateurs ukrainiens, vent portant la radioactivité
dans les avenues de Tokyo, le « c'est quoi ce bordel? »
du premier ministre nippon, écouté à travers une porte, alors
qu'il s'adressait à un ponte de la société super chouette qui gère
la centrale et qui s'était décidé enfin à donner quelque infos au
gouvernement nippon alors que le monde entier pouvait voir depuis une heure
le
sinistre panache au-dessus de la centrale, etc, etc.

Quant
au nucléaire civilisé, c'est à dire le nôtre, Eric Besson l'a
dit, il n'y a rien à craindre en France, nos centrales sont sûres
et parfaitement under control, d'ailleurs, il habite dans le sud à
côté de l'une d'entre elle, c'est-y pas la preuve par 9 ça que
tout vil a très très bien? (et il prend le TGV tous les matins pour
aller à Matignon, c'est ça?). Et puis, comme je l'ai entendu dire
par une huile du radium, on ne fait pas du nucléaire par plaisir
mais par nécessité, même s'il est vrai qu'on est pas contre en
faire un peu plus pour l'exporter, même si on n'est pas trop embêtés
non plus de priver régulièrement l'hiver les Bretons de jus pour
les punir de ne pas avoir accepté une future bombe A sur leurs
plages, même si on refuse absolument de penser à d'autres moyens
que la fusion nucléaire ou le pétrole pour fabriquer de l'énergie,
comme à changer nos modes de vie énergivores, etc etc.

  • Je
    n'ose même pas t'appeler…

Aveline,
par mail. Imaginant trop bien mon état fissionnel même si, on ne le
dira jamais assez, ce n'est rien eu égard etc etc.

Et
maintenant, il neige sur le nord du Japon, les survivants survivent encore un
peu moins bien, la Centrale ne cesse plus de bouillonner, réacteur
après réacteur, Tchernobyl semble même bientôt rattrapée si ce n'est dépassée… il
y-a-t-il seulement encore un quart de Dieu dans l'avion nippon?!

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