Portraits de l’expat en pied (II) 2

Bon la semaine dernière,
je vous présentais les expats post-colonisation, tendance
libéraux-sarko et redede pour les plus mal embouchés d'entre eux.

J'ai, depuis, reçu un
abondant courrier (3 mails) de protestations véhémentes comme quoi
ils aimaient tout autant que moi le Japon (euh aimé-je vraiment le
Japon?). Sybille de la Noix de Coco Chanel m'explique ainsi sur 3
pages que ce qu'elle aime dans le Japon c'est son côté raffiné
dans le moindre détail, la cuillère à thé parfaitement parallèle
à la tasse de o-cha vert dont le clair émeraude se diffuse au
travers ce petit trèfle à quatre feuille soigneusement ajouré dans
l'exquise porcelaine de la tasse aux rebords si fins qu'on pourrait
croire qu'ils n'existent pas, et aussi que etc etc.

La vérité c'est que ce
que le Japon aimé par Sybille de la Noix de Coco Chanel est un Japon
antique donc révou et largement fantasmé.

  • Mais pas du tout! Je
    prends le métro, comme tout le monde! Je parle aux vrais
    gens de ma résidence High Luxury Manshion! Je fais mes courses dans
    les discount suupaa comme vous, madame!

Certes, et puis qui a dit
que le Japon à aimer était le Japon du réel, ses salary men
allongés dans leur vomi de minuit, ses centrales rejetant leur eau
« légèrement irradiée » dans les flots gris de l'Océan
plein de poissons moribonds, ses yakusas et ses filles de 32 ans à
col marin sans culotte sous leur mini jupe?

  • Ah bon? Ou ça?!

Un obsédé sexuel
quelconque, s'incrustant dans mon courrier des lecteurs.

Et puis le mari d'Axelle
aussi m'a envoyé un mail comme quoi sa prime annuelle avait été
divisée par 3 en raison du mal être quasi existentiel des bourses
mondiales et qu'ils allaient devoir cette année renoncer à aller au
Vietnam pour Noël dans leur hôtel 3 étoiles et demi avec piscine
(mais tout juste chauffée), quand moi, j'allais rentrer grassement à
Noël chez les miens me prendre la tête avec la grande Simone et ses
soeurs, tout en essayant de mettre en location un bien que je n'avais
certainement pas acquis à la sueur de ma plume.

Certes.

Je m'apprête donc ce
matin avec mon tic tac de fille rangé derrière la cloison à vous
décrire d'autres portraits d'expat en pied.

Il y a de ce que
j'appelle l'Expat en fuite, celui qui dès qu'il aperçoit un
compatriote s'enfuit en courant. Dans sa phase première, comme le
décrit Florent Chavouet dans sa chouette BD, Tokyo Sanpo, un
de ses premiers symptômes est «qu'il marche vite pour montrer qu'il
sait où il va».

Il n'est pas un touriste,
ah ça non, il vit ici, il fait partie de ce pays et n'est
certainement pas le genre à aller en visiter tous les hauts lieux
touristiques, se faire refiler des chaussettes à 5 doigts de pied ou
des services à thé de l'époque Edo made in China. Il connait
toujours bien plus de trucs que vous sur ce pays et se fera un
plaisir à corriger vos fautes de japonais ou de connaissances
anthropologiques des autochtones, us et coutumes.

Le plus souvent, il vous
jaugera, mi-amusé, mi-méprisant. Et si malgré lui, il est bien
obligé de vous trouver sympathique, il lâchera d'un air mi-sidéré
mi-emmerdé un « C'est bien la première fois en 20 ans de
Japon, que je sympathise avec des vrais Français… » car
Français, il ne l'est plus véritablement quand il a atteint un
stade plus avancé, celui de l'Exapt tatamisé.

  • Mon Dieu, Mimi, on
    dirait une maladie… Tu en as croisé beaucoup de ce style?

Euh non aucun. J'ai juste
ouïe dire et collecté des informations… car rendu à ce stade là,
celui du tatamisé, je n'en ai pas véritablement rencontré encore
en chair et en os.

Le Tatamisé est de deux
sortes. Ou il l'est superficiellement avec juste les signes
extérieurs de tatamisation et là, je gage que ce type d'habitus
s'exprimerait identiquement en France avec d'autres attributs
(parisanisation par exemple), auquel cas, de retour en son pays après
plusieurs années passées au Japon, il ne devrait pas avoir trop de
mal à regagner sa niche socio-culturelle, adoptant une autre forme
de -isation.

Là où ça se corse
c'est pour le tatamisé en profondeur. Celui qui pense avoir coupé
tous les ponts avec son pays natal et s'être intégré à son pays
d'expatriation, et même pire encore, avoir été adopté par son
pays qu'il appelle d'adoption, le Japon.

Qui en général n'adopte
personne ou presque.

  • Non?!

Si.

Ainsi, la grande Simone a
une copine de classe d'âge, Marcelle, qui était prof de maths au
lycée français de Tokyo. Elle avait épousé un Japonais, et avait
reçu en héritage sa belle-mère à demeure. A la fin de la vie de
belle-maman, seule Marcelle lui parlait encore, et en japonais qui
plus est, les deux enfants, ados, étant trop occupée à s'engueuler
en français, le mari étant trop débordé par son emploi de cadre
pour parler à sa mère en hiragana et kanjis, et pour autant, les
Japonais de leur entourage avaient à coeur de toujours affecter de
ne pas comprendre ce que leur disait Marcelle qui pourtant parlait un
japonais impeccable (bon peut-être avec ce petit accent à la Jane
Birkin mais qui a du mal à comprendre la Jane en France hein?).

Née blanche et
française, venue habiter dans le pays de son mari très jeune, au
point d'y faire toute sa vie, elle demeurait néanmoins
indécrottablement une gaijin, appréciée certes, mais une
gaijin.

  • Mais Mimi-san,
    c'était au siècle dernier ça! Maintenant nous sommes ouverts à
    l'Etranger! Sauf dans les campagnes profondes, comme chez vous
    d'ailleurs… où celui qui vient de la Capitale demeurera à vie un
    étranger pour le Marseillais de souche ou le Bélifontin de souche
    de même, ou…

Proteste
Kaotenshi (gardienne de face), à semi-raison car les choses n'ont
pas tant changé que ça, en profondeur du moins. J'ai lu il y a peu
un article dans le Japan times, écrit par un Américain
naturalisé japonais depuis 10 ans que non seulement l'étranger,
dans sa phase non naturalisé, avait moins de droit juridique ou
autres que les autochtones, ce qui était jugé critiquable mais
inévitable par la plupart des gens (life is unfair né?) mais que
même ensuite, naturalisé, il demeurait cet autre dont il convient
de se méfier, surtout s'il parle parfaitement votre langue et
connait vos maladies culturellement non transmissibles.

Quoiqu'il en soit,
l'étranger tatamisé, en toute honnêté, s'il reste cet autre à
vie au Japon, aura par ailleurs d'énormes difficultés, voire une
incapacité totale à regagner ses pénates d'origine où il sera de
toute façon également considéré comme « autre ».

  • Mon Dieu Mimi, il
    n'a donc plus qu'à se harakiriter né?!

Euh non, car comme le
faisait remarquer Frédéric Charles (cf billet en question), qui a
dit qu'il fallait être totalement intégré pour être heureux? Pour
sa part, lui, appréciait ce côté ni d'ici ni de là bas, cette non
appartenance qui lui donnait une sorte de liberté par rapport au
Système, à tous les Systèmes…

  • Et toi Mimi, où te
    ranges-tu?

Me demande Aveline dont
le père de ses filles demeure résolument bigame bien que Français
de souche authentifié.

Eh bien, je me rangerais
dans cette sorte d'expat curieux-empéché-besogneux.

  • Euh c'est à dire?

Aveline, perplexe.

Eh bien c'est à dire que
je suis arrivée au Japon bien décidée à ne pas être de cette
sorte d'expat, post-colonisation ou Redede (quoique Redede j'en
aurais bien été incapable car le bleu marine me donne un teint
blasphématoire et puis de toute façon j'ai toujours été recalée
aux rallies et réunions de tupperware…).

Je comptais bien
m'intégrer un minimum dans la société japonaise en en parlant la
langue, au moins assez bien, en me faisant des amies japonaises, en
gagnant un argent japonais, en mangeant japonais, en… etc etc.

Au final, j'apprends la
langue mais ne la parle toujours pas, je rencontre des Japonaises
mais, déjà, ce ne sont pas des vraies, des Dupont-san locales, car
elles parlent anglais, ont vécu à l'étranger, voire sont mariées
avec un gaijin avec qui elles parlent anglais et avec qui
elles peuvent à tout instant repartir vivre en Occident, et puis, de
toute façon, ce serait largement outré de les considérer comme des
amies.

De fait, ma seule
véritable amie ici c'est Ana Freud et elle est Française.

  • Ahaha qu'est-ce que
    je disais! On n'échappe pas à son ghetto!

Jubile déjà Francine de
France.

Quant à la cuisine
japonaise, outre que je n'ai toujours pas appris à rouler mes
boulettes de riz pour en faire des onigiri, le côté
Fuck-shima que revêt toute chose comestible a largement parasité
nos découvertes gastronomiques et notre intégration par l'estomac.

Sans compter que le
Zébulon, devenu un adepte du natto, ces haricots de soja
fermentés que même certains Japonais profonds, n'arrivent pas à
apprécier, s'est vu privé de ce met à son yoochien de mes couilles
absentes au prétexte « que ce n'était pas une nourriture pour
enfants » et que cela dégoûtait ses petits camarades (aspect
et odeur).

Outre que le petit en a
été frustré, nous avons été, nous, dûment vexés après avoir
été rudement fiers de voir notre petit difficile de fils adopter
une nourriture si japonaisement typique et si peu ragoûtante pour un
enfant normal.

  • Le camembert, tu le
    manges ou tu la fermes!

Charlie Tango,
brutalement réveillé par sa CB.

  • Bon mais Mimi, tu
    n'es là que depuis six mois! Il faut au moins un an pour trouver un
    tant soit peu son début de place…

Me rassure Ilona Bidougen, mon pilier breton.

Certes.

De son côté, Ana Freud
et Pierre Curie, autres expats ni tatamisés ni
redede-sarko-libéraux, présents depuis plus d'un an au Japon, me
paraissent relativement impliqués dans la vie japonaise, ne
serait-ce que parce qu'ils en sont curieux de tout.

Et que je vais à un
spectacle de Noh, et que je vais à un autre de Tabuki (4 heures avec
2 pauses, Aderou-chan y assistant sans moufter…), et que j'enchaîne
avec un concert de chorale classique, et que je vais visiter
trucmuche et etc etc.

Et que par ailleurs, je
donne des cours de cuisine française à des mères japonaises
parfois à peine anglophones, ou sinon des cours de français… Ana
Freud est devenue ainsi la sensei attitrée en tout genre sur la
place tokyoite. Côté amitié, une rencontre japonaise de hasard,
Michelou, lui a même concoté et offert avec une générosité
désinvolte des bd, tranches de vie d'Adelou-chan au Japon, ou résumé
d'un spectacle de Tabuki, d'une qualité qui fait dire que cette
fille se saborde doucement en marinant chez ses harengs au point que
la mort dans l'âme (qui aime voir réussir autrui?), je vais lui
vendre un bout de syndic pour qu'obtenant une bourse ou une
résidence, elle exploite enfin concrètement ses indéniables
talents.

En tout cas, ces bd,
c'est un cadeau inouï, le genre que l'on fait à qui l'on offre son
amitié, la vraie.

Et pour parfaire le tout,
Ana Freud devrait, si tout va bien, accoucher sur le sol nippon d'un
enfant qui sera ainsi un brin japonisé de par son lieu de naissance.

  • Tu l'envies hein? Ah
    Mimi, l'herbe est toujours plus verte ailleurs avec toi…

Se réjouit une copine
carriériste et sédentaire, pas mécontente de me voir tirer la
langue derrière une concurrente. Pour l'enfant, non, je ne l'envie
pas, j'ai plus assez de neurones et de réserve de sommeil pour un
numéro 3, pour le reste, oui, un peu… Je me sens non pas isolée,
mais un peu coupée d'une certaine forme de réussite
socio-expatriotique. J'aimerais être aussi appréciée et impliquée
qu'elle, c'est vrai.

  • Mais tu n'es là que
    depuis peu de temps! Laisse du temps au temps!

Proteste Aveline, une de
ses filles grimpée sur l'halogène derrière elle, ce qui fait un
contre-jour dommageable, mais moins que l'autre qui grigonte le micro
ce quit fait schring chroung dans mes oreilles.

Euh… je ne suis
franchement pas sûre que j'arriverai à devenir comme elle, la
french sensei absolue et une copine à japonaises, même si
elle vous dira qu'elle aussi reste à la lisière et qu'elle ne parle
pas de choses véritablement personnelles avec ces dernières, sans
compter ce japonais qu'elle n'arrive toujours pas à parler, et
patatati et patata tout ça pour ne pas admettre qu'elle est
appréciée après tout pour ce qu'elle est, et que l'on peut avoir 3
doctorats en linguistique nippone sans pour autant jamais réussir à
nouer le plus petit véritable lien avec l'autochtone.

Quant à son mari, Pierre
Curie, qui parle japonais pas mal du tout, et qui est bien plus en
contact que nous avec une certaine réalité du Japon (le monde du
travail si tant est que le monde de la fac soit le monde du travail),
il a pour sa part, régulièrement, de grosses exaspérations à l'égard des
Japonais.

Il aime la langue, la
culture, le pays, c'est indéniable, mais certains jours ses
habitants (ses collègues) lui sortent par les yeux, ce qui semble
certes être inévitable quel que soit le pays de chute mais sans
doute plus inévitable encore quand le pays est par certains côtés
fort différent du sien.

Il est vrai que d'avoir à
travailler avec un étudiant japonais qui a un oreiller dans son
tiroir de bureau qu'il sort régulièrement pour piquer un petit
somme après avoir écrasé des taupes sur son écran d'ordinateur,
ou bien devoir attendre des semaines une commande passée pour du
matériel de laboratoire et la voir enfin arrivée mais pas du tout
telle qu'on l'avait commandée, ce qui n'est pas chose si rare ici,
et se voir opposer une vague incompréhension blessée en face, n'est
pas du genre à vous aider à n'avoir qu'une image positive du
Japonais, du moins au travail.

  • Ah mais c'est pareil
    en France! Tout le monde bosse mal maintenant, c'est la mode du
    nouveau millénaire! Lentement et mal fait!

Certes, maman, mais il se
trouve qu'au Japon, contrairement à une idée reçue, c'est souvent
que les gens bossent mal, trop et mal, surtout parce qu'on ne sait
pas trop décider comment faire les choses par soi-même et donc les
faire bien, sans compter que Pierre Curie est quand même
censé être dans la meilleure université du pays, voire d'Asie,
ce qui le laisse songeur… et sidéré.

Mais ceci est une autre
histoire.

  • Bon mais alors, tu
    te ranges où exactement hein?

Eh bien les jours de
soleil interne, je me range dans cette catégorie d'expat un poil
besogneuse qu'est celle d'Ana Freud, au sens où c'est pas à pas que
se fait le trou dans la société japonaise, avec doutes et néanmoins
indéniables petites réussites (la bd de Michelou!!!!). Les jours de
gris je me dis qu'au fond, ce Japon et ses Japonais ne sont jamais
qu'une toile de fond pour cette vie, la mienne, qui passe lentement
comme un TER, de gare en gare, sans que jamais je ne sache si je dois
descendre ici ou là bas, sans compter mon japonais pourtant bossé
et re-bossé et qui me vaut toujours ce masque d'incompréhension
gentiment soucieux voire semi-paniqué sur le visage de mes
interlocuteurs nippons en tout genre.

  • Mimi, rentre en
    France, l'ailleurs n'est pas pour toi!

Insiste Francine de
France qui part fêter le nouvel an en Belgique et en est toute
chamboulée au point qu'elle hésite à annuler en prétextant une
double pneumonie (la sienne et celle de sa fille).

Sur ce, la Zouflette
geint non loin de la paroi, l'heure de la trêve est passée, et
celle de la pâte-brocolis-tofu a sonné.

Mata ne!

2 thoughts on “Portraits de l’expat en pied (II)

  1. Reply Ana Freud Déc 14,2011 01:27

    Ana freud va pouvoir arrêter sa psychanalyse après avoir lu tout ça !!! Elle a pris un bon bol de narcissisme même s\’il pointe une bonne dose d\’idéalisation chez notre chère Mimi ! Mais c\’est l\’avantage de l\’écrit ; on peut se lâcher !
    Et la \ »sensei\ » tient à préciser que ce n\’est pas le Tabuki mais le kabuki que nous sommes allés voir… pour ceux qui auraient la curiosité de savoir what is it !
    Encore Bravo pour tes écrits que je \ »bois comme du petit lait\ » (et crois moi qu\’en ce moment du lait, j\’en bois !) !!!

  2. Reply ln22 Déc 18,2011 09:20

    QUOI ? en plus Ana Freud écrit et c\’est drôle ….rha là là, on idéalise tous aussi en France !
    Hélène, canal historique

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