Que faire de ses petits enfants à Tokyo? Partie I : le kindergarten.

Telle est la grande
question que se pose Marie Chotek, alors que, ce matin là, sa non
muse chérie trace à l'encre japonaise des points d'interrogation
sur un exemplaire de son ex futur recueil de nouvelles consacré au
thème de la maternité.

Parenthèses : à l'heure
où j'écris ces lignes, la Zouflette qui a dormi 5 minute 20 ce
matin refuse catégoriquement de faire la sieste et je repense une
fois encore à ce grand écrivain africain (euh vous voyez qui
n'est-ce pas?) qui se plaignait qu'en Afrique l'écrivain souffrait
de ne pouvoir écrire tranquillement par manque de solitude… qu'en
est-il des bébés qui vous refuse jusqu'à vos deux seules petites
heures de liberté en boycottant leur sieste?

Bref. C'est pas tout ça
d'avoir eu la chance de décrocher deux enfants forcément
magnifiques à la tombola des rescapées tardives du célibat, encore
faut-il les occuper quand on s'en occupe toute la sainte journée…

  • Ne te plains pas,
    Mimi, c'est toi qui l'as choisi!

La Grande Simone,
intervenant sur skype bien que ce soit la nuit par chez elle, et
juste désespérée de voir comment tourne sa fille jadis libérée
partie pour devenir housewife de profession.

Certes mais que faire,
tout de même, de ses enfants à Tokyo?! Eh bien, déjà, inscrire le
plus grand au kindergarten… Allez savoir pourquoi ce mot est en
allemand, quand les Allemands n'ont jamais mis les pieds dans ce
pays… sans doute parce qu'ils en sont les inventeurs? Les
pionniers?

  • Bien sûr que oui
    Mimi! En France, nous avons institué une école maternelle non
    obligatoire certes mais libre et gratuite qui fait saliver les
    femmes et les hommes évolués du monde entier… Quant ailleurs, en
    Allemagne par exemple, où on séquestre les femmes devenues mères
    jusqu'à l'entrée des petits au CP, on a ce qu'on appelle des
    « jardins d'enfants » où les petits sont à peu près
    autant éduqués d'un point de vue intellectuel qu'une rangée de
    légumes… sans compter que, dès le déjeuner avalé, mesdames,
    vous pouvez venir récupérer vos petits!

En effet, le kindergarten
japonais à l'instar de son collègue allemand commence à 9h00 et
se termine à 14h00 pétantes, autant dire que j'aurais tout juste le
temps de coucher la Zouflette pour la sieste qu'il me faudra la
réveiller toutes affaires cessantes pour aller rechercher son frère,
et il me faudra les occuper de 14 à 19h00, hiver comme été, saison
chaude comme saison dégoulinante de pluie, saison typhonesque comme
saison sismique.

Mais bon, quoiqu'il en soit, mercredi
dernier, décidée à secouer cette sournoise torpeur qui s'était saisie de moi…

  • Le décalage
    horaire…

  • Le mal du pays…

  • Le contre-coup…

  • Que des excuses tout
    ça!

… j'ai mis le cap après
la sieste, rare mais longue sieste (ah merci sainte marie des
roupillons), sur le kindergarten qui se trouve au-delà de yoyogi
koen, soit environ 20 min de marche, 40 avec un Zébulon à la
remorque et un pont où regarder passer tous les trains du monde et
de la fin de journée surtout.

Sous une pluie fine, nous
avons remonté le le long du Yamote-dori, qui ressemble comme un
frère aux boulevards extérieurs investis par Bertrand et ses
travaux, en plus laid si c'est possible à cause des tours en béton
qui lui font comme une haie d'honneur, des fils électriques qui
pendent de partout (pourquoi se fatiguer à enterrer des câbles
qu'un séisme vous déterrera en deux coups de cuillère à pot…?)
et des engins de chantier qui grondent ça et là. En plus, en milieu
de parcours, afin de tester la motivation de la mère indigne qui ne
songe qu'à de débarrasser de son mioche de 3 ans et demi pour
pouvoir écrire, se dressait une passerelle qu'il était impossible
de contourner par le bas. Donc volée de marches à se farcir, sous
la pluie, en tongs et avec une poussette garnie d'une gamine qui
frôle les 10 kilos sans oublier la bouteille d'eau et les couches et
etc etc tandis que des japonais de tout âge et de toute condition me
dépassaient joyeusement sans songer le moins du monde à me tendre
une main secourable.

Avec tout ça, nous
sommes arrivés à 18h30 au portail du kindergarten, en même temps
qu'une dame en bicyclette qui dring dring a fait surgir une petite
bonne femme habillée telle la vierge tout en bleu. Cette dernière
nous a gentiment reçus bien que le pied dans le portail (n'entrez
pas), tout en se montrant désireuse de nous renvoyer vers l'école
internationale d'à côté (2 millions de yen par an j'ai appris
ensuite) ou bien alors de repasser demain, enfin je suppose car elle
ne parlait pas un mot d'anglais ou alors juste 4 ou 5 mais pas plus.

  • Amerikani? Elle m'a
    demandé en désespoir de cause car je ne semblais pas décidée à
    partir.

  • Firansu! J'ai
    beuglé. Firansu! Paris!

Paris, la France, la
mode, le fromage au lait cru, le luxe et Notre-Dame… je commençais
à connaître le pouvoir attractif de ces deux mots, France et paris,
d'où mon enthousiasme à les lui crier… Et de fait, ce fut un vrai
sésame magique puisque pof, le portail s'est soudain ouvert d'un
seul coup, en grand même, comme si on était en carrosse, et la
petite dame en bleu a filé dans le bâtiment en en jetant au passage
ses claquettes de bois sous l'auvent.

Que devions-nous faire?
Le Zébu s'était penché sur un bassin de poissons rouges, la
Zouflette mordillait sa sucette et moi, je triturais le petit carnet
dans lequel l'avais inscrit les mots clé relatifs au kindergarten et
qu'il allait sans doute me falloir mobiliser.

  • Datsumô wikkusu o
    arimasu ka?

Avez-vous de la cire à
épiler? Euh non, pas cette phrase là. Cette autre peut-être?

  • watashi o tôroshiko
    suru koto dek masu ka?

Puis-je faire une
inscription? Enfin, quelque chose comme ça.. euh pas très japonais
dans le style (ni même français d'ailleurs) mais c'est du google
translate, sumimasen.

En attendant, la femme en
bleu s'était mise à me faire de grands signes depuis une fenêtre
au rez-de-chaussée. Je me suis empressée de la rejoindre, virant
mes tongs et les bottes du zébu, emportant la Zouflette et sa
sucette sous le bras, et la femme m'a tendu un combiné de téléphone
avec ce mot surnageant parmi tant d'autres incompréhensibles,
english.

Au but du fil, une voix
de femme parlant anglais, distinctement, une pure île à cocotiers
dans cette mer de pics et récifs qu'était pour moi le japonais.
Jamais l'anglais, langue dans laquelle madame ducaddie m'avait
régulièrement ridiculisée au lycée, se fichant et de mon accent
et de ma syntaxe et de mon vocabulaire chétif, et au final, de ma
personne toute entière (j'ai toujours suscité l'aversion des profs
d'anglais, allez savoir pourquoi), ne m'a semblé aussi facile et
agréable ce jour là.

Il en est ressorti que la
petite dame en bleu était la headmaitress, qu'une place s'était
justement libérée que le Zébu pouvait prendre, quand bien même il
n'avait pas 4 ans mais 3 et demi, que les vacances commençaient ce
jour, la rentrée étant le 8 septembre à 14h30, et qu'elle, la
femme, était la mère d'un petit élève de l'âge d'Oscar au nom de
Raguani (truc de ce genre), qu'elle partait en voyage mais qu'elle
voulait bien me laisser son numéro de mobile si jamais j'avais des
questions à poser.

L'Humanité, du moins la
japonaise, était merveilleuse. Non seulement on m'avait ouvert la
porte à 18h30 passés, mais on avait été m'appeler une mère
d'élève parlant anglais, laquelle se révélait incroyablement
serviable et sympathique. Je planais… elle allait devenir mon amie,
comme son fils le serait avec le mien, on se ferait des bouffes le we
ensemble, elle nous présenterait d'autres gens, parlant anglais,
voire français, grâce à elle, je trouverai même un petit job qui
me permettrait de…

Pendant que je baignais
dans cette sorte de résurrection sociale, le Zébulon courait dans
la cour en chaussettes sous la pluie en poussant la poussette de sa
soeur qui se remplissait ainsi lentement d'eau peut-être
radioactive… sa soeur, elle, avait atterrie dans les bras de la Headmaitress. Cette dernière avait été lui repêcher sa sucette
jetée sous la table et lui fredonnait un petit air du coin tout en
se balançant sur ses pieds nus et en farfouillant sur son bureau en
essayant d'éviter que les mains de la gamine ne se saisissent des
papiers qu'elle était en train de rassembler.

Quand j'ai raccroché, je
me sentais infiniment soulagée et j'ai multiplié les courbettes à
l'intention de la Headmaitress, des murs, des poissons rouges, des
papiers qu'elle me tendait, tous unanimement écrits en un japonais
serré. J'avais trouvé une place au zébu (qui présentement
escaladait le bureau de la directrice) et…

  • De 9 à 14h00,
    super, à peine le temps de le déposer qu'il faut presque aller le
    rechercher…

  • Que vas-tu faire
    avec la zouflette et sa sieste, ça tombe pile poil pendant!

  • Et la Zouflette, tu
    vas en faire quoi d'ailleurs?

  • Et comment
    espères-tu travailler avec de tels horaires?!

  • Et ne serait-ce même
    que pour apprendre la langue?!!

  • Bonjour le
    timming…

  • Et pour la bouffe,
    vous allez faire comment?

  • Entre le régime
    sans viande ni poisson du petit…

  • … et les risques
    de contamination radioactive, bon courage!!

Eh bien, je verrai ça
plus tard. Le système public de nursery japonais semblait aussi
bouché que le français, mais il devait bien y avoir une solution
non?

  • Non, les femmes
    japonaises restent à la maison, Mimi, jusqu'à ce que leurs enfants
    soient assez grands pour se suicider à cause d'un système scolaire
    trop élitiste et par trop étouffant…

Shut up.

Avec trois mots de
japonais, mon anglais rouillé et mes mains jointes (respect,
sociabilité et enthousiasme), j'avais réussi à inscrire mon fils
dans un kindergarten, moins de deux semaines après mon arrivée.
Même la pluie potentiellement radioactive pouvait bien me couler
dessus ce soir là alors que le long de cette avenue sinistre, je
poussais mon chargement, le dos du Zébu assis sur la barre de la poussette me tombant régulièrement
sur le nez, ma capuche sur les yeux, et mes tongues chassant à
droite à gauche, je me sentais soudain en passe de construire
quelque chose dans ce pays qui, ce matin là, m'apparaissait dans sa
langue plus hermétique que le logos du Rocard des années 90
ou plus inaccessible encore que la face nord de l'édition
parisienne… c'est dire.

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