Faites la gueule s’il vous plait (suite et fin)

Car il y a une suite au
billet du 28 avril

Dix jours ont passé sans
que nulle créature rescapée du bloc de l'Est tendance Staline
option porte de goulag ne m'ait appelé pour me signifier aimablement
que…

  • La photo de votre
    fille va pas! Elle a la bouche entrouverte! Et les yeux trop grand
    ouverts, elle ressemble à une Martienne!

  • Et celle de votre
    fils, non plus! Le fond est trop clair et son tee-shirt orange a été
    récusé car ça fait penser à la tenue de Guantanamo! et qui dit Guantanamo dit terroriste!

Je me disais donc, ouf,
c'est bon, j'allais pouvoir les récupérer en même temps que ma carte
d'identité que l'honorable république avait mis plus de 2 mois à
réussir à me refaire. En fait, là, je suis mauvaise langue,
l'honorable république n'y est pour rien, juste l'honorable mairie
de Montreuil et ses non moins honorables mesdames Honecker et
Brejnev. C'est en passant un coup de fil, à tout hasard, pour savoir
ce qu'il en était que j'ai appris que ma carte était là et qu'elle
m'attendait. Comme on m'avait assuré que je recevrai un avis pour
venir la rechercher, j'attendais donc, docilement.

Bref. Mercredi matin cependant,
drelin drelin, le téléphone a sonné et au bout c'était…

  • Allo, mademoiselle
    Chotek? Ici la Mairie de Montreuil…

Ah.

  • Voilà… je vous
    appelle parce que… on a perdu le passeport de votre fils…

  • Non?!

  • Si… c'est
    l'informatique, mademoiselle, moi je n'y suis pour rien alors hein,
    pas la peine de crier!

  • Mais je ne crie pas,
    je suis juste… euh…

  • Vous pouvez passer?
    Il faut tout refaire!

  • Oh non!

  • Si! Tout!

  • Les photos,
    l'ext(rait de naissance, le…

  • Non, je n'ai pas dit
    ça, écoutez moi quand je parle! Il faut juste refaire la démarche
    avec les papiers que l'on a déjà et on a besoin de vous pour la
    signature de la fin!

  • Ah bon, j'ai eu
    peur…

Car du coup, je suis
presque soulagée. J'échappe au plus dur, refaire le portrait de la
binette du Zébulon, refaire la queue avec lui, après avoir à
nouveau rassemblé mes papiers dont un extrait de naissance sans doute désormais périmé, ce qui signifie envoyer un mail à la
mairie du 12ème et…

  • Je vous laisse,
    mademoiselle Chotek, je n'ai pas que ça à faire!

  • Ok, ok… et je
    demande qui, quand je viens?

  • Eh bien… demandez
    Brigitte! C'est moi! Venez demain à 14 h 00!

  • Euh… Brigitte
    comment?

Mais clong, elle a déjà
raccroché.

Le lendemain, donc, je me
pointe au rendez-vous de 14 h 00. La fille de l'accueil, une
adolescente qui fait sans doute son stage en entreprise de 3ème vu
que je lui donne maximum 14 ans et demi, après avoir écouté mon
petit laïus, part chercher la dénommée Brigitte en me plantant là,
bras ballants.

Elle revient peu de temps
après accompagnée de madame… Brejnev (c'était donc Brigitte
Brejnev, le nom entier), celle qui m'avait signifié qu'ils n'étaient
pas la Samaritaine. Et elle n'a pas l'air d'avoir retrouvé sa joie
de vivre depuis vendredi en 8.

  • C'est à quel sujet?
    Elle me demande d'un air déjà excédé.

Je suis un peu surprise.
Je l'ai eue la veille, et elle m'a donné rendez-vous. Bon, mais ils
doivent voir foultitude de gens comme moi, de passeports perdus et puis, Alzheimer s'attaque
peut-être volontiers aux fonctionnaires de mairie. Je lui
ré-explique le tout.

  • Ah bon… fait-elle,
    de son air toujours excédé. Il va falloir donc tout refaire!

  • Comment ça tout? Je
    me rebiffe. Je croyais que ce n'était pas la peine de…

  • C'est moi qui vous
    ai eue hier au téléphone alors je sais ce que je vous ai dit tout
    de même!

  • Ah bon, mais alors
    pourquoi ai-je dû répéter tout mon petit laïus si tu voyais très
    bien qui j'étais connasse mal baisée hein?

Bon, bien sûr je ne lui
dis pas ça, je prends juste un air piteux et j'assure que j'avais
compris qu'il n'était pas nécessaire de rapporter tous les papiers.

  • On en a pas besoin!
    Elle glapit. Puisqu'on les a! On veut juste votre signature!
    Suivez-moi!

Je la suis, soudain et à
nouveau reconnaissante comme une sans papier à qui on vient de
promettre une carte de séjour de dix ans, et elle me plante devant
un des box en me disant, mon collègue va vous prendre.

Mais Brigitte! Ne
m'abandonnez pas! Ne me laissez pas! On se connait bien maintenant!
Je ne veux pas faire la connaissance d'une troisième femme enfin un
homme cette fois-ci, issu du bloc de l'Est!

Le collègue en question
me fait passer après son client avec qui, je note, il s'est montré
très aimable. Je sens les yeux de la femme qui attendait derrière moi
et devant qui je passe (Brigitte m'a dit de passer en priorité!!) me
trouer littéralement le dos mais tant pis, quand on lui aura paumé
son passeport à elle aussi, elle aura le droit de passer devant tout le monde.
En attendant, le mon-collègue, c'est plutôt le style baba cool aux cheveux courts, oreille percée, bracelet indien, si c'est un ressortissant d'un ex
pays communiste, ça doit plutôt être un yougoslave. Et il est
aimable, en plus, monsieur Tito, et souriant.

  • Je vérifie
    l'extrait de naissance… il me fait en fouillant le dossier du
    Zébu… ouf… la date est bonne… de peu mais elle est bonne…

Parce qu'ils auraient osé
me renvoyer dans mes pénates en redemander un autre si la date avait
été dépassée à cause d'eux?! Je préfère ne pas creuser la
question, monsieur Tito a l'air coopératif, c'est l'essentiel.

  • La facture de
    téléphone? Vous avez l'original?

  • Euh non… on
    (Brigitte!!!) m'a dit que ce n'était pas la peine de rapporter
    l'original!

  • Ah…

il a l'air embêté, et
soudain hésitant. Puis il a un geste désinvolte.

  • Tant pis, on fera
    avec! Et une photo de votre fils, vous avez?

  • Euh non… votre
    collègue (Brigitte putain!!!) m'a dit hier que…

  • ok, ok… pas
    grave… ça devrait passer…

Et que je tape sur les
touches et sur l'écran de l'ordi et sur le clavier et que les néons
sautent…

  • Désolé, mon
    clavier ne répond plus, je dois tout éteindre et recommencer…

On éteint tout, donc, et
on recommence. Deux fois au cours de tout le processus. Je commence à
entrevoir pourquoi Brigitte et madame Brejnev ont cet air las de la
vie, de bureau notamment. Monsieur Tito agite ses bracelets tout en
tapotant son ordinateur, écran, clavier, disque dur… tout en
s'excusant platement.

  • Oh vous n'y êtes
    pour rien, je fais grande seigneur (en plus, c'est vrai), euh… ça arrive
    souvent?

  • Tout le temps! Les
    machines sont trop sollicitées! On fait tous les passeports du 93
    parce qu'ici nos délais d'attente sont très courts… 15 jours
    maxi!

Sauf quand on vous le
perd. Néanmoins, si tout le 93 déferle sur Brigitte Hoeneker, madame Brejnev et
monsieur Tito, je comprends mieux leur air lassé de tout (ce qui,
concernant les deux premières, n'excuse pas leur mal amabilité de
principe, ça va de soi).

Bon, je finis par
repartir serrant dans mon sac ma nouvelle carte d'identité plus le
passeport de Danaé que l'on (Brigitte) ne m'avait pas dit être
arrivé malgré le fait que je devais en être avertie. A ce propos, le camarade Tito me recommande chaudement de les
appeler dans dix jours pour savoir si… la binette du Zébu aura été
refusée ou non. J'essaye de ne pas céder au découragement, dix
jours d'attente pour peut-être à nouveau tout recommencer, il ne
faut pas être pressé, comme devoir fuir son pays parce que, par
exemple, les chars de l'armée rouge ont pris le pouvoir.

De retour à la maison,
je range précieusement tous les passeports ensemble (pauvre Zébu,
c'est le seul à en être privé) et je me dis que le Japon se
rapproche à grands pas.

  • Les risques d'une
    catastrophe nucléaire sont loin d'être écartés, m'apprend ce
    matin la voix légèrement grelottante de Frédéric Charles, le
    correspondant de France inter au Japon, 90 000 tonnes d'eau
    hautement radioactive dans les cuves… 90% du cœur toujours au
    fond de la cuve… température de… forts rejets dans la mer… fuites définitivement arrêtées pas avant 2012… 

J'éteins la radio, à
nouveau angoissée. J'ai presque envie d'appeler le camarade Tito
pour dire que j'annule tout et que je vais prendre un poste entre
Brigitte et sa comparse, on fera la gueule à trois et on se
remontera le moral en disant aux sales bourgeoises qui font faire des
passeports à leurs enfants pour cause de voyage à l'étranger,
qu'ils ont été perdus…

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