Jours E, F, G…

Les jours E, F, G… (avant le jour J) étaient déjà là, entendez que A était assis sur sa valise pour essayer d'y faire tenir ses 20 kilos réglementaires tandis que je me consacrais à des activités aussi passionnantes qu'aller chez le généraliste, puis l'ORL (otite de la zouflette) ou répéter en boucle ma phrase du spectacle de fin d'année de la crèche du Zébu (Huberto, tu n'est pas juste avec Momo) tout en essayant de répondre aux questions techniques d'un brave garagiste de Corrèze prêt à monter à Montreuil racheter une voiture dont je ne savais plus même distinguer la pédale de frein de l'accélérateur.

Ma non muse en reprenait quatre fois des nouilles car même pour écrire un billet pour le blog, je devais le faire une demie-fesse levée avec une odeur de purin derrière (couche de la Zouflette) et un Zébulon qui râlait de ce qu'il n'arrivait pas à bien voir son film sur l'écran que nous nous partagions. Inutile de dire que ma pièce de théâtre était au point mort, mes concours de nouvelles, en stand by, et mes nouvelles sur la maternité, au fond du puits.

Au moins, la situation s'était arrangée au Japon, à Tokyo du moins, la vie normale avait repris son cours…

 – Zoubida m'a dit que vous partiez au Japon?! Vous êtes sacrément téméraires (=inconscients)! J'ai un ami qui y est parti pour 3 semaines, je lui ai conseillé de ne boire que de l'eau minérale importée, je lui ai même offert un pack d'Evian pour son voyage!

La mère du petit Evian, euh Elian, avec qui le Zébu est gardé un jour par semaine, dans le local à poussettes de la crèche alors que je cherche désespérément une tutute pour une zouflette hurlante, alors que le spectacle de la crèche dans elquel je tenais le rôle d'une acrobate allait démarrer.

 – Oh, faut pas exagérer tout de même… (moi, très zen).

 – Certes, mais bon, avec toutes les fuites qu'il y a encore, toute la chaîne alimentaire doit être CONTAMINEE!

– Autour de Foukouchima peut-être mais…

– Et puis ILS MENTENT!

– Qui?

– Le gouvernement JAPONAIS!

A encore insisté cette déplaisante créature. je lui aurais bien fait remarquer que notre gouvernement aussi avait menti en 1986 au sujet de Tchernobyl en disant que le nuage s'était arrêté aux choucroutes alsaciennes et que des savants mangeurs des dits choucroutes avaient d'ailleurs révélé il y a peu qu'on leur avait demandé de taire leurs résultats qui montraient un net accroissement de la radioactivité, mais elle avait filé, Elian ayant pris la fuite de peur sans doute d'être contaminé par cette créature téméraire (inconsciente) qui discutait avec sa mère. 

Plus tard, à la fête de la crèche, j'ai revu Mayumi, une Japonaise mariée à un immense Danois, elle m'a rassurée en disant que tout se passait bien à Tokyo puis elle m'a appris qu'elle attendait un troisième enfant…

-… on va pas aller à Tokyo cette année, à cause de ça! S'est-elle justifié. Sinon, on y aurait été! 

– Vous allez demander à votre famille de vous envoyer de la nourriture chaque mois? S'est immiscé son mari.

– Je vais en emporter, j'ai répondu, et puis après, on verra bien…

– Mais ça ne pourra pas faire plus de 15 jours! Il a gloussé. Va falloir faire gaffe hein! Apprendre rapidement à lire les étiquettes!

Puis il a souhaité un "Bon ben bon courage" vibrant à A en lui tapant sur le dos avant que d'aller s’empiffrer d'un gâteau au chocolat intact de radiation. Plus tard, il m'a encore redit toute son inquiétude au sujet de la chaîne alimentaire japonaise immanquablement contaminée tandis que la mère d'Elian me regardait au loin d'un air tout à la fois admirateur, horrifié et compatissant. J'ai eu du mal à apprécier le goûter surtout que Zébylon est venu me dire qu'il ne voulait pas aller au Japon car la terre tremblait. 

– Pas plus que quand c'est le métro qui passe! Je lui ai assuré. 

Métro étant un mot magique le concernant, mais il était déjà reparti taper sur les grands frères de ses copains à coup de ballons gonflés à l'hélium de nos poumons. 

Plus tard, en passant sur la place de la mairie, un groupe d'écolos a tenu à tout prix à me distribuer leur tract, forcément dévolu au nucléaire, et dans lequel ils me promettaient un accroissement des cancers ainsi que des mutations génétiques, au Japon et certainement au-delà. Ce qui, en même temps, semblait signifier que personne n'y échapperait où qu'il se trouve, relativisant ainsi ma grande angoisse d'aller vivre là bas avec une partie de mon ADN (le Zébu et la Zouflette) car oui, je devais l'avouer, au fond de moi, j'étais archi flippée et de croiser à chaque fois ces gens qui me brandissaient l'atome en pleine face, n'arrangeait rien à l'affaire. 

– Il faut mettre un masque! Ils mettent tous des masques là bas!

M'a conseillé Ana la croate des Beaumonts de son accent pleinement slave. Je lui ai fait remarquer que c'était contre la grippe, voire les banals rhumes mais elle n'a pas voulu en démordre, un masque et tout irait bien. Puis elle a ajouté :

– C'est la vie, si on ne peut pas faire autrement… le boulot c'est le boulot… 

Un peu comme si on était des pauvres émigrés nord-africains s'apprêtant à embarquer sur un radeau de tôles ondulées. Puis elle m'a à nouveau raconté comment les usines automobiles et toutes leurs saloperies avaient eu la peau de son mari, mort précocement dans son fauteuil un dimanche après-midi.  

Je suis rentrée m'ouvrir une bière à la maison tandis que A baignait les deux moitiés de son ADN, et je me suis dit, pour la millionième fois au moins, une fois sur place, tout sera plus simple et puis au pire, on rentrera à Montreuil.

– Certainement pas! A protesté A. On part là bas et on essaye de rester! Et si jamais c'est trop dangereux, eh bien…

Il a laissé sa phrase en suspens et j'ai bien vu qu'il ne voyait pas quoi me proposer comme alternative. On a trinqué nos canettes et on est passé à autre chose. 

 

 

 

 

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