Reprise

Me voilà donc rentrée
dans mon cher Japon…

  • Ah bon, il t'est
    cher? En quoi l'est-il, on peut savoir?

Eh bien parce que grâce
à lui je suis loin du Syndicat du crime ès livres, qu'en
conséquence, je ne suis pas obligée de rester 8 heures par jour
devant un écran à essayer de trouver des indicateurs pour mesurer
je ne sais même plus trop quoi, tout en échappant par ailleurs à
la crassitude du métro parisien et à mon heure de trajet porte à
porte abrutie par mes chiffres et mes insomnies.

Br.

  • Ah mais euh, est-ce
    aimer le Japon ça? N'est-ce pas comme voter Hollande pour ne pas
    voter Sarkozy?

Ok dit comme ça, il y a
un peu de ça.

Surtout que la reprise
est dure. Aussi dure que peut être une reprise d'un non travail,
puisqu'il est entendu que s'occuper de petits enfants les jours
ouvrables ne peut être reconnu comme un travail digne de ce nom,
sinon sinon… eh bien je serai payée et les mères qui travaillent
pour de vrai, elles, auraient double salaire.

Cependant, vous
demanderez à Ana Freud, mère d'une petite fille de 5 ans et demi en
phase tête de cochon (sans doute que la venue prochaine d'un petit
frère ou d'une petite soeur après six ans de tête à tête
forcément passionnel avec ses parents y est pour quelque chose…),
passer ses journées avec des enfants surtout d'âge scolaire et qui
claquent la porte du yooshien dès 14h00 sonnés, eh bien c'est juste
pas de la tarte.

La reprise a donc
commencé par une grande séance de lamento sur le thème du
desesperate housewives, lamento que l'on a, Ana Freud et moi, entamé après avoir
scrupuleusement vérifié que la porte de la maison était bien fermée, que nul
n'écoutait aux murs afin de colporter partout qu'à Tomigaya 2 il y
avait deux feignasses multipares qui se plaignaient indûment de leur
pourtant bienheureux sort.

Une fois ces précautions
prises, on s'est lâché :

  • J'en ai marre de
    fixer les aiguilles de l'horloge du square en me disant, bon, à 45,
    cris ou pas cris, on y va! (Ana Freud)

  • Ah oui, marre aussi
    à chaque fois de ces cris de cochon parce qu'on doit (je veux)
    rentrer à la maison, parce que c'est l'heure du bain et que
    môssieur Zébulon est trop occupé à jouer au métro avec
    l'échelle de son lit ou qu'il est planté devant un DVD étant
    entendu que je suis une vile abdiquatrice ès cartoons… (moi)

  • Ah et puis ces
    scènes parce que mâdame n'a pas été la première à franchir la
    porte de la maison, une heure de tête de cochon devant tout le
    Japon réuni sur mon pas de porte… (Ana Freud)

  • Sans compter qu'à
    peine posée devant mon ordi pour tenter d'écrire enfin un peu,
    j'ai la Zouflette qui veut grimper sur mes genoux ce qui
    donne okfadomazdjal sur le clavier! (moi)

Etc, etc. Ana Freud elle
souffrait surtout du temps long qui passait parfois à l'allure d'un
enterrement de centenaire, comme du caractère devenu un peu épineux
de sa fille (sans doute une phase dans son évolution mais une phase
à passer quand même), et aussi s'angoissait de ce qu'elle ferait à
son retour, à Grenoble, hôpital ou pas hôpital, libéral ou pas
libéral? Moi, la Chotek, c'était encore et toujours le manque de
temps pour écrire, et de ce fait, la créativité de plus en plus
laborieuse, et corollaire, du manque de sens et de reconnaissance de
ma vie à moi personnellement… Je ne compte plus le nombre de fois
où j'ai écrit en tapant avec mon index sur le clavier lettre après
lettre sur le clavier ou relu mon vocabulaire japonais en essayant
d'empêcher les mimines de la Zouflette de s'en emparer, voire en ne
faisant rien, la berçant ou lui caressant la joue dans l'attente
qu'elle s'endorme enfin.

  • Ouais comme d'hab
    quoi!

Ouais comme d'hab comme
vous dites. Le tout aggravé par…

  • Hello Mimi
    blabalabla blabla… et au fait, tu sais quoi? Ma tante Ghislaine,
    celle qui tenait un bar tabac à Amélie les Bains, tu te rappelles?
    La veuve du militaire médaillé jusqu'aux chaussettes?! eh bien
    figure toi qu'elle a sorti uu livre pour ado, Coïtus amourus,
    aux Loisirs de l'école! Ça fait un tabac (cest le cas de le dire
    haha) car c'est une histoire d'amour au temps du sida! Je te
    l'envoie de ce pas par la poste d'ac?!

Euh non, pas dac.

  • Hi Mimi, ça va?
    Blablalalala blalalal… eh bien figure toi que cette amie, qui
    n'avait jamais pensé à écrire et encore moins à être publiée,
    vient de sortir un roman chez Gallarion, La reconnaissance ça
    s'appelle, et que ça se vend du feu de Dieu! On lui a même passé
    commande pour un second! C'est fou non?

Complètement fou.
Surtout quand on pense que moi j'aspire à devenir auteur, c'est à
dire auteur publié depuis bientôt 43 ans et que des pétasses de
tout âge qui écrivent comme on fait du jooging une fois par an,
c'est à dire à la reprise de janvier rapport aux bonnes
résolutions, sont publiées dès le premier jet envoyé sur la
feuille A4 de leur ordi.

Comme dirait Pierre
Curie, y a plus qu'à faire comme la femme de Luc Chatel.

  • Ah bon, elle aussi
    essayait de se faire publier? C'est dingue ça, elle devait pourtant
    avoir ses entrées dans le monde de l'édition non?

Bref, retour un brin
morose, aggravé par un temps de cochon où pluie et neige fondue se
sont disputé l'honneur de nous tenir encore un peu plus enfermées
dans nos quartiers réservées.

  • Bon, à ce que je
    vois, l'univers continue de se rétrécir… je repasserai dans un
    mois ou deux!

L'ex-fan des Chotekeries
de plus en plus ex mais neanmoins friendly :

  • Mimi, c'est une
    étape, quand tes enfants seront grands (dans dix-quinze ans), tu
    auras à nouveau le temps d'écrire, tout en ayant un bon job à
    temps partiel très intéressant! J'en suis sûre!

Car de fait, les murs
avaient quand même des oreilles et celles qui ont attrapé des
brides de cette séance de plaintes indues, ont fait soit la sourde
oreille en me racontant ce qu'elle avaient eu pour Noël depuis leur
naissance, soit l'oreille sourde muette en ne me répondant carrément
pas, me laissant ainsi soupeser toute leur muette désaprobation…

  • Tu est parano, Mimi,
    et nous, nous sommes occupées!

Certes. Mais celui ou
celle qui est hors la vie active, dans l'étranger lointain de surcroît, a tendance à guetter les signes
d'attention et d'écoute à sa petite personne qui se sent parfois
comme sur une île séparée du grand continent des gens qui bossent
et ont une vraie vie, sociale et autre.

En attendant, rapport à
ce pays d'accueil qui me vaut d'échapper à mon ex-morne quotidien
francilien, des questions fondamentales demeurent :

Pourquoi les Japonaises
marchent elles les pieds en dedans?

Comment les Japonais
peuvent-ils être (supposément) à la fois frugaux et ultra
consuméristes?

Spirituels et ultra
capitalistes?

Délicatement épurés et
follement matérialistes?

Comment peuvent ils être
à la fois si empruntés voire inhibés dans leurs relations
intersociales et en même temps (parfois) si rustres?

Pourquoi les Japonais
sont ils fondamentalement honteux sans être jamais coupables?

Et question subsidiaire :

Peut-on devenir
véritablement ami(e) avec un Japonais (ou un Guinéen, un Indien ou
un Incas, en bref, toute personne d'une culture parfaitement autre).

D'ailleurs, qu'est-ce que
l'amitié vraie? Hein?!

Ah et question subsidiaire 2 : Quelqu'un connait-il le process qui, d'une algue
wakamé récoltée sur la plage de Fuck-shima aboutit à une salade
façon julienne? (question posée par madame Bigouden des côtes
d'Armor).

Je vous laisse méditer à
ces questions fondamentales et m'en vais ramasser gâteaux écrasés
sur le sol, magazines déchirés, chaussettes de toute taille (sauf
les miennes) éparpillées sur le sol, tout en préparant la
tambouille de celle qui, après une vingtaine de minutes de joue
caressée, a finit par s'endormir, permettant ainsi à sa petite
maman, gâtée et frustrée, d'actionner un peu ses neurones qui
chaque jour dégénèrent un peu plus (mais ça, c'est dû à l'âge).

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