L’âme nippone 2

Frédéric Charles, de
son vrai nom Marie Chotek (ahah que je suis drôle), c'est la voix du
Japon pour France inter depuis plus de 30 ans qui nous raconte ce
Japon avec sa bourse qui flanche, sa terre qui tremble, ses îles qui
s'inondent (euh pas tant que ça d'ailleurs, il y a eu près de 80
morts mais autant Irène a fait causer d'elle autant Talas, notre
typhon, a été oublié…) et ses usines thermonucléaires qui
fuient.

Je me souviendrai
toujours de sa voix au moment du 11 mars (2011, je précise pour les
amnésiques ou les obsédés par Dsk et la campagne présidentielle
2012). A la fois oppressée, calme, quoique légèrement vacillante
avec dans le ton, une sourde lassitude angoissée lorsqu'il répétait
en parlant des secousses, et ça recommence, et ça recommence…

Vous pensez si cette
phrase me hante depuis que je vis sur le sous-sol japonais et qu'on a
cru malin de m'apprendre depuis peu que la faille s'était déplacée
juste sous mes pieds (je la vois presque!!!) à cause du séisme du
11 mars, ce qui augmente les risques de séisme grave à Tokyo.

  • Mimi! Le Syndic,
    c'était l'ennui et le coup du mépris mais au moins, tu étais en
    sécurité!

  • Et tu avais un
    travail!

Ma tante Dolorès, qui ne
veut plus aller en Espagne depuis que la terre au printemps a
trembloté, en compagnie de ma mère qui ne m'envoie pas de colis
alimentaires mais des adresses de sites pour trouver du travail au
Japon.

Frédéric Charles, donc.
Comme tant d'autres, à cause de son accent légèrement saccadé,
j'ai longtemps cru qu'il était d'origine japonaise. Depuis
Montreuil/bois, je me disais, forcément, une telle langue, un tel
pays, il faut en être pour pouvoir y capter quelque chose… ce qui
était un préjugé, et de taille, puisque l'homme est suisse et se
revendique ni « tatamisé » (expression qui signifie que
l'on se fait/veut plus japonais encore que monsieur Tanaka qui va
chercher son courrier en yukata et va tous les jours brûler son
encens au temple shinto d'à côté) ni 100% intégré dans ce pays
de montagnes à plus de 60%, au même titre que sa Suisse natale
qu'il semblerait presque vomir (en tout cas, fuir très
certainement).

Errant sur le site de
France inter telle une expatriée en manque d'informations de chez
soi, je suis tombée sur un portrait d'une heure de sa personne dans
l'émission d'été Témoins de passage, que je me propose
d'allègement pomper en partie ici car je suis sûre que ça vous
intéressera au moins autant que l'art d'aller aux chiottes au pays
du soleil levant (à venir, ne vous inquiétez pas) ou comment
enfiler un kimono (en soie) ou yukata (en coton) sans faire couler
son maquillage.

Frédéric Charles vit
donc à Tokyo depuis plus de 30 ans. Etant donné qu'il a fêté ses
59 ans au printemps, vous en déduirez qu'il était jeune et
fringuant quand il y a posé le pied, soit 29 ans si je compte encore
à peu près bien sur mon boulier Ming. Il semble avoir fait
plusieurs jobs avant que d'atterrir à la radio, je ne sais plus par
quel concours de circonstances mais il y en avait un comme n'importe
quelle situation qui vous voit passer de magasinier à Tokyu hands
(le BHV local, je vous recommande!) à correspondant pour une grosse
radio nationale française.

Et durant 30 ans, il n'a
eu de cesse que de pénétrer le plus possible la culture, la langue,
le pays, les femmes de ce pays… Avec cette inévitable ambivalence
que traîne avec soi tout étranger dans un pays d'accueil très
différent de son pays natal. Il l'aime le Japon, ça c'est sûr, il
le porte partout en lui mais en même temps, demeure entre ce pays,
et lui, comme une inévitable distance, de l'épaisseur d'une feuille
de riz peut-être mais une épaisseur qui semble impossible de
réussir à gommer.

Frédéric Charles ne se
veut donc surtout pas « tatamisé », les Japonais ont
horreur de ces Occidentaux qui veulent à toute force faire plus
japonais que les japonais quand ils se la jouent eux-mêmes très
japonais. Je suppose néanmoins que c'est pareil partout, aimerait-on
un Japonais plus français que soi-même, français? Sauf qu'il reste
à définir ce qu'est être un Français, un vrai (help m'sieur
Copé!).

Car c'est sans doute là
la difficulté. Le Japon est une île…

  • Merci Mimi!

Une amie géographe qui
déteste qu'on se la pète en cartographie et de quoi est faite cette
roche que tu vois là bas hein dis Mimi?!

… et comme toute île,
surtout éloignée du continent, elle a tendance à vivre entre soi,
je vous ferai l'histoire du Japon une autre fois (c'est promis aussi)
mais il est certain que parler de culture japonaise a sans doute plus
de signification, en tout cas de cohérence et homogénéité, que de
parler de la française qui tend à s'éparpiller en régions.

Je peux ainsi à la
rigueur voir ce que signifie, se la jouer parisien, parisienne… et
encore.

  • Eh bien moi je ne
    vois vraiment pas de quoi tu parles Mimi!

Une amie berrichonne
devenue parisienne à l'âge de 20 ans, qui prend ses brunchs le
dimanche matin en terrasse sur les champs Elysées, voit la moindre
exposition de peinture dès lors qu'elle sort et qu'on en parle dans
Elle ou Libé, ne se vête que d'Agnès B et d'Antoine
et Lili, et mourrait plutôt que de traverser le périf, même pour
une simple visite à une amie d'études (moi) partie vivre en
banlieue.

Bref, Frédéric Charles
a toujours refusé, sans aucun mal, les sirènes de la tatamisation.
Il a néanmoins dû déployer un certain nombre d'efforts pour faire
partie au moins un peu de cette société. Parler la langue, déjà,
s'intéresser à ce qu'elle est, dans ses dimensions politiques,
anthropologiques, culturelles, et même érotiques, puisqu'il semble
très attiré, séduit, baba devant les femmes japonaises… tout en
semblant nourrir des amours malheureuses avec ces dernières.

  • Pas étonnant, quand
    on voit la condition de la femme dans ces pays là!

Ma tante Babe qui serait
bien surprise si elle voyait la liberté des moeurs modernes
japonaises.

Pour lui, il faut aimer
la solitude quand on est un étranger au Japon…

  • Ben bon courage
    Mimi!

Une amie qui, lorsqu'elle
est plus de 5 minutes seule, se met à skyper la terre entière.

… et qu'on vit seul,
surtout. Sans famille quoi. Il dit tenir le coup en écoutant chaque
jour, à fond, du jazz, son autre passion avec les femmes nippones.
Cela lui permet de laisser libre cours à ses émotions sinon
refoulées dans la sphère publique et même privée.

  • Euh il est pas un
    peu… névrosé ton monsieur? Il a l'air un peu tourmenté non?!

A, qui lit par dessus mon
épaule.

Sans doute un peu, si on
en croit cette sourde tristesse ou gravité qui émane de sa voix, un
peu à la japonaise justement. Pour lui, impossible de confier ses
états d'âme, de s'ouvrir en son moi profond, donc moche et
faiblichon, à la maîtresse japonaise ou même à l'ami nippon avec
qui on va trinquer au saké après avoir croqué dans un sushi nimbé
de euh shoyu?

Il m'a semblé qu'Airi
acquiesçait doucement à cette assertion rapportée par moi tandis
que Matthieu, son copain français, gloussait de concert avec A
(totalement secoué ton bonhomme) mais je n'en suis pas sûre, il
faudra que je lui demande entre quatre yeux (sans non plus lui faire
tomber la face par terre hein n'est-ce pas).

Pour cela, et également
ce vieux fond de xénophobie persistant, Frédéric Charles ne se
voit pas finir ses vieux jours au Japon, seul, vieux et fatigué,
peut-être même malade, la feuille de riz serait pour le coup un peu
trop épaisse.

  • Et Fukushima dans
    tout ça? C'est bien mignon toutes ces considérations
    psychologiques mais quid de son job de reporter, le truc quand même
    un peu important non?!

Un ami, envoyé spécial
à Elle (les usines de cosmétique et les hauts couturiers).

Eh bien, j'y viens.
Fukushima leur pendait au nez, aux Japonais, comme le raisin mûr sur
sa treille pend au vin. Concernant l'industrie de l'énergie et du
nucléaire plus précisément, il y a eu une véritable collusion
entre pouvoir politique, autorités ubliques et intérêts
industriels…

  • Euh, un peu comme en
    France non?

Certes mais en France, il
existe peut-être plus de garde-fous et de contre-pouvoirs… et
surtout, il n'y a pas de tremblements de terre réguliers et de
tsunamis.

Ceci dit, Fukushima était
un peu du style de Fessenheim dans le bas-rhin, une vieille usine des
années folles du nucléaire, en ses débuts, où les incidents,
rarement rapportés, allaient se multipliant, elle était elle aussi
voisine d'une faille sismique, tant qu'à faire et qui plus est,
construite en bordure d'une côte qui avait déjà connu des tsunamis
dans son histoire de côte.

Et puis, comme
Fessenheim, et malgré la vétusté et les incidents notables quand
notés, sa durée d'exploitation venait justement d'être prolongée
quand… vous connaissez la suite.

  • Ah la justice
    divine, c'est quelque chose!

Une nonne de Lourdes
perdue sur skype, et qui a une vision fessenheimienne de la justice
de son bon Dieu.

Suite à cela, il y a eu
bien des bévues, et des carences. Le gouvernement a tardé à
réagir, à informer et maintenant, les réfugiés qui demeurent
toujours précairement non-logés, brimballés à droite à gauche
sans savoir s'ils pourront un jour regagner leur maison en zone
interdite, sont ignorés de tous et de toutes. Car le Japon est un
pays atomisé. Il n'a jamais vraiment été une nation, même quand
il braillait derrière ses militaires et son drapeau, même quand il
exploitait le coréen et violait la chinoise, chacun vit dans sa
région, son groupe, sa famille, et le sud, Khyushu, par exemple,
ignorerait presque ce qui s'est passé au nord.

Bon, pas tout à fait
quand même mais disons que bon nombre de Japonais ne se sentent pas
concernés et solidaires des gens des zones sinistrés qui en plus je
suppose font un peu effet repoussoir. On veut oublier l'horreur de
mars, et de voir tous ces traîne-savates et ces vieillardes hagardes
errant dans les rues pleines de gravats et les gymnases (qui doivent
par ailleurs fermer à cette rentrée de septembre), eh bien ça
n'est pas bon pour oublier.

Frécéric Charles, bien
sûr, ne les oublie pas. C'est son métier, qu'il a à coeur, et il
aime le Japon, donc on le sent meurtri par ce qui s'est passé.
Meurtri aussi d'accompagner clandestinement ces paysans qui vont
nourrir leurs bêtes en zone interdite à 3 km de la centrale, là ou
je suppose, les aiguilles des compteurs geiger dansent la gigue (hum
hum que devient ensuite la viande de ses boeufs?!). Meurtri par
l'histoire de cet homme, certainement pas unique hélas, qui a perdu
son père, son fils, sa fille, et qui boit chaque soir pour
disparaître de sa vie tandis que sa femme, dans son campement de
réfugiés, a sombré dans la dépression. Car culture du non dit
oblige, les psychiatres ne courent pas les rues et les gravats pour
aider ces braves gens à surmonter leur tragédie.

  • Eh bien merci Mimi,
    je dois dire qu'après ton billet sur la bouffe, tu nous donnes
    vraiment envie de venir te voir au Japon!

La copine aux sushis qui
aime rire et s'amuser, y compris dans des karaokés ou des restos
japonais.

Mais les Japonais aussi
figurez-vous. Parce qu'ils savent la fragilité de la vie, ils aiment
rire, boire et profiter de la vie. Ils vivent dans le présent, ne se
projettent pas vainement dans le futur ou ne se retournent pas sans
cesse vers leur passé pour se mesurer la satisfaction d'avoir été
et d'avoir fait, comme le niveau d'espoir ou de désespoir à en
conclure au vu de leur vie antérieure et à venir.

En cela, ils sont d'une
certaine façon beaucoup plus optimistes que nous, les Occidentaux,
dixit Frédéric Charles.

  • Mais les cours du
    soir pour les petits Japonais dès la maternelle?

  • Mais la concurrence
    impitoyable pour entrer dans le bon collège, lycée, université?

  • Mais le travail
    scolaire lycéen professionnel écrasant pour qui veut réussir sa
    vie?

  • Mais le taux de
    suicide énorme?

  • Surtout chez les
    jeunes!!!

  • Hein, t'en fais
    quoi?!

Euh ben rien car là,
j'avoue que je sèche. Je ne vois pas comment effectivement on peut
se tuer à la tâche dès l'âge de 6 ans et vivre heureux dans le
présent. Je ne vois pas comment on peut vivre heureux dans le
présent quand justement ce présent est atroce (là je parle de ceux
qui ont perdu des proches dans le séisme). Je ne vois que le futur
pour donner envie d'avancer comme je ne vois que l'obsession du futur
pour justifier les prépas intensives du soir et des vacances dès
l'âge de raison…

  • Eh bien, tu n'auras
    qu'à lui demander à ton Frédéric Charles, lorsqu'un « concours
    de circonstances » te le fera rencontrer hein…

L'ami de Elle,
vexé parce que je lui ai dit que recracher les dossiers de presse
des vendeurs de cosmétiques, ou lécher les bottes des androïde
comme Kurt Waldeim euh pardon Karl Lagarsfeld, ça n'était pas faire
du journalisme de terrain.

En conclusion, car il
faut bien conclure quand un enfant vous lèche les tibias et un autre
escalade votre siège, si Frédéric Charles n'est ni de quart ou de
moitié d'origine japonaise, il en a la texture, et le timbre, grave,
mesuré, un peu triste peut-être…

  • Mais le Japonais
    est-il triste, mademoiselle Chotek-san hein? Et vous-même, Mimi-san
    wa êtes-vous si gaie que cela?!

Le Michel Lebb local qui
imite à se tordre l'accent nègre national (français et anglais).

Non, non, vous avez
raison! Le Japonais s'esclaffe aussi, surtout les filles, surtout les
jeunes… c'est juste qu'à écouter Frédéric Charles, on lui
trouve un petit air… japonais, dans le fond comme dans la forme.

Sur ce, mata ne, car
celle qui léchait mes tibias hurle à plein poumons parce que celui
qui était grimpé sur le siège, l'a fait tourner et l'a renversée
sur le sol…

Ici Tokyo, à vous les
studios!

(ben oui faut bien s'y
croire un peu)

2 thoughts on “L’âme nippone

  1. Reply ladenio Sep 8,2011 12:57

    Ah ben ça alors, ah ben ça…. l\’est pas japonais le sieur Charles, mais suisse ?????? ah ben la terre bien assise de ma tranche matinale a vacillé un peu quand j\’ai lu ça….
    Aveline

  2. Reply Pym Sep 20,2011 14:17

    Et il me semble que Frédéric Charles utilise un pseudo (ou alors c\’est Frédéric Charles son pseudo), car il travaille aussi sous un autre nom en tant que journaliste dans divers médias. Je ne pensais pas qu\’il était japonais en l\’entendant sur Inter mais qu\’il avait en effet pris l\’accent local.

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