Sanpo avec Ryoko

La vie loin des bureaux et de leurs heures ouvrables (avec machines à café et ragots de la mi-temps à la cantine) présente tout de même au moins un intérêt, majeur pour moi. Celui d'être dehors, en journée, et donc de pouvoir marcher sous un soleil qu'avant, je voyais briller avec frustration derrière mes carreaux quand de temps en temps je levais le nez de mes lignes excel.

– Super! Ça vaut le coup d'aller au Japon pour découvrir ça!

Ça c'est Miss Sueuraufront, frustrée derrière ses carreaux donnant sur le ciel gris laid de Paris.

D'ailleurs, non seulement je peux délicieusement marcher dehors aux heures où les gens travaillent mais en plus je peux faire des balades et découvrir des coins nouveaux, surtout si dans cette promenade je suis accompagnée par une femme du crû, en l'occurence Ryoko.

Ryoko est une Japonaise que j'ai rencontrée par l'intermédiaire d'un ami d'un ami d'un ami (tenez bien la rampe) d'un ex d'Aveline qui, avant de tâter du néo-zélandais, avait tâté du palestinien. Bref, sachez juste que ma rencontre avec Royko, je la dois à l'entremise d'un franco-palestinien originaire du Liban et qui a fait sa connaissance sur les bancs de la Sorbonne où ils se formaient à devenir traducteurs, chacun dans sa langue.

– Ah tu pars vivre au Japon? Ben dis t'as pas peur toi! Mince alors!

S'était-il écrié lors d'un échange de mails, lui qui avait grandi sous les bombes israéliennes et autres, et qui n'avait jamais hésité à rentrer au Liban même si ça tirait là bas ou si ça explosait par ici.

– Je vais te mettre en contact avec ma vieille copine Ryoko!!!

J'ai échangé pendant des mois des mails, à raison de 2 par mois, avec la dite Ryoko avant de pouvoir la rencontrer. Comme notre intercesseur avait dix ans de moins que moi, qu'elle était toujours par monts et par vaux avec un ton à l'écrit très volatile, j'imaginais une jeune femme à la frange lisse, aux chaussettes encore remontées jusqu'aux genoux, voire avec le costume marin réglementaire.

– Euh Mimi tu radotes, tu nous l'as déjà raconté cette rencontre! Décidément, ton univers est de plus en plus rétréci!

L'ex fan des chotekeries, encore.

Bref, sachez que Ryoko s'est révélée être une ex jeune étudiante devenue femme mûre, la bonne cinquantaine, un brin mélancolique bien qu'ayant le rire facile, et que les deux fois où je l'ai rencontrée, en compagnie du Zébu et de la Zouflette, elle nous a emmenés dans un parc, près de la fac, où j'ai senti son âme de Kyushute, rurale et chlorophyle, respirer d'aise à l'écart du béton des rues.

Là encore, en ce jeudi, après qu'elle ait offert au Zébulon de précieux origamis faits de ses propres mains, une grenouille, un oiseau et une petite boite (oh les grosses pattes pas nippones du tout de mon Zébu posées dessus!) tandis que l'on avalait un café dans la cafète vaste et claire de la fac (où il est possible de rester des heures à écrire son premier roman sur un coin de table sans qu''on vous ordonne de recommander), elle nous a emmenés visiter un petit parc situé à Komaba 4, derrière le campus.

En chemin, elle nous a montrés, enfin à moi surtout car l'une pionçait dans sa poussette, les joues rouges du froid soleil, et l'autre faisait pout pout sur sa trotinette, les pruniers aux bourgeons déjà hésitants, prêts à affronter, à la fin février, la masse des Tokyoites qui viendraient brandir leurs téléobjectifs sur leurs fleurs tout juste écloses.

– Whaou, Mimi san, tu commences à attraper l'âme japonaise dis moi…

Kaotoshi, qui lit toujours par dessus mon épaule.

Moi, je ne pense pas, mais Ryoko, oui, certainement. Elle aime jardiner, plus que connaître les noms et le mode de vie des plantes, à l'instar des membres de l'association dont elle fait partie et avec qui elle bine dans les allées de la fac, sur les parterres parfois minuscules des parcs, où ensemble, ils ont sauvé des roses d'une destruction certaine suite à la vente du terrain où depuis peut être cent ans elles poussaient tranquillement…

– Whaou, c'est poignant! On croirait entendre parler du Tohoku!

Ça c'est l'ami de l'humanité qui, avec cléa culpa, ne supporte pas qu'on sauve autre chose qu'un militant cgétiste ou une caissière licensiée pour avoir volé un pépin de pomme tombé sous sa caisse.

Mais attention, Ryoko n'a rien de la petite femme japonaise qui trotine, fragile dans ses geitas, morte de honte par avance à l'idée que son obi (noeud de kmono) puisse seulement se relâcher. C'est une femme proche de la soixantaine, célibataire ou plutôt divorcée (mariage de jeunesse avec un Français pseudo-artistes qui lui a mangé tous ses sous dans ce Luberon où ils 'étaient installés, magnifique mais de triste souvenir pour elle), qui, lorsque la terre tremble, tremble seule, comme elle part, seule, en Afrique, servir d'interprète dans des missions scientifico-humanitaires où on critique son français pourtant très bon, et dont elle rentre si découragée qu'elle se dit qu'elle va…

– Se faire hara kiri? Dis donc, c'est Zola ta bonne femme!

Encore l'ami de l'humanité.
Je veux juste dire que Ryoko fait face à beaucoup de choses et comme n'importe quel personne qui vit seule, surtout femme, surtout âgée, surtout japonaise, les doutes viennent la visiter régulièrement.

D'où peut être ce besoin et ce bonheur simple de se ressourcer dans chaque petit coin de vert que peut lui offrir Tokyo. De toute façon, c'est ça aussi la mégalopole Tokyo, des plate-bandes dans des lieux improbables, des fouillis de plantes en pot sur des pas de porte ou des fenêtres, ou bien un arbre solitaire, on dirait un olivier avec sa couleur verte foncée et ses feuilles charnues, exuberant si on considère qu'il pousse entre un mur et une rampe d'escalier, petit arbre sur lequel mon regard tombe à chaque fois que j'emprunte le pont pour aller ou revenir de l'école.

– Si vous plantez un chêne entre deux murs et ue rampe d'escalier, n'oubliez pas chaque automne de ramasser chacun de ses glands un à un car sinon, vous risqueriez de voir pousser une forêt entière de cet arbre, ce qui rajouté aux risques para-sismiques et à la capacité de tout végétal à fixer le cesium, rendrait votre vie encore un peu plus… hasardeuse!

Alain Baraton, de France inter, qui n'hésite pas à venir me conseiller sur mon skype à moi.

Sous les pruniers, on a rencontré Tsuji Sensei, un collègue de son association, un petit monsieur tout gentil qui m'a aussitôt embringuée pour le troisième vendredi de février à participer à la rencontre qu'il organise avec des étudiants étrangers désireux de parler japonais. J'ai dit oui, et puis oui aussi tant qu'à faire, j'ai tellement de temps à moi, pour échanger conversation japonaise et française avec lui car il veut apprendre le français, ayant des neveux et nièces frranco-japonais.

Allez savoir pourquoi mais cette rencontre avec le petit monsieur m'a aussitôt toute ragaillardie. Je me suis vue déjà un pied dans le royaume de la fac, me faisant des amis parmi des dizaines de nationalité, notamment dans ces cours de cuisine organisés en japonais, m'a précisé Ryoko, sans compter ces randos en montagne qu'ils font chaque année aux beaux jours et qu'elle m'avait proposées en juillet alors que j'en étais à me demander encore comment dormir la nuit avec un bébé décalé et insomniaque, ou ne pas suer tout partout dès 9 heures du matin.

Je me suis imaginée aussi avoir de longues conversations avec Tsuji sensei, dans le jardin de sa petite maison tokyoite, en buvant du thé vert sous un prunier en fleur, tout en apprenant grâce à lui des foultitudes de choses sur le pays, son âme, ses coutumes, ses auteurs, ses rites, ses mentaliés, ses…

– Ok, ok on a compris le concept, mais tout ça, en japonais dis moi? T'en as fait des progrès, la vache!

Euh non, ça aurait été en anglais, comme d'hab, et donc aussi un peu limité. Merci Amelie san, instit à Montreuil, qui ne me parle plus vraiment depuis que je lui ai demandé de me rendre service en ouvrant ma porte d'appartement au jules de la cadette qui venait récupérer la chaise du Zébulon, ayant sans doute considéré que je ne manquais pas de culot de lui demander un tel service, propriétaire que j'étais qui plus est, mais ceci est une autre histoire, de déception amicale et voisinale


De toute façon, après tout cet imaginaire follement débridé concernant papi Tsuji, j'ai eu comment dire des… doutes. Car il m'a dès le lendemain bombardée d'un texte incompréhensible à préparer pour la dite rencontre et aussi de requêtes propositions suggestions contrition exprimées dans des mails parfois envoyés en pleine nuit, et relativement à l'organisation de nos rencontres à venir, la contrition étant née de ce que bobonne, sa femme, avait de suite menacé de se faire hara kari s'il ramenait cette gaidjin à la maison et ses deux mouflets car maintenant que leurs 3 enfants étaient grands, elle ne voulait plus qu'une seule chose, LE SILENCE C'EST COMPRIS  TSUJI SAN?!!!!

– Ben mince, elles ont les fesses larges les épouses japs pour porter le yukata… moi qui les pensais toutes dociles…

Une femme docile de France, presque déçue. Moi aussi, mais en fait non, ça doit être comme en Afrique, leur royaume c'est la maison.

Ensuite, on a poursuivi par le petit quartier de Komaba 4, avec son passage à niveaux qui a encore bien fait kiffé le seule mâle en présence (Zébulon kun) et puis de l'autre côté, Ryoko m'a montré les rizières recouvertes de neige, une récolte par an, à l'automne avec une grosse kermesse de quartier, précédée par la fête des épouvantails plantés entre les rangées d'un riz dont le destin une fois cueilli m'est demeuré inconnu.

Sur la petite colline, il y avait un cerisier en fleur, d'une espèce étrange qui ne fleurit qu'aux mortes saisons, automne et hiver, et aussi une sorte de cheval d'arçon sur lequel les deux mineurs se sont balancés, indifférents aux bourgeons, fleurs et petits oiseaux rares volant dans le coin.

On est rentrés par les rues chics de Komaba, où on est tombé sur un africain en costume carvate qui a poussé des cris de surprise ravie en apercevant Ryoko qui lui a dit bonjour avec cet air qu'elle a de toujours trouver tout naturel et normal.

Renseignement pris, le monsieur qui nous a aussi salué, les enfants en moi, comme si on était de veilles connaissancxes, était un attaché de l'ambassade de côte d'Ivoir juste à côté et où Ryoko avait travaillé il y a quelques temps comme secrétaire bilingue, français et japonais, payée avec des pièces de 5 yens, ce qui fait qu'elle avait démissionné. Le monsieur en question était portier à l'époque, ou groom, mais visiblement il avait gravit des échelons… d'aucuns mettant cela sur le compte d'une parenté lontaine avec l'ambassadrice de l'époque, une femme méchante m'a dit Ryokjo, qui avait confisqué tous les passeports de son personnel ivoirien pour les empêcher de rentrer au pays manger des ananas ou fomenter des coups bas contre le pouvoir en place.

Quoiqu'il en soit, la dame étant partie car n'est-ce pas il y a eu quelques petits changements politiques en Côte d'Uvoir ces derniers temps, Ryoko s'est innocemment (ou faussement innocemment?) étonnée de ce que cet ex collègue soit toujours en place. Mais il faut croire que son lien de parentèle n'était pas trop serré.
Enfin, tout ça je l'ai mieux compris une fois qu'on a eu quitté le jovial car autant dire que leur conversation feutrée en français ne me laissait pas deviner tout ce qui se dissimulait derrière.
– Euh pourquoi tu nous racontes ça Mimi? C'est quoi le rapport avec le Japon?

Aucun, si ce n'est que ça me fait toujours bizarre de croiser des Africains au Japon, car cela me rappelle mes petits voyages en Afrique et aussi les Africains de France, autant dire des situations à mille lieux d'ici.

Peu après on s'est claqué la bise avec Ryoko, car elle a adopté avec moi, la Française, cette coutume si française qui est de se bisouter pour le bonjour et le au revoir, ce qui est absolument non japonais comme façon de faire.

Je suis rentrée à la maison, dans la nuit qui tombait, trainant un Zébulon fatigué sur sa trotinette et franchement ragaillardie par cette échappée à la fois culturelle et écologique en compagnie d'une Japonaise francophone, aussi agréable qu'intéressante.

Mata ne!

Leave a Reply