Youchien Matsumura

Bon, aujourd'hui, je vais
vous présenter le youchien (jardin d'enfants) du Zébulon.

  • Ah ben quand même!
    Et on peut savoir ce qui t'a décidé?

Ma voisine instit de
Montreuil avec sa pancarte de gréviste, "Public-privé, tous unis
dans la pauvreté!".

Eh bien, tout simplement
parce que je suis enfermée depuis près d'une semaine à la maison
avec deux enfants malades et que ma vie tourne entre doliprane,
dessins animés et purée de légumes. Je ne suis pas loin de devenir
malade moi-même, mais du ciboulot, surtout que le soleil brille
dehors où je ne mets le nez que pour aller visiter le bon docteur
Kawashima, 77 ans, dont la femme, 75 ans, tient le standard parmi des
meubles datant de l'ère Meiji. Il me prescrit à chaque fois, telle
une fée de conte Disney, des poudres de perlipinpin et des cachets
contenus dans un petit sachet en papier marqué du nom de l'enfant
malade que sa femme me remet ensuite avec dévotion et la note
curieusement peu salée, c'est au moins ça de positif dans cette histoire de maladies qui menace ma santé mentale et ma carrière qui…

– J'espère Mimi que tu profites de tout ce tempslibre (=loin du bureau) pour avancer dans tes écrits…

Une amie perverse? inconsciente? jalouse donc cruelle?!

eh bien parlons en de mes écrits… J'ai un retard d'au moins
dix mois sur mon planning écriture et je pense que je deviendrai
écrivain post-mortem, je ne parle même pas de la reconnaissance de
l'oeuvre mais de sa pure et simple constitution. En gros, j'écrirai
dans ma tombe ou…

  • Ok, ok, mais ce
    youchien alors? C'est bientôt les vacances de la Toussaint
    et on ne sait toujours rien! Raconte Mimi-san!

Une amie, mère de quatre
enfants et vendeuse de chrysanthèmes, avec skype dans sa boutique.

Ne me parlez pas de
vacances de la Toussaint… ce youchien est une plaie. Les horaires
sont tout sauf japonais, à croire qu'on ménage le futur salary man
qui dormira plus tard sous son bureau ou dans le métro… C'est du
9h00-14h00 tous les jours sauf le mercredi où c'est 9h00-11h30, sauf
s'il y a un anniversaire à fêter, enfants, aïeux ou directrice,
auquel cas c'est 13h00, sauf s'il y a une sortie, avec les parents
(comprenez mères ici), sauf si c'est avant les vacances de Noël (3
semaines les vacances de ces feignasses) auquel cas la semaine
d'avant c'est 9h00-11h30, sans compter que…

  • Oui mais Mimi, c'est
    comment un jardin d'enfants japonais? C'est zen? Des enfants sages
    comme des cailloux, peignés comme des allées?!

Une amie qui depuis que
je suis partie vivre au Japon, peigne ses allées en traits réguliers
et dispose des petits cailloux noirs ça et là, souffletant ses
enfants avec une ardeur pas zen dès qu'ils désordonnent tout ce bel
ordre.

Eh bien, malgré ces
horaires laxistes qui plombent la créativité littéraire des mères
(françaises), on tient malgré tout à faire comme si c'était très
très important d'aller au kindergarten parce qu'on y fait des
choses très très importantes.

Les enfants doivent par
exemple porter un uniforme, un d'été, un d'hiver, et dans leur sac
de classe, tout est à la japonaise, très réglementé.

  • Mimi-san, je sens
    que vous commencez à faire du mauvais esprit sur votre pays
    d'accueil… et ça n'est pas kirei kirei (joli joli)…

Une Tokyoite qui lit par
dessus mon épaule et dont le regard couleur thé se voile d'un doux
reproche muet. Mais il faut dire aussi qu'elle, elle n'écrit pas,
elle a rendu son tablier de femme active quand son 1,2 enfant est né,
et depuis, elle coud des étiquettes au nom de son 1,2 enfant sur sa
veste d'uniforme en blablatant avec ses copines de cour de récré,
et la vie est bêêêlle.

  • Alors cet uniforme
    justement? Il est comment?!

Ok, ok, alors
l'uniforme… En sa version été, une chemise bleu clair, façon
haut de pyjama, avec un badge où le Zébulon a son nom écrit en
katakana, comme le participant à une conférence internationale très
très sérieuse, avec aussi un pins de l'école épinglé sur le col,
un canotier blanc, un petit sac bleu façon Adidas pour métrosexuel,
un autre sac en tissu de dimensions strictement arrêtées où mettre
son cahier à dessin qu'il apporte chaque lundi avec ses pastels et
rapporte à la maison chaque vendredi avec sa smog, cette
blouse-tablier à manches qu'il enfile sitôt le portail de l'école
franchi avec la casquette rouge remplaçant le canotier blanc.

Il y a aussi la lunch box
ou bento, réglementaire, en métal et pas très grande, que
la sensei (prof) ne daigne réchauffer qu'entre décembre et
mars, ce qui fait que les enfants mangent froid le reste du temps,
comme ils jouent pieds nus dans la cour, été comme hiver, les
chaussettes étant interdites, ainsi que le pantalon long, sinon
l'Empereur en personne vient les enlever (ou alors le petit vieux, 98
ans, qui squatte le bureau de la directrice en lisant un recueil en
japonais dont il soulgne certains passages d'un air très concentré).

  • Culottes courtes été
    comme hiver, même par temps de neige et glace, pas de chaussettes
    en laine (c'est bon pour les tarlouzes) mais des pieds nus sur le
    sol nu! Rien de tel pour former corps et esprits!

Un cousin, issu de
lointain et devenu adulte, éleveur de chèvres dans les Causses par
réaction à son éducation chez les pères en culottes courtes (sous
la bure).

Et tout est comme ça,
taille, couleur et genre, tout est identique et réciproquement.

  • Ceci dit, Mimi, tu
    te rappelles les rentrées au Lycée Gugusse Dindin hein? Les
    crayons comme ça, les cahiers de telle taille, etc etc…

Une amie qui ne veut
surtout pas faire du révisionnisme ou de l'ethnocentrisme.

Certes mais bon, il y
avait une relative latitude, et puis, on était en sixième,
cinquième, quatrième… on n'avait pas 3 ans et demi!

Ceci dit, je me dois de
dire que l'uniforme est enlevé sitôt la porte passé, et remis que
lorsque les enfants resortent retrouver leurs mères (sinon en
sortie, pique nique par exemple, comme une sorte de publicité
mouvante pour l'école?). La plupart du temps, ils sont en
blouse-tablier, la smog, et ils passent l'essentiel de leur
matinée à jouer dans la cour avec leurs sensei… qui ne
semblent pas les dernières à manier le râteau du bac à sable ou à
grimper sur les cages à poules.

Dans la cour de récré
en terre battue, il y a un bassin à poissons rouges recouvert d'un
fin filet et des plantes vertes alentour. Ana Freud, mi-figue
mi-raisin, m'a demandé si par hasard quelque chose dans cette cour
de récré me choquait. J'ai réfléchi très intensément car comme
j'ai la cervelle encombrée par des couches sales, des nez qui
coulent et des nuits de train de nuit, j'ai la comprenette plutôt
abîmée.

Mais non, mis à part
l'uniforme et les horaires à la gomme, rien ne me choque.

  • Je te dis ça parce
    que l'année dernière, les deux autres mères françaises étaient
    effarées par le manque de sécurité… entre les jeux un peu
    dangereux, et ce bassin où se noyer possiblement, elles étaient…
    scandalisées!

  • Ah…

  • Mais comme toi, je
    fais confiance, il n'y a jamais eu de problème! Il faut arrêter de
    se prendre la tête!

J'avoue que je me suis
sentie très relax ou très laxiste, au choix, en entendant ça car
moi la grande angoissée, par une seule seconde cette angoisse là ne
m'avait ne serait-ce qu'effleuree.

De toute façon, ici, au
moindre plus léger signe de danger, il y a toujours un adulte pour
intervenir toutes affaires cessantes, alors je ne vois pas comment un
mioche pourrait tomber parmi les poissons rouges et bénéficier des
quelques minutes nécessaires pour y succomber.

  • Mais Mimi, s'ils
    veulent que les enfants restent pieds nus, c'est pour ça!
    C'est pour pouvoir avoir une chance de s'en sortir s'ils tombent à
    l'eau!!! Mimi, tu es inconsciente! Tu ne mérites même pas
    cette chance d'avoir eu des enfants à la pré-ménopause!

Tante Dolorès qui même
à 10 000 km réussit à me faire stresser sur des choses (a priori)
non stressantes.

Sinon, régulièrement,
quand je vais chercher le Zébu, Sumiko sensei se précipite
vers moi avec son énergie d'épagneul à la voix grave et elle me
fait une longue tirade… que je ne comprends pas. Et au lieu de
pédagogiquement me répéter la phrase plus lentement en isolant les
mots clé, elle alpague tout aussitôt, avant même que j'ai eu le
temps de réfléchir et essayer de comprendre, une mère de famille
parlant anglais qui du coup me traduit sa requête (ben oui mais moi
je progresse comment en japonais hein?).

Ne pas mettre de fruits
avec la lunch box.

Apporter un petit pot de
colle de cette taille là, pas plus, pas moins, ni trop solide ni
trop liquide, avec une boîte de mouchoir transformée, comme ça, 20
cm sur 12,8, en boîte de rangement (enfin, à ce que j'ai compris)

Ou bien ne pas oublier de
retirer les papiers glissés dans le carnet de présence du Zébulon
pour les lire et parfois signer en bas à droite ou remplir trois
pages bourrées de kanjis imbitables.

Et moi, à chaque fois,
je demande d'un air encourageant.

  • kyô daijobu
    deshita ka
    ? (aujourd'hui, ça a été?)

Et elle me répond.

  • Hai hai! (oui
    oui!)

En agitant frénétiquement
la tête d'un air très enthousiaste, et je n'en sais pas plus.

Quand je demande au Zébu
ce qu'il a fait, c'est un peu… déroutant.

  • On est sortis dehors
    et on a couru dans la rue…

Bizarre.

  • On a fait de la
    musique en se tapant sur le corps…

Très bizarre.

  • Au déjeuner, on
    fait comme ça…

Le Zébu joint les mains
et se met à marmonner en fermant les yeux.

  • C'est pour pas
    manger tout de suite, il faut attendre sinon c'est très très
    grave!

Très très bizarre.

Renseignements pris, tous
les matins, les enfants sortent et font le tour du pâté de maison
en courant. On appelle ça le marathon. Tous les matins, ils font de
la musique, ils chantent, accompagnée par une sensei au piano
et effectivement, ils tambourinent sur leur torse. Et tous les jours,
avant de manger leur bento, une sensei dit une prière pour
remercier sans doute qu'ils aient tous à manger et ça amuse
beaucoup le Zébu (tant mieux).

Ensuite, les petits
ouvrent leur bento et là c'est juste la honte, le Zébu a du
maïs sec mélangé à du riz pâteux avec des morceaux de tofu pâle
jetés pèle mêle dessus et deux kiris en cerise sur la bento
tandis que ses petits camarades ont des jolis sushis ou makis,
délicatement roulés dans leur feuille d'algue, du riz idéalement
cuit avec parfois des yeux et une bouche dessinés, des légumes
colorés pour égayer le tout…

  • C'est très bien
    tout ça mais ton fils apprend-il seulement à parler un peu
    japonais? Et à lire quelques lettres de cette langue? En France, à
    cet âge, ils en sont déjà à écrire leur nom et compter jusqu'à
    cent pour pouvoir aider leurs parents à remplir leur feuille
    d'impôts…

Déjà Maman ce ne sont
pas des lettres puisqu'il s'agit de syllabaires ici… et
ensuite, non, à cet âge, même en France, pays des diplômes
(inutiles) et des prépas (à la con), ils font encore du dessin en
jouant au sable dans la cour de récré! Sans compter qu'ils mangent
ensuite comme des porcs sans remercier ni dieu ni diable et pour la
musique, c'est un cd pourri et pas un piano et un torse qui fait boum
boum!

Non mais.

Ceci dit, on nous avait
tellement dit et répété que le Zébu nous transformerait en
analphabètes par une pratique quasi immédiate de la langue du coin
qu'on est un peu déçus de voir qu'il est aussi paumé que nous
question communication… D'ailleurs, je culpabilise un peu car moi
je peux toujours me débrouiller en anglais avec les mères qui le
parlent plutôt bien dans cette école quand lui il est comme un
petit sourd muet lâché dans une jungle de petits bonshommes en bleu
pas toujours tendres avec lui qui, en plus, ne fait pas dans la
diplomatie ni la délicatesse.

Quand il veut jouer avec
un enfant, qui lui ne veut pas, il lui jette du sable dans les yeux
et aussitôt la Mère surgit avant même que je n'ai eu le temps de
battre mon fils à coups de pied sur le sol de terre de la cour.

  • Non?!

Non, je plaisante mais
c'est vrai qu'elles me stressent, les mères japonaises. Et mon fils
aussi.

  • Pour demander à un
    enfant s'il veut jouer avec toi, tu dois dire illete… s'il
    veut bien, il te répondra quelque chose du genre hai ou
    ohayo… s'il ne veut pas, c'est damé, qui veut dire
    nul, pas bien, non quoi… ou daméte

Ana Freud lui a donné
quelques rudiments de langage de base pour affronter la jungle de la
cour de récré, que je complète avec abunai (danger) et
sumimasen (pardon).

Mais le Zébu préfère
ou jouer tout seul ou taper et jeter du sable dans les yeux et dire après, car il faut toujours donner une raison à ses agissements, que c'est parce qu'il voulait s'amuser avec le petit garçon, ou la petite fille.

  • Ah ça va lui
    passer, il est encore si petit…

Oui mais moi je fais
comment pour m'intégrer parmi mes pairs japonaises hein? Car comme
Ana Freud le dit justement, on est vite jugés par le biais de notre
enfant et en cela, on lui en demande beaucoup car on veut être
appréciées et intégrées, bordel. L'année dernière, il y avait
une Hollandaise, Astrid, dont la fille ne se liait avec personne et
restait collée aux jupes de Sumiko sensei, eh bien, Astrid ne
s'est jamais intégrée malgré qu'elle soit sociable et
sympathique (je confirme, je l'ai rencontrée).

Voilà qui me donne des
sueurs froides et je sens déjà le néant social m'enserrer ce torse
où si j'étais plus jeune, je ferai boum boum dessus puisque la
musique adoucit les mœurs.

  • Ah je te l'avais
    dit! L'expatriation c'est l'exil… de luxe mais l'exil quand même!
    Tu vas rester collée à ton Ana Freud et tu auras beau te la péter
    à Noël, à ton retour en France, comme quoi tu apprends « tant
    de choses » au contact de cet exotisme, tu ne tromperas
    personne! Tu vis confinée dans ton petit milieu d'expat et le Japon
    est pour vous juste un joli décor en arrière fond…

Francine de France, une
amie de Montreuil réticente à l'idée de franchir toute frontière
même la belge pour aller vivre ailleurs et qui considère que toute
personne qui le fait est condamnée ou à vivre entre siens,
ethniquement identiques, en méprisant l'autochtone ça va de soi, ou
à devenir fou de solitude.

En tout cas, enfermement
ethnique ou folie folle, ce kindergarten est plutôt sympathique. Pas
mal de couples mixtes, des japonaises mariées à des Américains,
une Taiwanaise, Cindy, adorable, mariée à un diplomates suisse,
Alex, adorable lui aussi, une Japonaise débarquant de Hawai avec son
mari, Américain d'origine japonaise, ce qui fait qu'ils sont comme
moi, des gens pas d'ici… En tout cas, néant social ou pas, ca
n'est pas le Japon de Tanaka-san, 82 ans, qui crache sur les
étrangers dans les allées du supermarché en marmonnant dans son
masque blanc des yankees, yankees… haineux (du vécu et du
vrai).

  • La France, tu
    l'aimes ou tu la quittes!

Charlie tango,
brusquement réveillé devant sa cb-skype.

Sur ce, je vous laisse,
il est déjà l'heure d'aller chercher le Zébu puisqu'aujourd'hui,
n'est-ce pas, c'est 12h20 la sortie car il faut préparer la kermesse
du dimanche qui est aussi à peu près aussi fondamentale pour
Matsumura que, par exemple, le sacre de l'Empereur ou le mariage de son fiston pour le Japon.

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