Shûbun no hi (Equinoxe
d'automne) est une des nombreuses matsuri japonaises et elle
avait lieu ce vendredi, le 23 septembre, qui était donc férié
(sauf pour les magasins, les métros, les trains, les restaurants,
etc etc).
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Ma souris quoi?
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Elle a pas dit « ma
souris » mais matou rit! -
Mais non enfin,
papa, écoute donc un peu, elle a dit masoupeauriz! -
… sans doute
encore un plat local irradié comme il se doit… -
C'est ce fichu skype
aussi, on entend rien! -
Monte le son de ton
sonotone papi!! -
Et elle articule pas
bien votre fille en plus! -
Soldat lève-toi
soldat lève-toi bien viiiiiite! -
La France, tu
l'aimes ou tu la quittes!
On se calme, chers tous,
on se calme. Sachez que matsuri signifie fête, et plus
exactement fêtes religieuses. Et je peux vous dire qu'au pays des
congés payés comme on s'arracherait son coeur de patron, des
matsuri, il y en a étonnamment un paquet. Le Japon serait le
pays à en avoir le plus au monde…
-
Ah bon? Toujours pas
de billet sur l'école de ton fils?
La copine instit de
Montreuil, déçue, avec sa pancarte à la main « Public, privé
solidarité! tous en grève contre l'usine aux écoliers! »
J'ai essayé pour vous
instruire de trouver des informations plus détaillées sur internet
et je dois dire que j'ai fait chou blanc (mangé ici en masse râpé
avec du shoyu). Curieusement, ma recherche approfondie (5 minutes 20)
ne m'a pas permis de pomper ça et là les éléments qui auraient
enrichi la circonvolution culturelle de votre cerveau.
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Et les livres dans
les bibliothèques, c'est fait pour les chiens peut être?!
Non maman, ça n'est pas
fait pour eux mais euh, à l'heure où j'écris, je suis loin, très
loin d'une bibliothèque alors je fais avec ce que j'ai.
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Qu'importe Mimi,
raconte nous! Je suis sûre que les femmes étaient parquées dans
un coin tandis que les hommes participaient gaiement aux rituels!
Merci tante Babe, je
continue donc.
Je vais donc me contenter
de décrire ce à quoi j'ai assisté, sans que je ne comprenne rien à
rien mais après tout, Nicolas Bouvier, le Pape des écrivains
voyageurs, ne dit-il pas qu'il faut accepter de se perdre dans le
voyage pour en tirer quelque chose?
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Tu confonds perte
des repères habituels avec ignorance crasse Mimi…
Un ami, gardien du
tombeau du Verbe bouvierien, qui voyage beaucoup en Asie du sud-est
(dans sa tête).
Sachez donc qu'au moins
une fois par mois, il y a une fête, religieuse ou nationale. Ce
vendredi 23 était donc la fête de l'Equinoxe et de l'entrée dans
l'automne. L'automne est ici fêté car il y a les premières
récoltes de riz, ingrédient fondamental pour l'estomac du Japonais
et donc son âme, et puis l'automne est généralement très beau, du
soleil, du ciel bleu et des températures bien plus confortables que
celles de l'été, globalement étouffantes, que l'on est tous bien
contents de quitter.
Et puis si au printemps
les Japonais se rendent en grappe, famille, amis ou collègues,
pratiquer le o-hanami (regarder les fleurs), notamment lors du
sakura-mankai (floraison des cerisiers), à l'automne, ils se
rendent également en rangs serrés admirer ce qu'ils appellent le
kôjô, à savoir le rougeoiement des feuilles des arbres qui
donne lieu au momiji-gari (la chasse aux feuilles rougies).
Bref, si l'automne chez
nous, en général, signifie commencement de la fin, avec ciel gris,
pluie et froid, au Japon, l'arrivée de cette saison donne lieu à
une fête, religieuse qui plus est.
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C'est très
intéressant tout ça Mimi-san, mais concrètement, tu as fait quoi?
Je me suis juste trouvé
dans la rue avec mon Zébulon, et sa trottinette, alors que nous nous
rendions au parc, prêts à passer une fois encore à côté d'une
manifestation culturelle de notre pays d'accueil. Sauf que nous nous
sommes retrouvés en plein sur le passage de
l'o-mikoshi, sorte de temple-chaise à porteur-autel
très décoré, que des hommes et des femmes (moins nombreuses
certes) portaient en dansant et en scandant une sorte de mélopée
très rythmée. Ils étaient vêtues tous du même yukata
(kimono en coton) et ils transpiraient à grosses gouttes, un peu
comme on court le marathon ou sur un tapis qui bouge tout seul dans
sa salle de fitness.
Les badauds tapaient en
rythme dans leurs mains, et moi, non, car je photographiais d'une
main, comme une maniaque de Tour operator tout en retenant de l'autre
main le Zébu qui voulait faire de la trottinette sur le yamate dori.
Sachez que ça n'avait
pas l'air très facile à porter ce machin, surtout en sautant sur
place et en scandant des phrases en boucle.
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Et ils disaient
quoi? -
C'était un mantra?
-
Une incantation à
la déesse Amaterasu? -
Une ode à
l'Empereur?
Eh bien, je n'ai pas
encore atteint ce niveau de japonais qui me permettrait de vous
traduire ce qu'ils scandaient, désolée, et internet ne m'a pas…
-
Ok, ça tu nous l'as
déjà dit! Et après, c'est tout?
Eh bien déjà, des
hommes et des femmes portant l'o-mikoshi, c'était à tous les
coins de rue et temples (enfin presque), seul le yukata
variait de par sa couleur et son motif, un peu comme une équipe de
football. Le matin, à 10h00, c'était la procession des enfants,
avec un o-mikoshi adapté à leur taille… enfin je suppose
car le matin, j'étais en train de passer mon test de niveau en
japonais et Zébulon regardait Les aristochats.
Une fois la parade
terminée (elle se balade un peu dans les rues mais fait aussi pas
mal de surplace, ce qui gêne moins la circulation hein n'est-ce
pas), les porteurs reposent leur machin sur des tréteaux et tous,
hommes et femmes, boivent une cannette de bière en s'épongeant le
front tout en se congratulant mutuellement. Comme quoi, tu vois Tante
Babe, non seulement les femmes ne sont pas cloîtrées mais elles
boivent aussi une petite bière fraîche après l'effort…
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Ouais ouais mais sur
la photo, j'en vois deux pour 48 hommes…
C'est pas faux.
-
La photo? Quelle
photo Mimi? Je la vois pas!!!
La photo mentale que
tante Babe a dans la tête car tante Babe a beaucoup d'imagination,
certes pas toujours très objective mais bon. Et puis promis, dès
que j'aurais compris comment ça marche, je vous mettrai des photos
en ligne.
Ensuite, avec mon Zébu,
on a entrepris de monter au temple, sur la petite butte qui surplombe
le boulevard, et qui est tellement entouré d'arbres hauts et touffus
qu'on ne le voit même pas. Entrepris car les allées étaient
envahies d'étals en tout genre car une masturi c'est avant
tout une occasion, une de plus, où manger et s'amuser.
On pouvait acheter des
poissons rouges (plein de gamins avec des petits sacs plastiques
remplis d'eau et de poissons), des tortues d'eau, toutes petites, des
yakitoris (brochettes de viande), de la barbe à papa, du
poulpe braisé et enfoncé sur une pique, des bananes recouvertes de
chocolat et de paillettes de toutes les couleurs… et des tas
d'autres choses encore, à manger, surtout, sans oublier les
boissons, bière et autres, thé froid, chaud, et puis les stands à
fléchette (lots à gagner), les pêches à la ligne et les soupes au
miso chaud. Et puis…
-
Bon mais ça avait
quoi de religieux cette fête dis? On dirait la foire du trône ton
machin?!
Une amie qui hésite
encore à se faire bonne soeur ou bonzesse à moins qu'elle ne se
fasse brahmane tiens.
Eh bien, en haut, sur le
parvis du temple, il y avait à nouveau un porter de o-mikoshi...
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Encore!
Oui et des hommes qui
jouaient de la musique, flûte, tambour et euh autre chose, je ne
sais plus bien.
Dans le temple lui-même,
il y avait des gens assis, des vieux essentiellement, tous en yukata,
et de temps en temps, l'un d'eux se levait et se dirigeait vers le
fond de la salle où officiait un homme habillé d'un kimono genre
robe de prêtre avec un turban sur la tête à la sikh.
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C'est d'un précis…
tu devrais faire de l'anthropologie Mimi-san!
Une amie, diplômée en
ethnologie des tribus d'Afrique sub-saharienne, et qui est devenue
responsable marketing chez Yabonbanania.
Désolée mais c'est vrai
que je manquais cruellement d'un autochtone qui m'aurait expliqué
dans le détail le pourquoi du comment et d'un autre, autochtone ou
pas, qui aurait surveillé le Zébulon qui du haut de son 1mètre et
des poussières, ne cessait de disparaître à ma vue dans cette
forêt de jambes.
De toute façon, moi je
dis, ce qui comptait c'était la komochi (l'ambiance). Et elle était
sensas!
On a fini avec mon Zébu
à une table dans la rue, à manger de la barbe à papa (lui), tout
en sifflant (lui encore) de temps à autre dans le sifflet que tous
les parents avaient acheté à leurs enfants, un oiseau en plastique
surmonté d'une tête de mickey, rempli d'eau et avec des lumières
comme une piste d'atterrissage. Moi je mangeais des yakitoris, qu'un
cuistot m'avait vendues en me parlant avec une nostalgie brillante
au fond des yeux de la Normandie et de son calvados. Il
a failli s'étrangler de rire quand je lui ai dit, ah oui
Calvados, saké, onaji (pareil)….
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Ce qui était en
effet à se taper les cuisses des deux mains Mimi!
Tante Babe, qui n'a pas
le sens de l'humour, du moins nippon.
En une charmante
intention, mon voisin japonais, genre ex étudiant en socio devenu
salaryman à la JR Line, m'a chanté la Marseillaise, en battant le
rythme d'un air martial…
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La France, tu
l'aimes ou tu la quittes!
Eh bien, cher Charlie
Tango, je lui ai juste fait remarquer que ce chant étant trop
guerrier, avec son sang dégoutant dans ses sillons, que j'aimais
autant ne pas l'entendre et alors il a entonné l'hymne de l'UMP,
Sarkozy c'est notre ami, Sarkozy c'est notre patrie, Carla, c'est
notre mamma qui
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Non?!
La copine nipponophile
qui en laisse tomber la nori qu'elle a mis tout ce billet à rouler.
Non. Il m'a juste chatonné le début de l'hymne japonais, qui parle de l'Empereur et de sa santé et de son bien être, et etc. On a
un peu devisé en franglaisnais, puis nous sommes rentrés à la maison avec le Zébu car le
père et la fille nous y attendaient, en mangeant de la compote et
des petits Lus, toutes choses introuvables dans une matsuri.
Et le Zébulon s'est fait
confisquer son sifflet car ok l'automne est une chouette saison, ok,
il faut en fêter l'arrivée mais y en a marre que tu nous siffles
dans els oreilles alors tu arrêtes immédiatement ou je te le
confisque ah donc je te le confisque ouin ouin pan paf poum ouin.
Vive le shûbun no hi!