Carte postale moderne II

Chers tous (proches,
moins proches, semi-proches, plus ou moins lointains, assez pas mal
lointains, franchement éloignés, parfaits inconnus…),

Ce week-end, c'était un
week-end de trois jours. En effet, lundi était férié, de quoi,
j'avoue que je ne sais pas et pire encore, que je n'ai même pas
cherché à le savoir…

  • Ah bravo, Mimi,
    merci pour la curiosité intellectuelle et culturelle, on repassera!

Ma mère, qui commence
déjà à interférer, son guide bleu à la main.

La seule chose qui
comptait, c'est que A était là un jour de plus, et que ça faisait
un jour de moins à m'occuper seule des petits. Et puis, surtout,
lorsque nous avons 3 jours ensemble, on fait autre chose que le
ménage, les courses et visiter Tokyu hands (le BHV tokyoite) pour
aménager la maison.

Samedi, nous avons donc
fait le ménage, les courses, la sieste et juste une sortie dans le
parc à côté où entre 2 moustiques, Zébulon a fait de la
trottinette et sa soeur, de la balançoire sur mes genoux. Comme nous
sommes très organisés, il était déjà 18h00, la nuit tombait et
tous les autres petits enfants prenaient leur bain avant que de
manger leurs soba ou leur gohan (riz) enroulé dans sa feuille
d'algue (radioactive).

  • Dis donc, tu devais
    pas nous faire un billet sur la rentrée du Zébu dans l'univers
    carcéralo-militaire de son kindergarten japonais?

Une amie instit de
Montreuil, ancienne voisine de son état, qui a accompli sa rentrée
dans cette ville début septembre dans une classe de 78 mouflets en
CE2 dont trois logés sur une étagère (rien ne se crée, rien ne se
perd…). Mais comme dirait ce joyeux drille de Jean-François
Partoutjesuis, madame, en Lozère, il y a des classes de 15 élèves,
ce qui fait une moyenne nationale de 27,2 élèves par classe, alors
ne venez pas nous bêler dessus que les classes sont sur-chargées
car c'est FAUX.

Eh bien ce matin,
désolée, je n'ai pas eu envie d'écrire sur l'école.

J'ai plutôt eu envie
d'envoyer une carte postale. Parce qu'hier, lundi donc, férié je le
répète, nous nous sommes enfin bougés un peu les fesses (je
précise : j'ai déterminé un lieu à aller visiter et l'inertie du
reste a suivi). D'ailleurs, je passe tout de suite à ce lundi, objet
de ma carte postale moderne.

Lundi, nous (JE) avons
décidé d'aller visiter Kamakura. Plusieurs personnes, japonaises ou
autres, m'en avaient pas parlé.

  • Ah ouais, et c'est
    quoi Kamasutra?

Une skypeuse débauchée.

Kamakura est une ville à
50 km de Tokyo, en bord de mer, et elle fut la capitale de l'Empire
du soleil levant (qui ne s'appelait peut-être pas ainsi à cette
époque d'ailleurs) entre le 12ème et 14ème siècle, et surtout,
c'est (ou c'était) un des hauts lieux du bouddhisme japonais avec
Koya-san et Nara, toutes deux près de Kyoto.

Bon, mes connaissances
historiques s'arrêtent là, c'était juste pour vous situer le lieu.
Afin d'en avoir la carte postale en tête, retenez juste les mots
clés mer-bouddha-temples-gros bouddha.

Pour nous y rendre, il
nous a juste suffit d'aller à Shinjuku (à une station d'Hatsudai)
et de prendre un train en direction de euh Zuchi, quelque chose comme
ça.

  • Euh Mimi, tu ne vas
    tout de même pas nous donner ce genre de détails même pas précis
    qui plus est alors que tu fais l'impasse sur la dynastie des
    Empereurs qui siégea en ces lieux durant deux siècles!

Ma mère, encore elle,
son guide bleu à la main et tante Babe grommelant que bien sûr,
Bouddha était un homme, comme les Empereurs et Jésus Christ, et
qu'il n'y avait en conséquence aucune ligne de trop dans ce fichu
guide phallocrato-bleu sur le rôle de la femme japonaise dans
l'histoire de son pays, ancienne, classique ou moderne.

Nus avons donc quitté le
béton et l'acier de Tokyo pour celui de Yokohama puis celui des
banlieues environnantes, pas un poil de vert, je commençais à
déprimer, puis nous sommes arrivés à une petite gare,
Kita-Kamakura (kita veut dire nord), bordée de grands arbres et d'un
magnifique vert vif, où l'on pouvait traverser la voie sur les rails
pour se rendre aux temples situés du côté droit de la ligne.

  • Tu n'es pas folle
    Mimi de traverser à pied ET AVEC TES ENFANTS une voie où pourrait
    passer à toute allure le le… shinkansen par exemple?!

Tante Dolorès, la
légèrement inquiète de la famille.

Eh bien, justement, je
voulais signifier là que l'on avait presque l'impression de se
retrouver dans une gare de campagne. On était en ville certes, mais
la nature était là, des petites maisons aussi, aucun building ou
grand immeuble. Il faisait beau, le ciel était incroyablement bleu
et on a mis le cap sur le Shoochi-ji, le temple dont partait la
randonnée que nous (je) voulions faire.

Petite rue en plein
soleil, échoppes à gogoneries diverses comme on en voit dans tous
les lieux de villégiature (on a voulu acheter une casquette au zébu
mais on a renoncé vu qu'il y avait la croix gammée derrière, un
symbole bouddhique qui représente la roue du temps, si quelqu'un
veut bien m'expliquer pourquoi Hitler a flashé sur un symbole
bouddhique, je suis toute ouïe…), gros cars plein de touristes
(mais pas trop) cornaqués vers un parking par un japonais limite
hystérique de précautions et de courtoisie, et sur la droite, un
peu en retrait… le shoochi-ji.

Une volée de marches
dans la forêt, une petite guitoune où la préposée, une quinqua
japonaise à la voix de fumeuse, gentille comme une japonaise, a bien
voulu et nous garder la poussette de la Zouflette, et comprendre mon
japonais basique de base.

On a visité le temple,
bouddhique donc, essentiellement un petit jardin avec des bâtiments
de plain pied, à panneaux de bois coulissant sur un patio, rempli de
fleurs et d'herbes sauvages, dans la lumière poudrée du soleil.
Pour avoir une image-carte postale, retenir en conséquence les mots
bois-panneaux coulissant-patio-soleil poudré-fleurs sauvages-herbes
folles-arbres vert vif. Ajoutez aussi quelques statues de divers
bouddhas, en format maigre, des pierres rondes, grises et noires,
façon galets polis, et l'éternel bassin à poissons rouges
recouvert d'une fine grille.

Il y avait aussi un
cimetière, avec ces drôles de spatules en bois façon ski, dressés
vers le ciel, et recouvertes de signes (kanjis et autres), sans doute
des versets religieux, mais il y avait peut-être écrit après tout
« A ma femme adorée que jamais je n'oublierai » ou « Le
temps passe, la douleur reste? ». Il semblerait, pour dire
(très) vite, que le Japonais est shintoïste dans la vie, avec un
paquet de kami -dieux- à adorer remercier supplier amadouer (parfois
aussi triviaux que le dieu du marché qui tient le coup ou le dieu de
l'augmentation salariale)… et qu'il est par ailleurs bouddhique
dans la mort.

En retrait, parmi une
forêt de bambous géants, au tronc gros comme la cuisse du Zébu +
la cuisse de la Zouflette, il y avait quelques tombes creusées dans
la roche de la falaise, dont une avec deux petites voitures que le
Zébu s'est empressé tutut broumbroum de faire rouler jusqu'à ce
que je lui interdise, après avoir soudain réalisé que cela devait
être la tombe d'un enfant auquel on avait symboliquement adjoint ses
jouets fétiches.

  • Très gai Mimi…
    franchement, entre le cesium et la faille sous Tokyo, tu te
    surpasses pour nous faire rêver de ton pays d'accueil!

Une amie de Paris, mère
de 3 enfants, qui a horreur de la mort, surtout celle des enfants
(comme si moi j'aimais cela, pfuit).

Ensuite, grâce à mon
brillant japonais, on a pu laisser la poussette de la Zouflette à la
gentille préposée qui a accepté sans problème, en montrant juste
un voile d'inquiétude… savions-nous que la balade montait et
descendait, et prenait deux heures aller et retour? Cela dit en
jetant un regard dubitatif au Zébu qui, couché sur le sol, jouait
tutut vroumvroum aux petits voitures avec les galets noirs, ronds et
lisses.

  • Mandai arimasen (pas
    de problème)! Lui ai-je lancé d'un ton très assuré car moi, j'y
    tenais à ma balade.

Bon, trois heures en fait
la balade, et encore, sans enfants de 3 ans et de 1 an, nous a
ensuite précisé un gentil papi japonais qui a absolument tenu à
nous faire la conversation dans un très mauvais français auquel
j'ai répondu dans mon très mauvais japonais, alors que nous
montions une pente raide… d'autant plus raide que j'avais dix kilos
de Zouflette sur le ventre. Mais le papi japonais est genki-na
n'est-ce pas (dynamique), j'ai même lu dans le Japan times, l'histoire d'un papi
pécheur de 77 ans qui se désolait d'avoir perdu son emploi suite au
tsunami ayant emporté le bateau de son patron…

Bayonne, Toulouse,
Nantes, Tours, Clermont Ferrand, telles étaient les villes que le
gentil papi avait visitées le mois de juillet dernier, sans que je
sache vraiment ce qui l'avait emmené à visiter ces villes
franchement éloignées les unes des autres, il ne semblait pas
d'agir d'un voyage d'affaires… ce papi là était-il un renégat
ayant pris sa retraite avant 95 ans?!

La balade était très
agréable. Par rapport à celle du kawaguchi-go, les arbres ne nous
étouffaient pas de partout, le chemin était bien tracé, il montait
et descendait raisonnablement, pas en ligne droite comme à
Kawaguchi, les moustiques ne se ruaient pas sur nous et il y avait
même des trouées où on apercevait les collines environnantes et
même la mer!! (penser aux mots mer-collines-arbres-sentier boisé
pour avoir la bonne carte postale en tête).

En tout cas, grâce à ce
papi, le Zébu marchait gaillardement devant (de peur que le papi ne
lui redemande encore son prénom et son âge, et qu'il soit obligé
de lui répondre poliment…) et on a pris un raccourci pour éviter
de monter puis de redescendre à ce plateau où un sanctuaire, celui
du Kazuharagaoka-jinja, nous attendait avec vue sur un parc paysager,
le Genjiyama-koen, sans oublier des tables de pique-nique et des
distributeurs de boissons sucrées.

  • Peux-tu nous
    explique Mimi, la différence entre un sanctuaire et un temple?

  • Et celle entre un
    temple ou sanctuaire bouddhique et un temple ou sanctuaire shinto?

Ma mère et la Parfaite,
en contre-voix.

Eh bien… non. Je ne
peux pas. Je sais juste que devant un lieu shinto, on trouve toujours
un tori, c'est à dire un grand portique en bois, souvent rouge vif,
et que le temple est un lieu plus… complet qu'un sanctuaire. Par
exemple, le Kazuharagaoka-jinja (jinja signifie sanctuaire), était
juste composé d'une source d'eau où se purifier, d'un panneau où
accrocher la tablette en bois avec son voeu inscrit dessus (700
yens), et il n'y avait guère d'autre construction qu'un autel, au
fond, surplombé d'un toit des plus euh simples.

De toute façon, on était
là pour pique-niquer sous les arbres, pas pour faire de
l'architecture religieuse. On a dit au revoir au papi, qui est tombé
littéralement dans les bras de deux types genre garde-forestiers en
train de batifoler avec des râteaux près d'une camionnette, et il a
quand même eu le temps avant de les retrouver, de nous montrer le
fuji-san dont nous avons aperçu le sommet!

  • Whaou! T'as fait une
    photo?

Euh non, A a refusé de
prendre une photo au motif que cela ne rendrait rien, oui mais ça
aurait fait un souvenir (pour une carte postale réussie, penser
collines vertes-calotte ronde mais sans neige-ciel bleu-légère
brume).

Le lieu était divin.
Petit vent frais, repas paisible et bon, avec vue sur le jardin
paysager. On a repris notre marche, avec un Zébu qui ne cessait de
demander « où il était le grand Gouddha »… le
Daibutsu (un bouddha géant) qui était, de fait, le but de notre
randonnée.

Avant d'y parvenir, on a
eu droit à une vue sur la baie, penser mer bleue-voiles
blanches-phare blanc et rouge-collines vertes jusqu'à l'eau, puis
quelque 250 mètres le long d'une route bruyante qui m'est apparue
comme un retour inutilement agressif à la civilisation bruyante et
polluante.

Du coup, est-ce pour
cela? Le Daibutsu m'a laissée relativement de marbre, malgré ses je
ne sais pas combien de mètres de hauteur…

  • 11,4 m pour 122
    tonnes, certes celui de Nara est encore plus imposant… il a été
    construit en 1252 et se trouvait originellement dans un pavillon
    détruit en 1495 par un tsunami…

Un tsunami, à cet
endroit?! Mais on est au moins à 1 km de la mer! On ne la voit même
pas de là!

  • Eh bien, Mimi, au
    moins, en cas de tsunami ici tu sais ce qu'il te reste à faire…
    grimper sur ce bouddha qui a résisté à ce tsunami là et à tant
    d'autres encore…

Ma mère, qui poursuit,
imperturbable.

  • … 656 boucles
    spiralées, chaque oeil mesure 1 m et chaque oreille, 2…

Bref, le bouddha était
peut être imposant mais il était en bronze vert de gris et je
préfère de loin les petites statues en pierre polie par le temps du
Shoochi-ji, sans compter que la foule des visiteurs de toute race et
de tout poil, armée de glaces et d'appareil photos, m'a gâché le
lieu, surtout après ces moments de sérénité sur un sentier boisé
avec des sanctuaires relativement déserts.

Là, ne pas penser à une
carte postale. Ou sinon, si vous y tenez, gros
bouddha-vert-assis-petit autel devant-ciel bleu derrière.

De toute façon, le Zébu
s'est mis à clamer qu'il voulait une glace, on lui en a payé une, à
la vanille, et A s'en est pris une au kabucha (à la courge! Ici elle
a du goût, sucré et marronné bien meilleur qu'en France où je la
trouve fade et sans intérêt), malgré que je ne voulais pas
(fuck-shima, encore), et on a mis le cap sur la plage.

Ah, cette excitation de
sentir la brise de plus en plus iodée au fur et à mesure qu'on
s'est approché de la mer, d'apercevoir les mats des bateaux de
pécheurs (du dimanche, je pense), et puis la voilà, la belle bleue,
avec ses surfeurs, ses voiles et ses quelques nageurs. Et la voilà
la plage, grise (mais douce au pied), jonchée de détritus, de
morceaux de bois, d'algues (radioactives?!), pas du tout bondée,
c'est déjà ça, mais pas franchement accueillante non plus.

Mais bon, pour des
Montreuillois qui ont sué tout l'été dans le béton-acier-verre de
Tokyo, c'est juste extraordinaire! E tout ça à à peine une heure
de trajet depuis chez nous! C-est-y pas merveilleux d'avoir accès à
cela à 50 km d'une mégalopole de plus de 30 millions d'habitants?

  • Ah ce fichu sable
    colle aux pattes…

  • Ra la petite s'en
    est mis partout…

  • Même dans les
    cheveux…

  • Impossible à
    enlever!

  • Ra et puis ce vent,
    j'ai du sable plein les yeux…

Etc, etc. A, peu sensible
aux charmes balnéaires du lieu et obsédé par le sable, gris, doux,
fin mais très collant, c'est vrai, genre riz gluant.

Nous sommes de toute
façon aussitôt repartis chercher notre poussette au temple
Shochi-ji, situé à plusieurs kilomètres de là, arrachant à sa
plage un Zébu hystérique de frustration (et moi de même…),
traversant une petite ville relativement déserte (c'était un jour
férié, je le rappelle), avec des boutiques et des rues piétonnes
comme on en voit à Paimpol, Collioure ou Palavas les flots.

Il flottait dans l'air
une atmosphère maritime, d'été doux et chaud, qui donnait envie de
s'asseoir à une table de café et de boire une biru bien fraîche en
écrivant ses cartes postales (pour une belle carte postale penser :
rues pavées-sans voitures-échoppes à gogoneries-air frais-senteur
de fleurs-bière fraîche).

  • On va prendre un
    taxi, ou on y sera jamais à temps!

A, peu sensible aux
charmes de ces petites rues et obsédé (à raison certes) par la
poussette à récupérer.

On est arrivés ventre à
terre. Le temple était fermé. Mais la gentille préposée à la
voix de fumeuse nous l'avait cachée derrière un arbre et recouverte
d'un plastique en cas de pluie (le ciel était pourtant d'un bleu
d'acier soutenu). Elle nous a même couru après pour nous dire au
revoir et je lui ai crié, de loin, car le train était sur le point
de passer, des excuses et des justifications embrouillées pour notre
retard et notre départ comme des voleurs de tabernacle et de bâtons
d'encens…

Sur le quai, on s'est dit
l'on reviendrait, peut-être même pour y passer une nuit afin de
profiter de la plage plus longtemps, visiter la presqu'île et
baguenauder dans les rues à l'heure de l'apéro.

Et c'est déjà le nez
dans mon Lonely planet que je suis remontée dans ce train qui
devait nous ramener parmi nos 30 millions de congénères, avec leurs
voitures, leurs vélos et leurs foules compactes.

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