Partir ou pas partir ?

Partir c’est mourir un peu, dit d’usage tout vieux guichetier. Partir mais pourquoi faire ? Du tourisme ou de la charité (encore elle !). Sachez que l’avion que l’on prend pour découvrir le Chiapas de façon solidaire dégage autant de CO2 qu’un charter pour un village-vacances à Saint Domingue*, disent les porteurs de maillot de bains. A croire que c’est les autres qu’on fait mourir un peu aussi quand on fait sa valise et qu'on part en quête d'exotisme. A croire aussi que le tourisme solidaire relève du leurre (ouf tous mauvais) ou du moins, d'une bonne intention à laquelle il faut soustraire les scories dégagées par l'actionariat solidaire (pétrole, dépendance, ethnocentrisme -c'est moi qui sais- et autres saletés).

Moi, personnellement, je pars égoïstement en Inde, mon tourisme solidaire consistant essentiellement à emmener avec moi ma grand-mère (ce qui n’a l’air de rien comme ça mais relève en fait du plus profond saint térésaisme). J’embarque aussi Ernesto et le petit prince Sacha, que j’ai trouvé assis sur sa valise devant ma porte en rentrant du déjeuner (calamiteux) avec Baba.

– Je suis prêt !

Il m’a lancé. Je lui ai expliqué qu’entre temps, ma grand-mère s’était incrustée velu sauvage et qu’il n’y avait plus de place.

– A ton âge ! Il a gloussé. Partir avec sa grand-mère !
– Justement ! Je lui ai rétorqué. Si je ne pars pas maintenant avec elle, je ne partirais jamais avec !
– Ah tiens et pourquoi donc ? Il a eu l’air surpris.
– Parce qu’elle va MOURIR patate ! Je lui ai crié.
– Moi aussi ! Il a crié à son tour. Si tu ne m’emmènes pas avec toi, je vais MOURIR !
– Ah ouais ? J’ai ironisé. Pourquoi ? T’as pas ta rose et ton mouton à entretenir ?
– Mauvaise, il a sifflé, je vais mourir parce que, parce que…

Le petit prince Sacha s’est mis à réfléchir. Faut que je vous dise quelques mots à son sujet. Le petit prince Sacha est une sorte d’homme-femme (comme il y a les femmes-enfants). Il vit dans un monde au moins aussi féérique que le mien, il est adulte sur le papier mais dans la réalité, un enfant comme Ago ferait limite vieille femme sage à côté de lui…  qui doit faire cependant des implants pour conserver sa chevelure à boucles blondes de petit prince (oh que je suis mauvaise). Il n’a pas un métier clairement défini, je me demande si son métier c’est pas rémiste ou rentier. En tout cas, il est remarquablement discret dessus et n'en parle jamais, au contraire des vrais adultes, qui excellent à bablater d’argent, de grossesse extra-utérine, d'implants dentaires ou d’impôts fait chier. Il est donc à la fois rafraîchissant et crispant.

– Parce que… parce que l’an prochain, je serai roi !

Il a finit par hurler sur mon perron.

– Comment ça ? J’ai fait.
– Oui ! Il a répliqué. Mon père doit me transmettre sa charge l’année prochaine car il prend sa retraite, maintenant qu’il a construit son musée et qu’il s’est fichu tout le peuple à dos avec ses atermoiements pour ne pas dire ses absences… (Cpe ? Connais pas. Clear stream ? Qu’est-ce que c’est ? Une compagnie aérienne ?). Il s’est dit qu’il allait rendre son tablier et cultiver ses roses et ses moutons à son tour !
– Mince alors… j’ai grogné. T’as envie d’être roi toi ?
– Non ! Il a gémit. Pas du tout ! C’est pour ça que je veux mourir !
– Mais qu’est-ce que tu vas faire alors ? A part mourir bien sûr ?
– Je sais pas… mais si tu m’emmenais en Inde avec toi, je trouverais peut être une solution…
– Tu crois ? J’ai demandé, dubitative.
– Oui !

Et comme le petit prince Sacha sait faire pleurer ses yeux très bleus avec la bouche qui tremble et tout et tout, et que c’est quand même un sacré coquin de copain dans la vie, j’ai bien été obligée d’abdiquer. Comme avec Baba.

– Ok, tu peux venir…
– Ouais !
– Mais je te préviens…
– Quoi ?
– C’est chacun pour soi ! Si je rencontre un brahmane…
– Ok, il a gloussé, comme d’hab, je la joue discret, je ferme les volets et j’accroche donotdisturb à la porte de la chambre… où tu seras couchée seule sur le lit en train de rêver que le Brahmane te…
– Ta gueule ! le Brahmane, c'est le curé vaticanesque de l'Inde (arrogant et corrompu par la richesse*)!

Et je l’ai planté là. J’avais mes bagages à faire, après tout. Zut.

 

* J'ai lu ça dans un livre dont je vous parlerai plus tard… un beau un bien à lire même quand on ne sait rien du bouddhisme et de l'hindouisme.

 

 

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