Courbette servile ou sincère salutation?

Même de ceux qui en ont
très peu d'images, le Japon est réputé pour ses courbettes qui en
général ne laissent pas de faire ricaner les Français pour qui, la
Révolution française et la République, c'est avant tout
l'abolition de tout signe de respect un peu trop marqué vis à vis
de la hiérarchie…

  • Faux! C'est avant
    tout le défilé militaire du 14 juillet qui est la marque de
    l'esprit républicain! Sans défilé de soldats et de chars,
    l'esprit républicain s'écroule!

Monsieur Turlututu,
général des armées à la retraite, interférant sur skype et qui,
depuis la sortie d'Eva Joly sur le défilé des bidasses, boycotte le
hareng norvégien avec ferveur.

  • Tu parles! A côté
    de ça, les Français si peu soumis, trouvent parfaitement normal
    qu'un Président de leur fameuse République ait logé gratis sa
    bâtarde pendant des années à leur frais…

  • Ou que le Filou
    Fillon fasse s'arrêter le TGV à Bledouille sur pissouille…

  • Sans compter le fort
    de Brégançon où les présidents squattent gratis chaque été
    quand tant de leurs concitoyens n'ont même pas les moyens de partir
    au camping du Sauvage…

  • Sans même parler de
    ces députés qui ne vont pas à l'assemblée car « ils n'en
    ont pas le temps »! Y compris à gauche!

Ok, n'en jetez plus, on a
compris l'idée. Si chez nous, le respect, que dis-je, la soumission
à la hiérarchie ne se perd pas plus qu'au Japon, du moins, est-on
pudique, elle ne se montre pas, l'honneur est sauf. Ceci expliquant
cela, que les Français se gaussent, ou du moins s'étonnent, de ce
que les Japonais se courbent toujours autant les uns vis à vis des
autres…

Alors, se courbetter,
est-ce faire preuve de servilité? De soumission? D'humilité? Ou
bien autre chose?!

D'ailleurs, dans quelles
circonstances fait-on courbette? Eh bien, un peu dans toutes les
circonstances… la caissière vous rend la monnaie en vous faisant
une courbette, l'agent de la Ratp tokyoite de même lorsqu'il vous
indique avec le sourire (et une courbette) que vous êtes
complètement à l'opposé de votre destination, le flic aussi, quand
il vous arrête pour laisser passer une petite vieille à roulettes.

Aussi, j'ai pour ma part
du mal à penser que la caissière qui me fait une courbette en me
rendant la monnaie le fasse dans un esprit de servile soumission,
d'humilité profonde, pénétrée du sentiment intrasèque de
la médiocrité de son positionnement social par rapport au mien, qui
est celui de la Cliente.

La courbette, c'est
plutôt dans bien des cas, une façon de graisser les rouages d'un
contact social aussi anonyme que fortuit car enfin, cette caissière,
je ne la connais pas et elle non plus et pourtant nous avons bien
affaire l'une à l'autre n'est-ce pas? Aussi peut-être faut-il ce
moyen, la courbette, pour que ce contact s'inscrive dans une relation
un tant soit peu plaisante, entendez un minimum personnalisée et
donc rassérénante…

  • Ohlala Mimi, mets la
    clim, tu surchauffes là…

Une amie sur skype, qui
vient de se lever et se rendort sur sa tasse de thé en une courbette de la nuque
très post-bringue.

C'est compliqué car je
me rends bien compte que cette façon qu'ont les Japonais de se
saluer est à la fois mécanique et habitée, simple et complexe.

Dans mon guide de
langues, on m'explique que la courbette a la vie longue et que plus
le niveau hiérarchique de l'interlocuteur est élevé par rapport au
vôtre, plus il faut se courber (devant l'Empereur, doit-on finir la tête sur ses baskets?). Comme je ne fréquente aucune huile, je
n'ai pas pu vérifier si cela était vrai ou faux, en revanche, j'ai
pu vérifier que l'on passe effectivement beaucoup de temps à se
courber, y compris en dehors de relations anonymes.

Dans le métro, deux
familles se disent au revoir devant le panneau de la ligne que l'une
d'elle va emprunter. Ce sont des trentenaires, pas particulièrement
traditionalistes. Eh bien, ils ne s'embrassent pas, ni ne se serrent
la main, ils multiplient en revanche les mouvements de balancier,
façon culbutos, tout en se souriant et en conversant, comme s'ils
oscillaient presque à leur propre insu. On en déduira donc aisément
que là où nous nous claquons le beignet, eux, se font des
courbettes et des hochements de tête… non?

  • Euh, on peut avoir
    un schéma?

Une autre fêtarde relevant
de cuite, sur skype toujours.

Idem dans la rue, en plus
formel cette fois entre un homme et une femme se rencontrant par
hasard sur le trottoir mais visiblement se connaissant.
Multiplication, la femme comme l'homme, des mimiques de salutation
accompagnées de hochements de tête et de oscillation du tronc (avec
vigueur le tronc). Dans mon esprit, je ne sais pas pourquoi, je me
suis dit, tiens, ce sont deux collègues qui se rencontrent, du
moins, deux personnes se connaissant sans être véritablement
intimes.

Les voisins aussi, quand
on les croise, accompagnent ou remplacent le traditionnel konichiwa
(bonjour) et kombanwa (bonsoir) par un mouvement de tête
suffisamment appuyé pour qu'il évoque une semi-courbette. Sauf les
enfants qui me regardent toujours d'un air terrifié, ou sidéré,
quand je leur lance un vibrant Konichiwa! Excepté le frère du petit
handicapé habitant à côté de chez nous et qui lui, ainsi que sa
mère et son père, nous salue toujours chaleureusement (mais sans
courbette, les enfants sont-ils privés ou dispensés de cette
dernière?).

Le flic aussi, lorsqu'il
arrête les voitures, s'incline profondément devant elles en une
courbette ma fois assez profonde. Imaginez-vous ça à Paris
lorsqu'un bleu vous arrête, son tronc plié en deux devant votre
carrosserie? C'est bien plutôt tes papiers connard…

  • Non mademoiselle! La
    Police a fait beaucoup de progrès, réveillez-vous! Et pensez-vous
    que la Police japonaise fasse des courbettes quand elle arrête un
    yakuza (maffieux) ou un militant anti-nucléaire qui
    manifeste devant le siège du gouvernement?

Oui, sans doute mais
néanmoins, je persiste à trouver que de façon général, les flics
ici ont l'air beaucoup plus civilisés que par chez nous, en tout
cas, bien moins agressifs, c'est certain. S'ils pensent être sortis
de la cuisse de Mars, dieu de la guerre (et donc de la gendarmerie
non?), eh bien ils le cachent bien.

Et nous, le gaijin,
que ressent-on face à ces courbettes quand, gaijin que nous
sommes, ce procédé nous est… étranger?

  • Moi ça me fait
    dégueuler!

  • Quelle hypocrisie!

  • Quelle délicatesse!

  • Quel archaïsme!

  • Faut pas s'étonner
    ensuite si leurs usines leur pètent au nez! Ils sont dans
    l'acceptation totale de tout ce qui leur est supérieur!

  • On se croirait à la
    cour de Versailles!

  • Sont-ils drôles ces
    culbutos!

  • Quelle grâce!

  • Quel sens du rythme!

Etc, etc.

Pour ma part, à ma
grande surprise, je trouve ça plutôt… naturel. Quand la caissière
s'incline d'une légère courbette, je trouve ça normal quand je
trouverais ça indécent si je voyais ça en France. Ici, cela est
fait avec naturel, grâce, un petit sourire aussi, et du coup, ça
passe fort bien. Encore une fois, si ces Japonais qui se courbent les
uns vis à vis des autres n'en pensent pas moins, cela ne se voit pas
alors qu'en France, celui qui se courbe a toujours un petit air faux,
insincère, servile ou fayot, voire tout ça à la fois, quand bien même il le fait en toute
sincérité.

C'est que décidément,
la courbette ne fait pas ou plus partie de notre système (et
culture); quand là bas, au Japon, c'est aussi intégré que le
roulement à billes dans la pédale de bicyclette.

  • Ah bon, y a un
    roulement à billes dans les pédales de bicyclette?

Un ami vélocipédiste
mal dopé sur skype

Quant à justement me
courber moi… eh bien j'avoue que j'ai du mal. Comme si je devais
tenir un rôle auquel je ne croyais pas. Le respect et sa marque,
c'est une case à remplir, une autorité à respecter, qu'on n'a pas
forcément choisie, employé, chef, petite main, gros bonnet,
président, roi, manant… Je n'aime pas désobéir, je n'aime pas
sortir du rang, d'accord, mais je n'aime pas non plus m'aplatir ni me
soumettre, surtout vis à vis de ce que je ne considère pas,
personne ou idée.

Il me serait parfaitement
intolérable de m'incliner devant Sarkozy.

Il me serait néanmoins
guère plus tolérable de m'incliner devant… le Dalai Lama, par
exemple… pourtant admirable n'est-ce pas?

  • Bof, il y a loin de
    la rizière à l'épi…

Chang, Pékinois en poste
au Tibet et confusément confucianiste (le confucianisme mettait le
respect de la hiérarchie sociale au-dessus de tout, en tout cas de
beaucoup de choses).

Si je reste ici, la
courbette me viendra naturellement, enfin je suppose. Tant qu'elle ne
m'est pas naturelle, je me contente d'un hochement de tête et ça
suffit bien assez comme ça.

  • Et si tu rencontres
    l'Empereur, tu te contenteras d'un petit signe de tête façon salut
    mon pote?!

Bah de toute façon, ici,
on n'exige pas du gaijin qu'il se courbe et se courbette alors
pas la peine de se prendre la tête.

En tout cas, s'il y a
bien une chose à retenir, c'est que la courbette japonaise a son
sens propre et multiple, et que si transplantée en France, elle
ferait gloser et jaser, sur place, elle se vit comme on respire,
comme ces Arabes qui portent la main au coeur quand ils vous saluent ou
monsieur Bébert, qui soulève son béret quand il vous croise sur la
place du village de retour de son petit ballon de rouge du matin…

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