Léger correctif

Je me dois de faire une
mise au point. Non pas un erratum, non, mais une sorte…
d'ajustement, de léger correctif, même, comme un infime mais
néanmoins réel bémol à…

  • Bon, accouche
    bordel!

Carla B., qui lit mon
blog en cachette de son mari (sisi).

Eh bien, suite à mes
derniers billets, notamment celui portant sur ma triste condition de
housewife pas encore (tout à fait) depressed mais qui…

  • De belle feignasse
    tu veux dire!

Une amie, quasi ministre
d'Etat (enfin dans sa tête) qui trouve quand même le temps de me
skyper sa vie frénétique à sa pause déjeuner où elle mange
seule, dans le silence, une salade de fruits de mer à 30 euros,
alors que nous, c'est la pause dîner, la pause en moins avec Zébulon
au couteau (au poings) et la Zouflette à la cuillère (dans les
cheveux).

… et d'exilée
volontaire (=expat en langage diplomatique), loin de ses copines et
de ses repères, j'ai reçu des messages affolés…

  • Ma pauvre Mimi!
    Jamais tu ne t'en sortiras! 42 ans, c'est trop TARD pour refaire sa
    vie à l'étranger!

  • Ma pauvre Mimi! Dire
    que cela ne fait QUE deux mois que tu es là bas, et DEJA, tu
    déprimes…

  • Si SEULEMENT Mimi,
    tu travaillais… tu verrais des gens, tu apprendrais le japonais
    facilement et surtout, tu aurais ton propre ARGENT! Gagner sa VIE
    c'est gagner sa LBERTE!

  • Courage! Quand j'ai
    vécu aux USA, il m'a fallu deux bons mois avant de pouvoir parler
    enfin couramment anglais et me faire tout un groupe d'amies… pour
    tout te dire, j'en avais même trop, car comme je travaillais (moi),
    je n'avais pas assez de temps pour voir tout le monde… ah ces
    fêtes qu'on a pu faire… et ces petits voyages entre amis…

  • Mimi, sans blagues,
    vous n'allez pas rester? Vous êtes fous! La faille, la fusion, le
    fric, les fuites, la femme flouée, la…

  • Mimi, tu veux que je
    demande à mon médecin de te faire une ordonnance de prozac que je
    t'enverrai ensuite par bateau (compter dans les deux mois)?

  • Mimi, reviens, toi
    aussi tu nous manques beaucoup! On s'amusait bien à s'ennuyer
    ensemble au bureau!

Ma tante Dolorès, ma
tante Babe et ma mère (thème à deux voix), la Parfaite… et puis
des tas de copines.

Isadora Patissier a même
proposé de laisser choir cocotiers et captain, et mettre son bateau
en vente pour venir me tenir la main dans la rade de Tokyo (place
artificielle et Disney land), j'ai refusé, ça va de soi, on a sa
fierté tout de même et puis, je n'ai pas besoin qu'on me tienne la
main. Juste la compagnie.

  • Et A? Et tes
    mioches? C'est pas de la compagnie peut-être?

Soledad, qui est celle
qui a le plus mal pris ce qui n'étaient que des bémols, et
pourtant, j'avais mis la pédale douce. Elle rempile il est vrai sur
une année qui la voit certes devenir directrice adjointe de son
agence de com mais elle s'apprête aussi à fêter ses 40 ans, seule
comme une bûche creuse (nonobstant ses 543 amis sur Face de bouc).

  • Quoi la pédale
    douce? Vous avez quelque chose contre les pédales, Mimi-san?!

Un Japonais habillé en
écolière (costume marin et chaussettes aux genoux), de ceux que
l'on croise paraît-il à Shinjuku chome, le soir, à la tombée de
la nuit, dans les allées bordées de bars interlopes.

Euh non je n'ai rien
contre vous, monsieur-san, ni d'ailleurs contre cet homme qui
attendait l'ascenseur dimanche après-midi au grand magasin d'Odakyu
en ma compagnie et celle du Zébu, tout en s'éventant frénétiquement
la frange décolorée qu'il arborait avec queue de cheval, mini jupe
en jean, collants rose fluo et poitrine insolente sur visage rasé
mais visage non glabre indéniablement, et puis oui, A et les petits,
c'est de la compagnie mais déjà, A n'est pas là en journée, et
les gamins…

  • Oui oui on sait, tu
    ne vas pas nous remettre ça encore Mimi!

Non, rassurez-vous, ce
n'est pas le propos du jour.

Bref, je voulais juste
dire que malgré tout, malgré ces bémols, j'étais contente d'être
ici.

  • Vraiment?

Oui, vraiment.

Surtout si je pense au
Syndic. Car si j'étais restée à Montreuil, qu'aurai-je fait dans
quelques mois? Hein? Je vous le donne en mille?!

  • Tu aurais retrouvé
    ta misérable petite vie d'employée de bureau… et allez, par ici
    les tableurs excel, à moi, les power-point, la saisie des récaps
    le boulier des aides et des demandes, et 3 qui nous font 568 000…
    et par ici encore Bécassine poil dans la mimine et la Cadette, de
    retour de ses couches, et plus exaspérée que jamais… et par ici
    encore les réunions sans intérêt et les passes d'armes feutrées
    (ou non) entre égos plus ou moins dignes de ce nom… et pour
    finir, un petit coup de semelle sur celui de la Mimi, d'égo, à qui
    les grands parlent au-dessus de la tête parce que celle là, entre
    ses tumeurs au cerveau, ses congés parentaux et son absence de
    présence-implication, on ne sait jamais si elle est là…

Ok, ok. J'aurais retrouvé
tout cela, de bonnes vieilles charentaises qui me manquent parfois
(ben oui, ce train train avait aussi ses bons côtés) mais qui au
bout de deux jours auraient déjà meurtri le bout de mes doigts de
pied car partir, ça fait grandir les arpions.

  • Ah bon?

Une amie, complexée par
la taille de ses pieds (un 34 quadra).

Non, après cette année
de liberté, même contrainte (les enfants sont les enfants),
j'aurais vraiment eu un mal de chien à reprendre ma vie
d'avant et une fois reprise, j'aurais vraiment sombré, je
crois bien.

  • Allons donc! De
    suite les grands mots! Tu veux savoir ce que c'est « sombrer »?

Une amie, lointaine,
devenue fidèle cliente chez Pôle non emploi, qui dans sa vie
d'avant, se faisait insulter sur la Hotline de France Telecom pour
qui, dans une autre vie encore, elle était « notre très
compétente directrice adjointe du groupe Dégroupage ».

Ok, ok. Disons que je me
serai encore un peu plus rétrécie et je n'aurais eu de cesse de
regarder ma vie, médiocre, et celle des autres, ambitieuse et
réussie. J'aurais été de plus en plus abrutie par mes journées et
A aurait fini par me quitter avec les enfants car la compagnie d'un
mollusque déprimé n'est jamais bonne pour son propre épanouissement
personnel, sans compter celui des petits enfants. Je serai retournée
célibataire comme dans ma jeunesse, mais ma jeunesse en moins, je me
serai mise à boire et je serai devenue comme certains de ces morts
vivants qui hantent les couloirs du Syndic, et qui suscitent à la
fois mépris, compassion et répulsion.

Donc, rien que pour cela,
partir, c'était super bien!

Et puis, dans la même
veine, partir, ça force à apprendre des choses nouvelles, à sortir
de soi, ce qui ne m'était pas arrivé depuis si longtemps. Et
apprendre, quand on est plus… mûre (âgée), c'est juste
délicieux! On apprécie tellement mieux que quand on a 20 ans, on
est tellement plus… motivé, et efficace aussi.

  • Parlez-vous pour
    vous! Moi madame, je me les paye mes études, alors motivée, je le
    suis!

Une skypeuse de moins de
25 ans, qui vend des burgers le soir pour se payer ses études
d'Histoire de l'art le jour, parce que comme tout est bouché, ça ou
apprendre à fabriquer des moteurs de jeux électroniques hein…

  • Et tu apprends quoi,
    au juste Mimi?

Le japonais, d'abord. Je
demeure au bas de l'escabeau mais à apprendre, comme langue, c'est
plutôt rigolo. Bien plus que l'arabe ou l'allemand, par exemple.
J'espère avec les cours, en octobre, réussir enfin à me mettre à
parler autrement que par mots clés, et surtout, comprendre les gens
quand ils me posent des questions aussi bêtes que « Vous
voulez le consommer tout de suite immédiatement très chère
madame-san honorée cliente ou je vous l'enrobe dans un petit sac
avec une petite ficelle en queue de cochon et je vous le donne
ensuite emballé dans un autre petit sac en papier celui-là que vous
pourrez ainsi jeter dans la poubelle de tri sélectif qui se trouve
juste à la sortie du magasin? »

  • Et parlant la
    langue, tu pourras trouver du boulot aussi! Gagner ton propre argent
    et payer des impôts!

Ma mère, encore elle,
ses annonces d'emploi en kanji à la main.

Oui maman, rassure toi,
je chercherai du travail, quand je saurai enfin parler et comprendre,
dans un an, pas avant. En attendant, je profite de mes enfants,
chaque heure du jour, et parfois de la nuit, bon, c'est souvent eux
qui profitent surtout de moi, et l'aspect
cuisine-aspirateur-déjeuner-aspirateur-sieste-sortie au
parc-recuisine… renoue parfois avec ce côté routinier et
ruminatoire de ma vie antérieure, je ne serai jamais écrivain, je
ne ferai jamais rien de ma vie, je suis non pas ratée mais médiocre,
infantile et bête.

  • Ok, ok, ça tu nous
    l'as déjà dit Mimi, là c'est le correctif! Le côté positif de
    ta condition tout de même assez privilégiée!!

Je ne le nie pas. Les
infos que j'écoute chaque jour sur France inter sont franchement
déprimantes, même avec un jour de différé. Chômage, règle d'or,
crise des marchés, pauvreté des étudiants, enfants de chômeurs
refusés à la cantine…

Les amis, sachez que la
France vue de loin est terriblement déprimante, et on a l'impression
avec l'Europe, d'un paquebot qui s'enfonce lentement dans la mer.
Ici, au Japon, la vie ne doit pas être si facile que ça, mais
malgré la crise, et le drame du 11 mars, la vie se poursuit et les
choses bougent. Airi avait envoyé des tas de CV en France, elle est
quand même diplômée en un tas de trucs japonais et français, elle
parle très bien français et encore mieux le japonais (forcément)
elle parle même l'anglais aussi, eh bien personne en France n'a même
seulement daigné lui répondre quand de retour à Tokyo, elle a
multiplié les entretiens d'embauche…

  • Madame! La France,
    on l'aime ou on la quitte!

Ce vieux con de Charlie
Tango, général des armées à la retraite et qui parasite
régulièrement mon skype avec sa CB des années 14 (siècle passé)
tout en boycottant avec ferveur le saumon norvégien à cause d'Eva
la cinquième colonne.

Eh bien justement, on est
au moins trois à l'avoir quittée, Airi, A et moi.

Donc le Japon, Tokyo en
l'occurrence, malgré ses séismes, ses tsunamis, ses centrales est
finalement moins déprimant que la France. Et puis, par rapport à
Paris, il y fait beau et chaud. Il pleut, d'accord, il peut faire
gris aussi pendant des jours mais depuis que je suis arrivée, je
n'ai mis qu'une seule fois un pantalon, et encore j'ai crevé de
chaud, et PAS UNE SEULE FOIS des chaussures fermées. Et ça,
j'adore!

  • Passionnant…

Une fan parisienne du
Japon, frustrée de ne pas avoir plus de précisions sur le
porte-jarretelle à l'ère Meiji ou le pas cadencé de la danse du
shogun au temps du euh shogunat.

Et puis il y a des
moments de grâce. Par exemple, je dépose le Zébu à son yoshien à
uniforme-canotier-carnet de présence (billet à venir bientôt), il
fait un temps superbe, le genre provençal, avec une sorte de petit
mistral doux, je suis assise à une table de pique-nique du yoyogi,
sous des arbres bien verts (certes environnée de SDF qui
transportent sur des charriots l'équivalent de 3 Peugeot 504 break
de retour au pays et qui petit-déjeunent au saké sur les tables du lieu), la
Zouflette dort paisiblement dans sa poussette, ou le panier du vélo,
j'ouvre mon ordinateur que j'ai pensé à prendre cette fois ci, je
commence à écrire, dehors, heureuse comme une papesse… euh
semi-papesse car la Zouflette vient de se réveiller, après à peine
une demie heure de sieste… alors qu'elle dort deux heures
habituellement… et tout ça pourquoi?

Tout ça à cause d'un
putain de corbeau noir de merde de mes couilles qui lui a gueulé
dans les oreilles juste au-dessus de la tête!!!

  • Mademoiselle, vous
    représentez la France à l'étranger alors surveillez votre langage
    s'il vous plait! La France n'est pas un PMU! La France doit pouvoir
    continuer à exporter ses camemberts et ses porte-avions grâce à
    son image de marque!

Charlie Tango, encore
lui.

La Zouflette est donc, et
réveillée, et de mauvaise humeur. Moi aussi du coup. Ah pétard,
quand est-ce que j'aurais vraiment du temps à moi, du temps vraiment
libre sans le flingue d'un réveil intempestif sur la nuque?!

  • Dis donc Mimiko, tu
    ne vas pas te plaindre, EN PLUS, et ENCORE, de devoir t'occuper de
    ces enfants que tu t'es tant languis d'avoir?!

Sumiko, célibataire
japonaise de 42 ans, qui a sacrifié son utérus à sa carrière et
qui vit dans un 100 mètre carré avec ses deux chiens habillés en
Calvin Klein canin qu'elle balade dans sa poussette bobo à 150000
yens (véridique!).

Euh si, je me plains un
peu car là j'étais dans un moment de grâce et on me l'a gâché,
et je sature de cette sensation pénible avec le sommeil des bébés
d'avoir toujours une sorte de flingue pointé sur la nuque tic tac
dépêche toi d'écrire et d'apprendre tes kanjis car je vais me
réveiller… tic tac tic tac… D'ailleurs à propos de réveiller,
les choses seraient plus faciles, et mon moral, plus positif, si
j'étais moins crevée.

  • Ah mais moi je n'y
    suis pour rien! Depuis que tu prends tes pilules truc muche, on peut
    pas dire que je dérange souvent la nuit!

Morphéophobe, une
vieille cousine de Cléa culpa et de la non muse qui, effectivement,
m'a un peu lâché la grappe… remplacée par ma fille qui aime à
se réveiller la nuit pour pousser des cris de joie extatique (ou de
simples cris parfois) ou nous raconter sa vie blablabla dressée
debout dans son lit cage, sinon, voire, et en plus, se
réveiller à 6h00-30, et nous avec, pour ensuite s'écrouler sur le
tapis deux heures plus tard car couchée à 21h30, elle ne tient pas
le rythme.

  • Madame, la France,
    la seule, la vraie, c'est celle qui se lève tôt!

Encore ce vieux con de
Charlie tango, poff, qu'il me fatigue çui là…

Eh bien, nous, A et moi,
pauvres petites natures, on est crevés. A a des vertiges (dit-il) et
moi, des humeurs de dogue (et des vertiges aussi). Une impression de
tension et de stress engendrée par le manque de sommeil, un Zébulon
toxique, à force de désobéissance et d'asticotage de sa petite
soeur, sans compter donc le manque de temps pour moi, comprenez
d'écriture et de rêverie, qui… bon, ok je l'ai déjà dit.

Bref, disons que la vie
serait vraiment belle si je pouvais en profiter un peu mieux.

  • Ah ça, le jour où
    tu sauras profiter de ce que tu as…

Une aïeule du fond de
son tombeau qui, chaque mois, allait jouer sa pension à la roulette
du casino près de sa maison de vieux et finissait le mois en suçant
les galets de la plage.

  • Et puis, Mimi, tu ne
    vas pas te plaindre de cette vie de luxe? Toute la journée chez
    toi, sans chef pour te presser le moral, et même pas de problèmes
    de fric grâce à ta baka Renée qui t'a laissé un sacré magot!

Cléa culpa, qui a
installé skype sur sa chaîne de montage Toyota ou sa caisse de chez
Fourcar, à moins que ce ne soit dans la salle d'attente de Pôle non
emploi.

Certes, j'ai de la
chance, j'ai de l'argent (un peu). Grâce à ma baka Renée, morte
l'année dernière, j'ai un peu de sous d'avance mais la vie est
chère, et ça file, file… et puis ce n'était pas un gros magot,
Cléa, et au Japon, entre les frais d'inscription pour le petit, le
vélo à acheter pour l'y emmener, les impôts en France et…

  • Ah que c'est
    vulgaire de parler d'argent comme cela! S'il y a bien un sujet sur
    lequel nous glissons, nous les vraies Japonaises, c'est celui là…

Une geisha d'exposition
pour touriste en mal de clichés typiques (sisi ça existe!) qui a
mis son fils dans le même kindergarten que le Zébu et qui,
enfourchant son vélo électrique de la pointe de son escarpin, file
briquer son intérieur, arranger ses bouquets et repasser les yukata
de la famille.

Allez, je termine par un
autre petit moment de grâce… Couchée à la nuit tombante sur une
pelouse du yoyogi koen, rafraîchie par un petit vent tiède et doux,
je vois les premières étoiles s'allumer peu à peu, je le vos si
nettement, qu'avec le chant des cigales (géantes ici), je peine à
me croire dans une mégalopole de plus de 30 millions d'habitants.

Alors, soudain, la vie
(le Japon) me paraît soudain pleine de promesses, de choses à
découvrir, de livres à écrire, de gens à rencontrer, de…

  • Bon, ben c'est pas
    tout ça, j'y retourne, j'ai une réunion à mener moi!

La copine ministre d'Etat
qui a bien voulu me sacrifier 5 minutes de sa
pause-sushis-haddock-saumon et qui s'en retourne à la vraie vie.

De toute façon, les
fesses de la Zouflette me seront tombées sur les yeux ou bien la
gourde ouverte du Zébu, A râlera aussi qu'il se fait tard et qu'on
a encore le dîner à préparer, les bains à donner, les histoires à
lire, et nous repartirons donc vers notre quotidien à la fois
exotique et parfaitement banal.

(mais je vous assure, je
suis contente d'être partie hein!!!! Et puis je reviendrai en
France!!! et je l'aurai un jour, ma maison en Provence avec son
jardin potager et ses balades dans la garrigue!!!)

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