Tous les matins, quand on
se lève, on met France inter sur l'ordinateur. On écoute ainsi le
7/9 comme à Montreuil mais avec un jour en décalé, ce qui n'est
franchement pas dramatique car le monde n'a pas vraiment besoin de
notre aide sous cette forme si répandue du Je sais tout de ce qui
s'est passé, donc J'agis.
Et puis, parfois même,
on connait l'info avant France inter. Quand la terre tremble par
exemple, la nuit, secousses du lit en long en large, même qu'au
début, j'engueulais A (arrête de bouger comme ça bon sang quand tu
vas pisser!).
-
Mimi, ça va? J'ai
entendu aux infos qu'il y avait eu un fort séisme au Japon!!! vous
êtes toujours en vie?!!!
Ma tante Dolorès sur
skype que j'entends par ailleurs ahaner dans son mamie-haler car la
canicule est là, en France, et tante Dolorès a peur de s'asphyxier
par manque d'oxygène pure.
Aujourd'hui, sur ma radio
préférée, au menu : la bronxoise violée qui va a priori voir son
violeur (oui oui il est coupable ça ne fait pas de doute!!) échapper
aux poursuites, la fin du psychopathe à béret vert bientôt la
tripe à l'air à Tripoli (ahah), la corne d'Afrique où si on est
femme, on est veuve, affamée, mère d'enfants en train de mourir de
faim et violée dans le camp où l'on a trouvé refuge.
Bref, c'est râpé pour
moi qui comptais pousser la longue complainte de la housewife en
terre d'expatriation avec langue inconnue et béton à tous les coins
de rue…
-
Ah non ma vieille!
Tu ne vas pas te plaindre! Tu as vu la chance que tu as? -
Une expérience
unique… -
Avec un mari qui
gagne sa vie pour deux…
En fait, pas tant que ça,
on puise dans nos économies, les miennes surtout, et si je suis
actuellement rentière, ça ne sera certainement pas à vie, surtout
à Tokyo.
-
Du temps avec tes
enfants… -
Loin du syndic qui
plus est…
Certes. Je ne nie pas que
chaque jour, je me dis et me répète, on est bien mieux ici hein ma
Mimi que ces dernières années au Syndic hein?! Réponds!!!
-
Hai… (oui en
japonais, prononcez aïe)
Le oui est certes
toujours de rigueur, quoique un peu plus faiblard ces temps ci.
S'occuper d'un Zébulon
et d'une Zouflette, c'est chouette, mais ça use et mes travaux
d'écriture dans lesquels je m'étais replongés s'éloignent à
grands bruits de geta (mules japonaises à semelle de bois).
Aussi, fatiguée, frustrée, je me retrouve de plus en plus vite en
mégère en train de brailler parfois pour des pécadilles sur un
Zébu qui n'est pas facile, qui n'écoute rien et vocifère au moins
aussi fort que moi. Le soir, quand je prépare le dîner et qu'il
joue dans sa chambre, si je tends l'oreille, je peux l'entendre réviser toutes mes criailleries du jour. Je
peux avoir la paix? Ah mais tu me saoules! Je te l'ai dit deux fois,
non c'est non! Tu me fatigues ah ce que tu me fatigues! Tu arrêtes,
tu arrêtes ça TOUT DE SUITE! Etc, etc. Juste déprimant.
Et puis, en ces temps de
vacances d'été, la nature me manque.
-
Sûr, une fille de
la campagne comme toi…
Une amie ex-secrétaire
de direction devenue décroissante en Larzac qui va skyper chez les
Parisiens du gros bourg d'à côté (4 maisons de chaume) qu'elle
méprise mais dont elle a besoin pour ne pas être totalement
déconnectée (à tout point de vue).
Eh bien oui, malgré mon
état de fille urbaine, la nature, le vert, l'espace me manquent. Des
années, au moins deux, que je n'ai pas fait ce qui s'appelle une
randonnée, entendez une marche de plusieurs heures sur la journée
avec juste soi et son pique-nique, pas de biberons, de petits pots
réchauffés, de kiri écrasés, de main moite dans sa propre main
moite et de la nécessité de trouver à chaque pas de quoi faire
avancer le propriétaire de la petite main moite…
-
Ah ça y est, après
avoir geint qu'elle était célibataire et sans enfants, la voilà
qui geint parce qu'elle a deux enfants qui l'empêche de vivre comme
une célibataire! Ty-pi-que!
Ma copine Soledad,
célibataire depuis bientôt 40 ans et qui s'en revient de 3 semaines
de randonnée intensives au Népal pour pousser la porte d'un
appartement où le seul être vivant est le cafard qui s'est même
suicidé à force d'insoutenable solitude (3 semaines sans miette
aussi, c'est trop).
Certes.
-
Mais vous êtes
partis au Mont Fuji non? C'était comment? Belle vue?!
Euh on ne l'a pas vu,
juste ses pieds, dans le brouillard, un classique. Cétait dans une
petite ville au bord d'un lac, pleine d'autocars et de voitures, le
sentier que l'on avait pris montait en ligne droite comme si on était
à crémaillère, dans une forêt épaisse et moustiqueuse, humide et
surchauffée, on a marché une demie heure sans jamais rien voir
d'autres que des troncs et des pierres sur un sol marron caca, puis A
a déclaré forfait « pour les enfants ». De toute façon,
l'heure d'après, un gigantesque orage nous tombait sur la tête
alors on est rentrés "pour les enfants" faire la sieste à la guest house afin d'être en
forme le soir, pour cuisiner nos spaghettis et écouter les récits
d'aventure et de visitie culturelle des routards du lieu.
-
Et la culture, Mimi?
Le palais impérial, tu l'as vu? T'as enfin pu visiter au moins le
musée du Japon des Ming?
Ming, c'est la Chine,
tante Martine, sur skype, ce dimanche c'est la tante de A qui
travaille dans un bar tabac de la banlieue Orléans et qui soupire
toujours follement après sa vie antérieure d'expat en Arabie
saoudite où elle faisait autre chose que de vendre des cigarettes et
des grilles de loto, relever la température de l'eau de la piscine
du bout de son pied joliment verni, par exemple.
Eh bien question culture,
la seule fois où j'ai été au musée, c'était celui de la
photographie, avec A et Airi, la copine japonaise d'un ami parisien,
les gens nous ont jeté des regards à la fois effarés et
réprobateurs, Zébulon et la Zouflette étant les deux seuls enfants
du lieu, lieu par ailleurs des plus silencieux pas du tout comme les
salles de musée en France ou certains viennent au musée pour se
raconter leur dernier film sous un Miro ou un Monet… sans compter
que cette expo était consacrée aux malheurs de la condition
humaine, femme afghane au nez et aux oreilles coupés pour cause de
désertion du foyer conjugal, dealers mexicains abattus à la
frontière avec les US, famine en Afrique etc etc.
-
Quelle idée aussi
Mimi! Vous ne pouviez pas aller voir autre chose? Les poteries Ming
par exemple!
La tante Martine, qui
insiste avant que de me laisser, monsieur Robert veut lui rendre sa
grille de loto.
Par ailleurs, je vais
peut-être vous l'apprendre mais visiter une grande ville par 30
degrés à l'ombre ou rafales de pluie (typhon) avec deux petits
enfants, c'est un peu… difficile. Zébulon n'est pas un fana des
visites culturelles, il aime certes bien les temples, mais s'il peut
jouer au métro en poussant les panneaux en bois du lieu sacré, ce
qui est généralement impossible, et il en a vite assez de marcher
sans but digne de ce nom (coca, toboggan ou piscine).
Il préfère aller jouer
(taper) des enfants de son âge voire plus âgés. Alors, après 4
semaines où je m'efforçais de visiter au moins un quartier ou un
lieu dans Tokyo, j'ai abdiqué, je me rends désormais dans les
children's hall, ces sortes de maisons d'enfants un peu partout dans
la ville, payantes ou non, où les mioches s'en donnent à coeur
joie. Un mélange de PMI, de Dysney et de maison verte, parfois (il
faudrait que je parle japonais pour m'en assurer). J'y reviendrai
ultérieurement dans Que faire de ses enfants à Tokyo, partie III,
les children's hall.
-
Ah eh bien au moins,
j'espère que tu en profites pour entraîner ton japonais Mimi! Tu
dois commencer à bien comprendre les structures de phrase et avoir
amassé pas mal de vocabulaire non?
Une amie qui tient
absolument à me décourager. Car non et non, malgré mes deux heures
de japonais par jour, ou presque, rien ne sort véritablement de ma
bouche que des mots clés dans le seul et unique souci de communiquer
a minima. Souvent d'ailleurs, si la personne parle anglais, elle me
répond tout aussitôt dans cette langue.
-
Ah eh bien au moins
tu dois pouvoir pratiquer ton anglais! Si tu pouvais revenir
bilingue dans cette langue! -
Voire trilingue,
avec le japonais… plus tard…
La copine qui insiste. Eh
bien parlons en de l'anglais. My english is very poor.
-
Ah that! I can
remember how bad was your accent in terminal C! And poor your
vocabulary!
Madame du Caddie, mariée
Grostas, ma prof d'anglais en Terminal qui me vouait une haine
farouche sans que je n'ai jamais réussi vraiment à savoir pourquoi.
Elle aurait mieux fait de
me donner de bonnes bases en anglais au lieu de s'esclaffer à chaque
fois que je l'ouvrais dans cette fichue langue, cela m'aurait servi
car j'ai rencontré une série d'anglophones ouverts et intéressants.
Une fausse, une équatorienne, dénommée Xinthia, et un vrai, un
Américain du Nebraska, fraîchement thésardisé en poésie
classique de l'ère très ancienne du japon, japonophone plus encore
qu'un Nippon moyen, en raison de son cursus (cf ci-avant), de son
mariage avec une Japonaise, chirurgienne de son état, avec qui il
vit depuis six ans à Tokyo, alternant rédaction de sa thèse et
baby-fiston, le bel Oomi, 4 ans, des yeux comme son père,
magnifiques.
-
So what?
Eh bien, voici ce que
donne une conversation entre lui et moi.
-
Use to live in
Nebraska, very boring place because ouing oiuning blablim
blalalalala…. actually I have finished ma thesis and I look after
my son and blabla rouing re-rouing ouing ouing blablabla and you?
What do you think about it?
Jusque là je pouvais
dire yes, yes I see what you mean en opinant du bonnet d'un air
inspiré mais pof, voilà une question et je ne peux pas dire ça.
Alors je m'enfuis en courant, pieds nus, sous la pluie, le typhon,
les radiations, mes deux petits enfants sous le bras et mon i-phone à
la main (dico anglais-japonais-français).
Mais non, je réponds, au
jugé, et je le sens comment dire, un peu découragé… Pourtant, il
s'efforce de me parler lentement et de m'aider à accoucher
patiemment de ma vie, mon oeuvre, surtout quand ô joie ô bonheur,
on s'est mis à parler bouquins, Haruki Murakami en l'occurrence.
-
Ah cette Mimi,
toujours aussi intello, au nord comme au sud! Tu lui as susurré que
tu écrivais au moins? Actually I am a writter too…
Ma non muse, qui
m'accompagne dans tous mes déplacements tokyoites et s'assoit à
côté de moi, invisible aux autres, mais pas à moi, toute ricanante
à m'écouter.
-
Et si tu prenais des
cours au british council? Grâce à ça, j'ai réussi à devenir
bilingue en deux mois dans la langue d'Oxford!
La Parfaite, derrière la
grande Simone, venue l'aider à relire les épreuves de son dernier
opus, La cérémonie des adieux ou la renonciation de la femme
blanche et diplômée à son émancipation.
Trop cher et puis, bon
sang, la priorité ça reste quand même d'apprendre le japonais!
Quand à Xinthia,
l'Equatorienne, est là, c'est un peu plus facile, soit qu'elle ne
soit pas totalement bilingue ou américanisée, soit qu'elle ait été
prof d'anglais dans une vie antérieure. Mais j'ai toujours la
pénible sensation d'être le boulet quand on parle tous les trois
ensemble, je me concentre alors sur la Zouflette qui gentiment
s'enfuit dans le couloir histoire que sa maman ait une raison pour se
lever d'un coup en plein milieu de la conversation…
-
Oh yes! I imagine
how lost you must be my poor miss chotek if you speak now as you use
to speak at sixteen years at lycée Rodin, terminale C!
La mère Grostas qui
exulte encore plus de 20 ans après, à m'écraser de la pointe de sa
scholl laide.
Je resors de ces
rencontres si épuisée et découragée que parfois, je n'ai même
plus envie de sortir dans des lieux où je risque de les rencontrer,
je préfère aller dans un lieu où il n'y aura que des mères
japonaises, aux bébés mastodontes accrochés à leur sein,
strictement monolingues, parfaitement non anglophones ou juste le
strict bagage de survie, comme moi.
-
Allons Mimi! Pas de
découragement! Tu veux que je t'envoie des fiches de vocabulaire et
que l'on répète ensemble sur skype?
La Parfaite… parfaite.
Il y a aussi Alix, cette
Française qui vit depuis 4 ans à Tokyo, ma Sauveuse, qui me donne
plein de tuyaux et a une fille de l'âge du Zébu. Seulement voilà,
elle a autre chose à faire que de tenir la main chaque jour à Mimi
Chotek, qui pourrait être sa mère (grossesse adolescente), qui sent
la vieille bourge bab à plein nez et dont le fils est une brute qui
tire les belles boucles dorées de sa fille.
-
Car bien sûr,
toutes ces femmes, japonaises, française ou brésiliennes, ne
travaillent pas!
Equatorienne, Maman. Et
puis, si, Xinthia travaille, elle enseigne en school art, une demie
journée par semaine, c'est fortiche non?
-
Sans compter cette
société patriarcale archaïque qu'est le Japon!
Tante Babe qui en crache
sur l'écran de l'ordi et qui croit qu'un manga c'est une marque de
thé japonaise.
-
Et cet Américain
qui fréquente le sport center avec son fils? Il ne travaille pas
lui?
La Parfaite, pour que
tout soit parfait. Non, il ne travaille pas, du moins, par pour le
moment. C'est sa femme qui travaille et lui qui s'occupe du mouflet,
vu qu'il était en train de finir sa thèse, sur les poètes de l'ère
euh classique (la japonaise).
-
Ah enfin, une femme
qui a un vrai travail! -
Et qui ne s'arrête
pas dès lors qu'elle devient mère! -
Mais c'est quoi cet
homme entretenu?!
De la contradiction des
féministes n'est-ce pas, enfin, de mes féministes à moi du moins.
Bref, je me sens seule,
parfois. Pas seule seule, comme au temps vomi du célibat, surtout
aux alentours des 15 août, des 31 décembre, des 25 également, des
week-ends, des… bref tout le temps quoi, mais seule, coupée de
cette vie où, comme on dit dans les livres un peu cucul, on parle à bâtons rompus…Car avez-vous remarqué cela? Il est difficile d'être
soi-même dans une langue étrangère que l'on pratique mal, et même,
je gage, tout juste bien.
-
Tu exagères ma
vieille, tu as déjà rencontré pas mal de monde!
Aveline, il y a 5
siècles, quand elle a fini par réussir à trouver le temps,
l'énergie, le moment, l'envie, l'ordinateur adéquat pour m'envoyer
un mail.
Ok mais que mes raisons
soient bonnes ou non, mes copines me manquent. Les vraies, les
uniques. Celles de Paris, Montreuil, Bretagne, Bordeaux, Aix en
Provence, bref, de toute la France.
-
Ah ben sympa pour
moi qui suis aux Gambiers!
Isadora Patissier, du
haut de son mât, quelque part dans les ressacs bleu clair des îles
paradisiaques où elle et son captain ont jeté l'encre, et où ils
refont le monde avec des ananas, des tranches de saucisson, des
bières sous le ciel étoilé (dieu que ça aussi ça me manque), en
compagnie de tourdumandistes blancs et d'autochtones marron clair ou
foncé, très hospitaliers parait-il.
Bon, à dire vrai, je ne
me sens pas encore seule. J'imagine juste que quand la vie va
reprendre son cours dans ma motherland (là c'est les grandes
vacances et plus rien ne se passe), je vais vraiment me sentir
éloignée, déconnectée et donc esseulée, très.
Je me sens donc seule
essentiellement par projection futuriste.
-
Eh bien Mimi,
prends exemple sur les Japonais! Il paraît qu'ils ne se connaissent
qu'un seul temps! Le temps présent! Foin du passé et du futur,
pour vivre bien, vivons maintenant!
Ma mère, le nez dans son
guide bleu.
-
Franchement Simone,
j'ai du mal à y croire! Est-ce vivre bien que de travailler
nuit et jour après avoir passé ses années de jeunesse en prépa
dès la maternelle et de lever le coude plus qu'à raison chaque
soir pour supporter justement cette vie si dure?
Ma tante Babe, qui a
raisonnablement des doutes, même si elle n'est jamais sorti de son
16ème arrondissement (ou presque).
Avec tout ça, Dsk qui
lui doit être parfaitement bilingue s'en sort, la bite sous le bras,
et j'ai des nausées rien qu'à l'idée de devoir me retrouver à
devoir peut être choisir à la présidentielle entre lui et
l'heureux papa quinqua…
-
Meuh non, c'est
Hollande, le gars qui a de l'humour qui va aller au casse pipe!
Un Hamoniste, ou bien un
Montebourgiste, à moins que ce ne soit un Aubryiste ou un Royaliste.
En attendant, je m'en
vais aller étudier ma trentième leçon de japonais, car comme me
l'a dit la veille au soir la grande Simone, l'air de ne pas y croire,
courage, Mimi, ça va finir par venir… et accroche toi, tu en as
absolument besoin pour trouver un bon et vrai travail! Ça suffit, la
belle vie!!
la muse est toujours là ………………. la preuve !