Les mirages de Marie

Vous vous demandez sans doute avec obsession comment s’est passée cette soirée du 17 juin où toute affaire cessante, Parfaite m’avait ordonnée de me rendre (sans mec et avec une petite robe noire).

Eh bien… J’ai envie de ranger cette soirée dans la catégorie « j’ai testé pour vous »… après le speed dating, la soirée sans issue.

En effet, la femme seule sans prince charmant (ok, il existe pas et gnagnagna) est souvent confrontée à ce genre d’expériences désastreuses sur un laps de temps dépassant largement celui de la soirée (enfer et désespoir au temps présent, enfer et désespoir au temps futur). Ces soirées relèvent de l’expérience la plus gratuite et la plus scientifique qui soit, car le plus souvent, la femme seule sans prince charmant à la trentaine confirmée n’a envie que d’une seule chose : être peinarde chez soi ou avec de bons potes, et certainement pas de se traîner seule dans un lieu remplie de personnes plus ou moins joviales et inconnues, toujours en couples, ou presque.

Les rares mâles présents ont en effet toujours une bonne excuse pour décliner tout espoir (je suis marié, pédé, je me remets d’un chagrin d’amour, je préfère qu’on reste amis). A moins que ce ne soit vous qui en ait une bonne ( j'ai une maladie incurable, je souffre d’idéalisme pas bénin), ou je suis réservée, entendez je ne couche pas là de suite immédiatement et j’ai un (vague) engagement avec quelqu’un (j’ai envoyé un mail à Babar23 de yahoo rencontres).


Il faut bien dire ce qui est, à de rares exceptions près, les mecs qui restent sur le carreau passés 30 ans sont ou des divorcés ou des mecs carencés (petites choses grelottantes et ennuyeuses). Je sens que le standard va exploser (mais les mecs, je vous jure, c’est vrai ou alors dites moi dans quelles soirées vous allez)

Quel esprit négatif, vous allez me dire…

Dépressif, pas négatif. Je ne connais personne qui, passée 30 ans et demeurant seule 364 jours sur 364 euh 365, ne soit pas devenue un tantinet dépressive. A part ma cousine Sylvaine qui s’éclate toujours à 38 ans dans le dancing du bord de mer où la promotion 8 jours-vacances-seules l’a propulsée et qui est morte de rire rien qu’à l’idée d’enlever sa culotte devant un type dont elle ne sait rien, si ce n’est qu’il n’a bu que du gin coca toute la soirée. A part ma voisine d’enfance, Madeleine, qui vit avec Dieu et ses saints (en fait, le service RDH de Ioulettepaquarde). Bref, à part ces deux là, ne connais aucune fille NORMALE qui n’aie sombré point dans la dépression suite à un assaut de solitude assaillant le chasseur solitaire, avec abus d’alcool, de chocolat, d’homéopathie pour dormir, avoir la forme, rester propre, à moins que ce ne soit deux séances de psy chez une brave dame parisienne (oui, oui, mais on a le sentiment que vous fuyez la relation à l’autre…) ou un lacanien photogénique bourré d’humour (le père, perds, paire, etc).

Les faits, les faits… j’y arrive. Parfaite est donc venue me chercher avec Louis, son jules, qui empestait Egoïste, même qu’Ernesto lui a demandé s’il comptait passer à travers le trou de la couche d’ozone dès ce soir. L’autre n’a rien compris, c’est normal, c’est le mari de Parfaite, ça prédispose pas à l’humour. Ernesto m’avait coachée avant que je ne parte :

– je suis sympa

– je suis une artiste

– je suis autonome (je pars seule, enfin presque, en voyage)

– je suis pleine d’humour (au contraire de Parfaite, c’est là son seul défaut)

– je suis euh chais pu

On est arrivés une heure après à cause des embouteillages, enculé, pédé, trou du cul, sont les sésames qui ont accompagné le voyage de la princesse Chotek en direction du bal du samedi soir. En effet, Louis a beau être diplômé d’HEC et d’Aérochose, il n’en est pas moins grossier quand il pose les deux mains sur le volant de son cabriolet lui-même en mouvement.

Il y avait une foule énorme.

Plein de filles super bien sapées, avec des bijoux et des maris. Des types branchés, beaux et cons à la fois comme disait le grand Jacques, ok, je leur ai pas parlé mais eux non plus, j’ai juste rendu service à l’un d’entre eux en lui servant d’escabeau pour accéder au buffet afin qu’il y prélève une coupe de champagne destinée à une gigasse, genre mannequin chez Elle, qu’il essayait d’amener sous sa couette.

J’ai bu un peu.

On a assisté à la projection du petit film/docu/essai/court métrage/performance etc tourné par et avec Parfaite. C’était nul, c’était génial. Je ne sais pas. Je ne veux pas en parler. Ca ne m’intéresse pas. C’était Parfaite qui jouait le rôle de la Parfaite avec engagement altermondialiste, réflexion sur l’art et la bôté, sans oublier l’esthétisme, le foot et le végétalisme.

J’ai bu encore un peu.

Ensuite, j’ai eu droit à la séquence canapé (je faisais la banquette et le rôle des êtres vivants était tenu par un couple). Ils conversaient par-dessus ma tête, il a été question d’un frigidaire à six étages entraperçu dans la cuisine des lieux et combien ça peut coûter, t’imagine le temps gagné avec tous les surgelés, j’ai eu envie de leur demander à qui ils allaient consacrer le reste de leur temps, et puis la fille a dit, c’est ce soir, le Bon moment, le type a répondu, aheuhtucrois, oui, je suis pile au quatorzième jour, c’est mon pic de fécondité, faudra pas partir tard car faudra qu’on baise. J’ai eu envie de lui enfoncer son pic quelque part.

J’ai bu encore un peu.

J’ai discuté avec une fille sympa qui m’a avoué qu’elle était c… et qu’elle se sentait malheureuse d’être c…. Elle s’appelait Aveline, parce que son père était un fou de la révolution française, et elle avait 33 ans, l’âge de la Christ. Elle était rudement sympa, même, on a échangé nos numéros de téléphone, elle devait y aller car ses chauffeurs, un couple heureux, avait décidé de rentrer de suite immédiatement. Cette rencontre m'a fait plaisir.

J'ai bu encore un peu.

Parfaite est ensuite venue se dandiner devant moi.

– Chouette soirée hein ?

– Han han…

– Bah quoi, Marie, tu t’amuses pas ?

– Si si.

– T’as pas l’air… t’as parlé avec combien de personnes (mecs) ?

– 2,5.

– Comment ça 2,5 ?!

– Eh bien j’ai parlé au type là bas…

– Qui ?

– çui là… là bas…

– Ah lui ! Mais ça c’est le body gard ! Ca compte pas !

– J’ai parlé à une fille aussi…

– Une fille… peuh… et c’était qui ?

– Aveline Dubois…

– Ah celle là… fais gaffe, elle est spéciale…

– Spéciale comment ?

– On l’a jamais vue en couple plus de six mois !

– Ben moi aussi !

– Bah toi, c’est différent… t’es difficile !

– Moi?!

– Oui, toi !

Puis elle m’a plantée là en faisant de grands youyou à une fille manche-à-balai aux yeux de noyée (enceinte jusqu'au cou dans la flotte).

J’ai bu encore un peu. J’étais fin saoule. Posée dans un coin. Quand un mec m’a abordée.

Un mec.

Un mec.

Un homme à la colle, je me suis dit.

Meuh non, je suis un pov malheureux tout seul, mais actif et sympa, il a répliqué.

C’est vrai qu’il avait l’air sympa. Il avait des cheveux sur la tête (ça devient rare), un bon sourire, une allure cool sans être non plus négligée voire grungie je bois de la bière avec mon chien sur le trottoir.

Un pédé alors ?

Pfuit, arrête avec ça, il a gloussé, c’est de l’excuse facile pour dire qu’on ne trouve pas, alors que des mecs, y en a.

Meuh non, ai-je (brillamment) protesté

Un pervers alors, j’ai pensé. Mais après tout, c’est peut être mieux que rien….

Tout à fait, il a dit, mieux vaut un pervers qu’un perds perds.

Ah ah.

Et puis, comment se faisait-il qu’il lisait tout dans ma tête ?

Je suis l’ami des chasseurs solitaires, il m’a semblé entendre.

On a discuté un bout, je le sentais très proche (de mes nichons) et il m’a demandé comment ça se faisait que j’avais pas un mec, une fille chouette comme moi, mais non là je rigole. Il était informaticien, comme tous les mecs, il aimait beaucoup la nature, et il m’a dit qu’il militait à Amnesty international. Il a marqué 10 points. Il en a marqué 10 autres quand il dit que lui aussi, en ce moment, il se régalait à lire Murakami, Kafka sur le rivage. Il en perdu 10 quand il m’a dit qu’il avait acheté un écran plasma truc pour regarder le foot, mais il en a regagné 5 en m’avouant qu’il l’avait surtout fait pour son frère, dépressif et au chômage. Il a marqué 20 points quand il m’a dit qu’il adorait voyager seul et qu’il était encore en Afrique le mois passé dans une famille de villageois maliens. Il a perdu ensuite 8 points en me disant croire en Dieu, et 4 autres encore quand il m’a dit que l’émigration, ça devenait un peu chaud. Il en a regagné 7 quand il m’a parlé de son meilleur pote d'enfance, Kader.

Bref, on a discuté longuement, et je me suis dit, en faisant le total de tous les points, que je serai pas contre coucher avec lui.

Carrément.

Il m’a dit alors, je reviens, je vais nous chercher à boire et je l’ai attendu ¼ d’heure plantée comme un poireau géant au milieu de la salle (enfin, dans un coin). Tant qu’à faire, c’était au moment des slows et c’est comme si on avait braqué sur moi un énorme projecteur avec en bande son, elle est nulle, elle est moche, elle fait fuir les mecs.

J’attends toujours. Sans blague. A boire ! Qu’est-ce qu’il fout ? J’ai soif dans mon désert !

Ah les filles… un mirage… oui, c’était un mirage. Comme il y en a fatalement dans ce désert où je vis avec de temps à autre ces illusions d’oasis, de plans d’eau fraîche, de repos de la guerrière. Le mirage s’était même bien vite évaporé, avant même que je boive un filet à l’eau de la source.

Parfaite m’a dit après, alors qu’on disait au revoir à tout le monde… ah lui ? Il est bof non comme mec ? Je la déteste, pour une fois qu’un mec me plaisait bien. Elle m’a dit ensuite qu’il se remettait difficilement d’une rupture avec une fille avec qui il avait vécu dix ans. Dix ans. Dix ans. Dix ans. Et que c’est sans doute ça qu’il avait mit les bouts de façon aussi brutale. Dans un an, ça ira mieux, elle m’a rassurée, attends un peu… Attendre ? Je ne peux PLUS attendre. Bah, elle m’a alors dit, des mecs, y en a tout plein, t’en trouveras vite un autre… J’ai eu l’impression d’avoir à faire à une martienne me disant la guerre, c'est pas grave, on meurt vite sur le coup.

Je me suis sentie dégoûtée, effondrée, désespérée. Je me suis dit qu’il avait bien entendu senti que moi, non seulement je ne me remettais pas d’une rupture, mais qu’en plus, j’avais certainement pas vécu dix ans avec quelqu’un (même pas avec mon château). Que jamais je n’y arriverai. Que j’étais bonne à mourir seule avec Ernesto comme aide de fin de vie.

Parfaite m’a déposée avec Louis Tête-à-claques en bas de chez moi. Il était 4 heures du matin et je n’avais plus envie de rien.

– Chouette soirée ? Elle a encore insisté.

– Han han… merchi…

– Tu m’as pas dit ce que tu pensais de Mon film/docu/essai/performance ?

Ah seigneur. Pas ça. Peux plus. Pas la force.

– On en reparle une autre fois d’ac ? J’ai dit d’un ton enjoué.

– Les gens t’ont trouvée vachement sympa, a dit gentiment Louis.

– Et jolie comme un cœur, a ajouté avec grand douceur Parfaite.

Comme j’étais très désespérée, j’ai trouvé ça à la fois très sympa de leur part et bien entendu, j’en ai pas cru un mot.

On s’est fait la bise, et je suis rentrée me coucher. Seule. Ernesto dormait profondément derrière le frigidaire, je voyais sa petite poitrine se soulever doucement, il ronflait légèrement. Je me suis assise à côté de lui, dos contre le mur, et je me suis endormie comme un sac.

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