Que faire de ses enfants à Tokyo II : aller à l’hôpital.

Soit un Zébulon,
zébulonesque. Une mère, maternelle certes mais pas fort vigilante
(sauf préfectures encerclant la numéro 7, c'est à dire celle de
Fukushima). La mère, donc, après avoir sué sur son japonais une
bonne heure, pour des poils de geisha vu les résultats in vivo pour
le moment, part prendre sa douche en se disant, autant le faire
pendant que la petite dort, après pof, réveil, déjeuner et on file
chercher l'alien card à la mairie de shibuya et même se renseigner
pour inscrire la zouflette dans une garderie à la rentrée (ce qui
permettra peut-être à sa mère de décoller en japonais en suivant
des cours avec de vrais gens et non un vrai livre étalé sur sur la
table).

Mais alors que la dite
mère essaye de rivaliser avec une geisha quadragénaire penchée sur
son miroir, sa pince à épiler en main, des cris soudain à la porte
de la salle de bain, elle ouvre, en ronchonnant et découvre un
Zébulon en pleurs, la main en sang… suivi par un cortège de
gouttes de sang qu'elle remonte jusqu'à la cuisine en passant par le
tapis en jonc du séjour sans oublier le parquet et les tatamis dans
la chambre…

Par Amaterasu! Que
s'est-il passé?!

  • Qui ça?

Une amie, sur skype,
suivant en direct les évènements même s'il est 4 h du matin chez
elle (une célbataire insomniaque sans doute).

Amaterasu est la déesse
dont sont censés descendre les membres de la famille impériale, la
déesse du soleil qui pour l'heure est cachée, tandis que le Zébulon
pleure et crie en parlant de petit couteau. Tu parles, c'est avec le
grand couteau à pain et la main gauche, tant qu'à faire, qu'il a
essayé de se couper une tranche de pain…

  • C'est de ta faute
    aussi! Je t'ai dit mille fois de ne pas laisser traîner ce couteau
    bon sang!

A, appelé sur skype
tandis que son collègue lui demande où il veut aller déjeuner,
pizza au tofu ou sashimi végétal?

Pendant qu'A me sermonne,
j'éponge la main, le sol, colle sur le doigt du Zébu un tampon de
démaquillage qui ici ressemble comme un frère à une compresse, maintenu avec un morceau de scotch,
tandis que je lui blatère, il ne faut jamais toucher un couteau, tu
le sais pourtant! Et que lui, ne cesse de répéter entre deux
sanglots qu'il se coupera la prochaine fois du pain avec son petit
couteau (qui ne coupe pas).

  • Va demander au
    concierge où se trouve l'hosto! M'exhorte A. Vas y immédiatement!

  • Mais il ne parle pas
    un mot d'anglais! Je proteste. Je vais plutôt aller à la
    pharmacie!

  • Mais c'est trop
    loin! Tu n'as pas le temps! Braille A.

Qui, sans doute, à cause
de la distance, doit s'imaginer que son fils baigne dans une mare de
sang alors qu'entre temps, le grand blessé est parti jouer dans le
couloir à essayer de grimper sur le tuyau d'évacuation des eaux.

Entre temps, la Zouflette
se réveille et nous fait des sourires radieux bien que son frère
ait du sang sur le pied, la main, moi une tête de geisha frappé par
son mac et que je cours partout fourrant dans un sac les papiers
l'argent, des oeufs durs, du kiri, de l'eau, un jouet, une couche,
des lingettes, des mouchoirs un dico franco-japonais, des…

  • Mais enfin Mimi, tu
    ne pars pas en pique-nique! Dépêche toi! Cours aux Urgences! Cet
    enfant risque l'amputation avec ce climat tropical!

Tante Dolorès, sur
skype, levée aux aurores car qui veut échappe au crabe doit se
lever avant tout le monde (a-t-elle lu quelque part).

Je finis par rassembler
tout mon petit monde et le dico franco-japonais à la main, je me
rends à la pharmacie d'à côté, mais c'est bien le diable si la
pharmacienne avec son master en bandelettes et produits
pharmaceutiques option coupure semi-grave ne parle pas anglais!

Elle ne parle pas un mot
d'anglais mais elle me dessine un plan très clair, l'hôpital est
juste derrière, super! En plus, un hôpital, impossible à rater, je
devrai tomber dessus ne serait-ce qu'avec le ballet des ambulances…

Et bien heureusement que
j'ai mon dico avec byooin (hôpital) écrit en kanji car
jamais je n'aurais deviné que cet immeuble gris avec ce parking
anonyme était un hôpital… ah si, le petit papi assis avec sa perf
entre deux hondas eut peut-être été un indice… mais il fallait
le dénicher vu qu'il était embusqué derrière ses deux
carrosseries.

Nous entrons. Salle
d'attente à peu près vide, sièges gris, murs gris, vieux
posters… voilà un hôpital qui n'aurait pas déparé dans un
ex-République populaire d'Europe de l'est… Mais je commence à
avoir l'habitude dans ce Japon ultra moderne d'aller de lieux en
lieux plus vieillots les uns que les autres. La standardiste est
occupée avec son téléphone, moshi moshi, répète-t-elle, ah
facile, j'ai appris ça dans ma leçon du matin, ça veut dire, allo
allo, moshi moshi, elle finit par raccrocher, je prépare ma
phrase… mais elle a déjà disparu derrière la rangée de dossiers
derrière elle.

Une blouse verte
apparaît, l'air interrogateur. Je renonce à mon vocabulaire
primitif pour indiquer la main du Zébu. La blouse pousse un cri, la
standardiste (revenue de sa rangée de dossiers) de même, et
aussitôt accourt une flopée de blouses vertes et blanches, aux
grands airs affolés, à croire que le Zébulon a pris trois
immeubles sur la main suite à un séisme de magnitude 18…

En tout cas, si une de
ces dames en blouse semble essayer de m'expliquer qu'aujourd'hui on
ne peut rien faire (signe de croix des deux index), une vieille
infirmière se saisit d'autorité du bras de mon fils et l'entraîne,
tout paniqué, à sa suite en direction d'un boxe où elle l'allonge
sur un lit d'examen après lui avoir ôté ses sandales et ramené la
sorte de drap du dessous sur les jambes dans un geste digne de mamie
nova faisant un stage de secourisme.

Pas rassuré le gosse (la
mère non plus) d'autant plus que plusieurs infirmières surgissent
de derrière le rideau suivi par un médecin, âge de la retraite +
20, la mine sévère, lui-même suivi d'un homme plus jeune, en
blouse blanche, l'air patibulaire.

Seule la Zouflette
regarde la scène avec son sourire banane, elle semble avoir oublié
qu'à cette heure, elle devrait être en train de manger son riz
courgettes kiri au lieu de machouiller son attache- tétine.

La vieille infirmière a
grimpé sur le lit et s'est mise à moitié à cheval sur ce pauvre
Zébu pour le maintenir tandis que l'on éponge le sang de la coupure
et que le vieux médecin lui fait une piqure, avec un produit qui
doit être un anesthésiant hein n'est-ce pas je fais confiance, je
me dis que j'aurais peut-être dû apporter son carnet de santé,
qu'ils voient bien qu'il est déjà vacciné contre le tétanos,
histoire qu'ils ne le vaccinent pas deux fois, ce qui risquerait de
lui coller la maladie, quelles en sont les symptômes déjà… oh
mon dieu qu'ai-je fait, pourquoi ai-je laisser traîner ce couteau,
pourquoi suis-je si nonchalante, pourquoi ai-je fait des enfants si
je ne suis pas capable de veiller sur eux, etc etc…

– Ah ça, Mimi, un an loin de la vraie vie (le monde du travail) et te voilà complètement débilifiée (infantilisée)!

Tante Babe, quelque part sur Skype.

Et maintenant,
holala, le vieux médecin a sorti une sorte d'hameçon avec lequel il
recoud le doigt du Zébu qui pleurniche même si je lui assure d'une
voix tremblante qu'enfin voyons il ne peut pas avoir mal puisqu'il a
eu une anesthésie (mais était-ce une anesthésie?!), le médecin
coud en plusieurs endroits avec son hameçon et son fil épais comme
du fil à filet de pèche, le Zébu se met franchement à piailler et
la Zouflette aussi, mais elle c'est de faim.

J'agite tétine, hochet,
caresse en même temps la tête du Zébu en lui promettant une
canette de coca entière pour lui tout seul, feuillette d'une autre
main mon dico pour chercher le mot tetanos… que je ne trouve pas
car ce dico sans nul doute est fait pour des gens qui ne touchent ni
couteau ni ferraille.

Bon, ça y est, la scène
d'Urgences à Hastudai est finie. La vieille infirmière est
redescendue du brancard et du ventre de mon fils à qui elle tapote
la tête en lui marmonnant je ne sais quoi en japonais (mon pauvre
garçon, change de mère?), les infirmières rient de me voir enfiler
des petits morceaux de pain dans la bouche de la Zouflette tout en
essayant de remettre ses chaussures au Zébu et en le berçant dans
mes bras, tout chaud, tout soulagé, et réclamant à corps et à
cris le coca promis car dans le feu de l'action, je n'ai trouvé que
ça pour le calmer.

  • Ikura desu ka?

Je demande à tout
hasard, car personne ne semble me réclamer quoi que ce soit du côté
du porte-monnaie et je ne veux pas donner l'impression d'être une
étrangère parasite qui va s'enfuir sans régler son dû. On
m'emmène avec empressement au bureau des réceptions où je remplis
une petite fiche, on me fait asseoir sur le sièges vides, comme
souvent au Japon où on ne s'exécute pas devant vous de la tâche
administrative à accomplir, préférant le faire pudiquement loin de
votre regard… puis on m'appelle, on me tend une petite carte et la
douloureuse… qui porte bien son nom puisqu'on me demande la modeste
somme de 26400 yen soit à peu près 250 € (puisque n'est-ce pas, à
cause des Grecs et de l'affaire DSKékette, l'euro est au plus bas
donc s'échange actuellement petitement face au yen).

Gloupse. Je tends un puis
deux billets, espérant que j'ai mal lu, la réceptionniste attend,
tout sourire, un troisième billet donc… bon, et bien la monnaie
servira à payer le coca du blessé.

Nous repartons, à la
fois soulagés (petite opération, rapide avec ça) et ruinés (je
venais juste de retirer 300 euros au distributeur du coin). Je paye
au Zébu le coca promis et renonce au mien, je ne le mérite pas, non
seulement j'ai laissé traîné un couteau mais j'ai fait un bon trou
dans notre budget.

  • Ah ça Mimi, tu vas
    vite t'apercevoir que la France, c'est un paradis social à côté
    du Japon… et de bien d'autres pays d'ailleurs… car même si tu
    avais eu la carte de santé (que vous avez bien sûr traîné à
    demander), tu aurais raqué!

Un militant cégétiste
de la Sécu sur skype. Que j'éteins, pas envie de narrer ma faute,
que dis-je, mes fautes du jour, je sers leurs pâtes aux mouflets
puis le Zébu, rompu, va de lui-même se coucher pour une petite
sieste. Je resors mon livre de japonais, sans entrain… puis je vais
gésir sur le canapé, l'émotion, moi aussi il faut que je me
remette et j'ai toute la vie, disons au moins trois ans, ou six mois,
pour apprendre cette fichue langue.

Matame!

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