Parano, frustration et culpabilité

Bon après la liberté, un peu de frustration nimbée de culpabilité et nappée de parano est toujours nécessaire, vous ne trouvez pas?

– Non!

Le choeur des classes moyennes, abordées dans le post précédent.

Eh bien si, désolée. Je vais vous en remettre une couche car après tout, un blog, c'est un peu pour parler de soi non?

– Non!

Le choeur des fans du dépaysement made in Japon, frustrés par avance de se voir privés de rêveries anthropo-exotiques avec le zest indispensable de désenchantement-agaçement sans lequel un récit sur l'ailleurs ne sonne pas réaliste.

– Vous exagérez Mimi san, on peut quand même parler de l'ailleurs avec des étoiles dans les yeux et des kawai-né un minimum non?

Ça c'est Kaotenshi. Non, désolé Kao san,un récit sur l'ailleurs qui ne serait que positif n'est pour moi proprement pas envisageable. Il y a toujours un gravier dans la chaussure, une poussière dans l'oeil, un cheveu dans le plat de riz yakitori.

Ce qui me permet ainsi de passer à ma parano-frustration-culpabilité, et pof.

La parano d'abord.

Le Zébu fréquente avec un certain enthousiasme son yoochien, voilà qui est rassurant et même revigorant. Le hic c'est que lorsqu'il sort, à 14h00 pétante, voire 11h30 les mercredi, il me faut rester dans la cour car Môssieur veut jouer avec la brouette (obsession à ce sujet quasi psychotique) ou bien au toboogan, ou tiens au sable, sa soeur d'ailleurs n'étant pas la dernière à en profiter également.

– Et alors? C'est plutôt chouette non? Ça veut dire qu'il s'y plait tu ne crois pas?

Ma cousine Marie-Sophie, 4 enfants, 4 écoles et toujours un être humain.

Oui, je ne le nie pas. Le hic c'est que moi, le plus souvent, je reste plantée comme un poireau solitaire dans la cour. S'il y a du soleil, je me dis, bon au moins Mimi, tu synthétises de la vitamine D, tu retardes ton ostéoporose à venir, s'il fait gris, je me dis, bon au moins, il ne pleut pas, et s'il pleut, je me dis, au moins on ne reste pas, on rentre de suite à la maison (où que l'on va encore bien tourner en rond avec une ambiance discothèque hystérique).

Mais à part ça, je ne me dis pas grand chose. Et surtout, phénomène socio-humain très désagréable pour moi, je ne dis pas grand chose à personne, vu que personne y me parle.

– Ah bon? Tu n'es pas aimée?

Non. Pire, on me fuit. On pourrait me jeter des pierres que l'on le ferait. Dès que j'apparais, les mères s'éparpillent en groupes autochotones serrées les unes contres les autres, et si jamais je m'en approche, elles me chassent, comme un pigeon d'outre Pacifique laid, malade et sale.

– Euh, tu ne crois pas que tu exagères un peu Mimi?

Aveline, apparue fugitivement sur skype mais dans la case message écrit, faut pas non plus pousser l'amitié dans les pruniers en fleurs.

Oui, bien sûr, j'exagère. Ceci dit, je me sens plutôt esseulée en ce moment.

Si Hélène est là, je suis avec elle, et alors on nous parle, surtout Fumiyo angel qui est amoureuse de ma seule amie au Japon. Et puis Hélène ayant le gros ventre (6 mois de gestation), ça délie les langues, et puis de toute façon, on l'aime, elle.

Mais le plus souvent, elle n'est pas là, parce que la piscine d'Adélou, parce que la danse, parce que les amies à plume de France, parce qu'Adélou ne veut pas rester, elle.

– Ah bon… mais après, les mères, elles peuvent continuer à te parler non?

Non. Car Fumiyo angel ne me trouve plus aucun intérêt, son idole est partie. Shiori Tanaka non plus ne voit pas ce qu'elle pourrait me dire, ni Junko Sasaki, ni Chantalou Yamamoto, ni même Yoko Ono venue pousser la chansonnette dans le coin (Imagine that you are loved…).

– Mimi, tu ne pousses pas un peu le curseur un peu trop dans le noir non?

Bof, à peine. Si je parle avec Meg FemmeduMilitaire san, une Japonaise parfaitement anglophone qui vient de Hawai, elle me dit au bout d'une minute, Oh… I think it's time to go, I have things to do at home… ou un truc comme ça, et elle s'éloigne. Sauf qu'une demie heure plus tard, elle est toujours là, en train de causer avec une mère japonaise bien de chez elle, à l'autre bout de la cour, pendant que son facho de fils tabasse le mien, de fils.

Rapport à son intégration, mon fils, et à la mienne, dois-je le laisser se faire taper dessus?

– Bien sûr que non Mimi, fais toi un peu respecter que diable!

Ma mère, bien sûr.

Alors j'interviens, en japonais risible, et le petit, bon bougre, me fait un « Gome ne », contrit. Sa mère rapplique, ou pas, c'est selon. Si elle rapplique, ça me fait toujours une minute 34 de conversation, qu'elle rompt ensuite par un « Oh it's really time to go now… ».

Sauf qu'elle reste, à l'autre bout de la cour.

– Ohalala la parano Mimi!

Ben oui patate, c'est le titre de mon post.

De toute façon, soit les mères ne savent pas ou n'osent pas parler anglais avec moi, et m'évitent, trop difficile d'avoir une conversation avec moi. Soit elles parlent très bien anglais et elles m'évitent également, je suis trop laborieuse dans mes récits.

Elles peuvent, il est vrai, aux alentours de 15h00 se rapprocher un peu de moi, car c'est l'heure où on plie les gaules et je ne représente plus aucun danger. Au pire, ce sera une minute 45 de conversation avec moi, elles peuvent bien faire ça pour moi, et la conscience en paix (elles ont parlé à leur prochaine de gaijin), elles pourront rentrer chez elles préparer le nabé ou fabriquer des origamis en série.

– Que tu es aigrie Mimi!

Virginie Sueuraufront, ravie derrière ses powerpoints.

Le pire étant que je ferai sans doute la même chose qu'elles si j'étais en France et qu'une Japonaise mal comprenante se trouvait plantée comme un épi de riz solitaire dans mon champs de vision. J'abaisserai les oeillères et vers la fin, je les relèverai pour échanger quelques propos aussi convenus que sans intérêt afin qu'on ne puisse pas dire que je suis fermée et sans coeur vis à vis du pauvre étranger même avec des papiers.

– Oui mais Hélène, on lui parle elle! Et elle ne parle pourtant pas mieux anglais que toi non?

Non. Mais Hélène, on l'aime elle.

– Ah bon, et pourquoi ça?

Parce qu'elle est normale et psy, ouverte d'esprit et réservée, chaleureuse et réservée, rassurante et angoissée, bientôt multipare et néanmoins femme, nipponophile mais pas experte, ah et puis elle chausse du 39, elle aime le chocolat, s'attacher les cheveux et porter des robes.

– N'importe quoi!

A, ce matin, alors que je pleure dans la cuisine à l'idée d'une nouvelle journée après une nuit de chiotte où la Zouflette a hurlé quand on a voulu la remettre dans son lit après le réveil de 1h03 du mat, engendrant ainsi une dispute avec le père, mon seul humain véritable du moment, qui ne voulait pas céder, la mère préférant abdiquer, elle.

– Reprends toi ma vieille! Il y a des vies bien plus difficiles!

A, judéo-psychologue et à bout d'arguments. Tout ce qu'on a envie d'entendre alors que je m'apprête à aborder le volet frustration.

– Attention Mimi, ton univers se rétrécit! Elargis ta vision, tu es au Japon que diable, profites en!

Mon ex fan des Chotekeries, toujours de bon conseil.

Profites en. Eh bien en ce moment, c'est peu dire que le terme « profiter » est mal adapté à ma petite vie.

Je suis une mère et une femme indigne, c'est entendu.

Je suis une pauvre femme qui après avoir sué à obtenir ses diplômes, malgré son âme et conscience, ou pire encore, en son âme et conscience, se retrouve à être femme au foyer. Je suis cette femme là doublée d'une mère qui, ayant la chance de pouvoir rester chez elle, ne sait pas profiter de ses enfants. Ainsi, elle leur crie dessus comme elle s'était juré de ne jamais le faire (c'était une des occupations favorites de la grande Simone), prends ses petits innocents par le bras pour les jeter avec rage dans leur chambre, ne sait pas jouer avec eux, ni les élever au sens leur apporter les lumières de la science et de la culture, ni, etc etc, je m'arrête là, je suis accablée.

Une mère par ailleurs toujours un doigt sur le clavier de son ordinateur (mail ou blog), ou bien le nez dans sa méthode de japonais, une mère sans cesse arrachée à ses activités mais après tout, qui a dit qu'être une mère au foyer consistait à dégager du temps même infime pour soi?

Du coup, même si je culpabilise, je crie et la tension monte, le Zébulon se fait encore un peu plus bruyant et insupportable, la Zouflette pleure car ça la stresse, et du coup, quand elle voit Hélène, elle fait comme si c'était sa vraie maman, ce qui me culpabilise encore un peu plus (et bien sûr me rend jalouse car les enfants sont tout ce que j'ai comme job en ce moment).

– Tiens, tu nous as fait gagner du temps Mimi! Tu as traité frustration et culpabilité dans le même volet! Super!

Sans cesse tournent en moi certaines phrases. Celle d'Annie Ernaux, dans La femme gelée qui, au sujet de sa vie de jeune mère au foyer parle d'une lente marche vers la mort, ou la Cadette, au sujet de cette amie obligée et consentie à rester dans ses pénates avec ses 3 enfants malgré un CV brillant de designer de la fringue, « Et le pire c'est qu'elle n'en profite pas du tout! Elle ne joue jamais avec eux et s'énerve sans cesse! Il y a un stress incroyable chez elle! ».

– Franchement Mimi, prends ton mal en patience! Tes enfants sont petits! Ça ira mieux dans… euh… quelques années?

Sauf que ça fait des années déjà que je piétine dans ma vie et imaginez que l'on me demande de descendre du train dans les temps prochains, tenez, au hasard, le 11 mars (tsunami ou gaz sarin dans le métro), en quoi pourrai-je justifier, devant saint Pierre, à la porte du Terminus, le bien fondé qu'il y a eu à ce que 43 ans auparavant, un tétard rencontre un oeuf à Washington DC (car oui la grande Simone m'a conçue là bas).

– Tes enfants! (nos retraites seront payées)
– Tes dons à ton filleul au Vietnam! (futur fabriquant de Nike mais à la tête bien faite)
– Ton sourire (certains jours)!
– Tes abonnements à la presse (tous ces emplois sauvés)!

Super.

– Mais quelle serait la solution?

Me demande très sérieusement A, qui n'en voit aucune, pour le moment du moins. Je refuse qu'on engloutisse son salaire et mes économies allant rétrécissant dans des gardes d'enfants alors que je ne gagne pas d'argent et que je ne vais pas en gagner avant longtemps.

Moi non plus, je n'en vois pas. Et je dois dire que de savoir que mon fils va être en vacances 4 semaines puis à la reprise, mi avril, sortir tous les jours à 11h30, sachant qu'ensuite c'est la golden week, chômée par toute l'île, ça me donne juste envie de…

– Enfuis toi, Mimi! Je t'apprendrai à barrer un voilier et on fera sept fois le tour du soleil ensemble! Quand tu reviendras, le Zébu saura s'habiller, demander sans crier et lire ses J'aime lire! La zouflette sera propre et dormira la nuit! Tout ira bien!

Isadora Patissier, très désireuse de m'aider.

Bon, m'en voulez pas, la prochaine fois, je vous la ferai exotique. Comme je m'apprête à passer une semaine seule avec mes petits trésors, A s'envolant pour San francisco faire du surf, car il faut bien qu'il se repose de son job…

– Non?! Mimi, révolte toi bon sang!

Mais non, je blaque, il va à sa foutue conférence de gamers, comme on dit par ici, celle qui nous pourrit la vie depuis un mois car il bosse sans cesse dessus, rentre tard et y travaille encore le soir, la nuit et les we. Bref, seule avec moi-même et les enfants, je gage que j'aurais plein d'exotisme débridé à vous raconter, sisi, au pire, j'inventerai, promis.

Matane!

 

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