Sortez vos mouchoirs!

  • Ah non, tu vas pas
    encore nous refaire parao, frustration et culpabilité!!!

Virginie Sueuraufront,
qui, depuis ses hautes responsabilités, aime à me voir souffrir
mais pas trop.

Non, non, je vous
rassure, ce n'est pas toutes les semaines que Mimi san craque. J'en
profite au passage pour remercier toutes celles qui ont réagi avec
angoisse, compassion ou sollicitation à ce dernier post.

Ilona
Bigoudenne a proposé de m'envoyer des algues vertes au prozac,
Isadora Patissier a encore insisté pour que je monte avec elle sur
son rafiot, d'autant plus que des tas d'hommes plus ou moins mariés
sont à ses trousses (la liberté, ça donne des envies à tout le
monde).

Aveline m'a skypé en direct de son pas chez-elle-bureau, un
foulard autour du cou, ses croix derrière et son maori, toujours
aussi double-foyer, et qui, en arrière fond, psalmodiait je ne sais
pas, je ne sais rien, je me sens mal…

Bref, aujourd'hui, ce
n'est pas de mes états d'humeur dont il va s'agir mais du Mothers'
meeting, qu'un mercredi par mois, Matsumura aime à imposer à ses
okaasan, histoire de leur fiche parfaitement en l'air cette journée
déjà merdique (2h30 seulement sans son petit trésor…).

Et comme cé'tait la
dernière avant la fin de l'année…

  • Comment ça, la fin
    de l'année? Mais on est en mars, Mimi!

Là c'est Amélie sensei
de Montreuil, qui me méprise depuis qu'elle sait que je suis une
riche propriétaire mobilière et qu'en plus, j'ai osé lui demander
un demi service à Noël… mais qui, cependant, ne peut réfréner son envie d'intervenir sur skype (c'est son côté prof).

Eh bien non, l'école se
finit en mars, au Japon, puisue la rentrée est en avril. Ce qui fait
que les gosses ont double ration de vacances, au printemps (pas loin
de 4 semaines) et l'été (un bon mois et demi). J'en profite pour
préciser qu'au mois d'avril, la reprise a lieu le 11, il n'y aura
pas de o-bento jusqu'à la fin du mois, où intervient ensuite une
autre semaine de vacances (la golden week), autant vous dire que ma
pièce de théâtre, mon roman polyphonique et mon recueil de
nouvelles vont avancer façon retour vers le futur.

  • Bon alors le thème
    de ton post, tu nous le développes? J'ai du travail, moi!

Amélie sensei, toujours.

Et comme c'était la
dernière réunion avant la fin de l'année et que la directrice,
Mari Ingalls san, partait à la retraite, je me suis dit que j'allais
y aller. Je l'appelle ainsi car elle porte toujours de longues jupes
recouvertes d'un tablier à fleurs (ou non), et elle se poste à
chaque entrée et sortie devant le grand portail blanc où elle accueille tout le
monde avec le sourire haut de ses pommettes saillantes et la douceur pleine d'entrain d'un ohayo gosaimazu… cela fleure bon la petite maison dans la grande Tokyo ultra urbaine.

Déjà, je suis arrivée
5 minutes en retard, la Zouflette sous le bras. Mari Ingalls san
avait déjà commencé à parler, le micro bien en main, en
feuilletant de temps à autre des feuilles étalées sur le sol
devant elle. A ses côtés, il y avait celle qui ELLE refuse de partir à
la retraite, malgré ses 98 ans plus que tassés, j'ai nommé mamie roulette san,
dans son fauteuil à roulettes donc, son mouchoir à carreaux bien en main, objet tant prisé des japonaises qui s'essuient le nez avec, cache
leur sourire, tapote leurs yeux et le tiennent fermement en main dans
les circonstances à forte teneur émotive ou socialement
périlleuses.

– Chotto
jdieizeokelllmzmflzmfm hontooniMmpappmapmazmzm
o-bentokakakzalzlazlmazmmz….

Bref, j'y entravais que
dalle et mes anges gardiennes n'étaient pas là ou bien ailleurs.
Mari Ingalls san a causé, causé… La Zouflette s'est endormie,
couchée à plat ventre sur le sol, à un bon mètre de mois (cette
femme n'est pas ma mère), le pied caressé par une maman japonaise,
et Mamie roulettes san, a plié son nez sur ses genoux, ce qui veut
dire qu'elle aussi dormait. Dans les premiers rangs, c'était sage.
Aucune mère ne moufait, toutes écoutaient religieusement madame la
Directrice en riant poliment de temps en temps, mais derrière… je
me dois de vous dire que c'était le bordel.

  • Ah bon? C'est
    possible ça au Japon?

Eh bien oui. Déjà, des
tas de mères arrivaient peu à peu, en retard. Ensuite, les mioches
amenés là, les petits frères et soeurs des Matsumuriens, se
disputaient, braillaient ou jouaient, le tout avec ardeur, et les
mères ne leur disaient presque rien… si ce n'est abunai!
Abunai! (danger!) le mot le plus dit et répété au moindre danger
dans ce pays pourtant plein de dangers vraiment dangereux. Ensuite,
comme ça durait, les mères parlaient entre elles (mais pas à moi),
les cubes tombaient sur le sol, pan, les gosses se les disputaient,
ouiiiiiiiiin, les mères ne leur disaient rien, et soudain, pof, la
directrice s'est tu.

Le bébé à côté de
moi s'est brutalement réveillé, et mamie roulettes san a elle aussi
brusquement levé la tête, l'air ahuri (Suis-je au paradis? Suis-je
enfin à la retraite?!). Madame la Directrice lui a tendu le micro
avant que de s'éclipser par derrière dans le doux froufrou de ses
jupons…

Et mamie roulettes san,
après s'être éclairi la voix, s'est mise à parler, mot à mot,
bien détachés, clairs et distincts, sauf pour moi. Qu'on se le
dise, cette quasi centenaire n'était prête ni à devenir sourde ni
gaga ni même mort.

  • bento ga….
    muzukashii jhdcjakdlalflmzlmzvmlzmvmmemefmzem…

Etc, etc, j'entravais
toujours rien et la Directrice ne revenait pas alors que derrière
c'était de plus en plus le bordel.

Enfin, Matrie Ingalls san est revenue,
froufroufrou, et elle a reprise le micro à Mamie roulettes san, mais
ensuite ça a été à Sumiko sensei, la prof du Zébu, surgie de
derrière les rideaux, de s'en saisir avec voracité, comme ce chien
fou qu'elle est toujours malgré son âge euh avancé (mais pas
trop).

Et reblabla…

  • Bon, et ensuite, ça
    se traîne ton histoire!

Une jalouse, une autre,
de tout ce fol exotisme.

Eh bien enfin, alors que
l'on s'apprêtait à se rendre chacune dans nos classes pour la
réunion de classe, des mères se sont enfin décidé à se lever et ont offert à Mari
Ingalls san, toute émue (bouche cachée derrière le mouchoir à carreaux) un
bouquet de fleurs, une carte géante à déplier, faite par des
enfant sans doute, un petit abum avec les cartes de la Hanagumi (la
classe du Zébu qui lui a dessiné un « bonhomme très très
méchant »…), and so on, j'ai pas tout vu.

  • Mimi, toi qui veux
    devenir journaliste plus tard dans la vie (65 ans), ouvre un peu
    mieux les yeux bon sang!

Mes yeux étaient occupés
à regarder les mères. Toutes avaient sorti leur mouchoir, enfin
une bonne partie, et se tamponnaient les yeux avec délicatesse.
Noriko san, bien sûr, l'ange gardien du Tooroku, qui à la moindre
émotion (chant d'enfant, d'oiseau ou de chorale, départ en retraite
ou tsunami), fait couler ses yeux, Mari Ingalls san qui, dans un
mouvement de jupons, froufroufrou, s'est détournée pour essuyer
vivement une larmichette à un coin de ses yeux, avant que de se
retourner vers l'assistance et poursuivre ses remerciements.

Bon, avec tout ça, il
était 10h50, l'heure d'aller à sa réunion de classe, où je me
suis donc rendue…

  • Ah bon ça continue?
    Mais où sont les sakuras en fleur, les pruniers de même, et les
    cérémonies du thé avec les bouquets floraux arrangés et les
    sushis à baguettes?!

Des fans du Japon, décus
par mon exotisme à moi.

Ils sont ailleurs et en attendant, suivez-moi par ici pour la suite de la visite.

Direction l'étage du dessus où je suis arrivée en retard, encore,
toutes les mères étaient assises en cercle avec Sumiko sensei et
Mikki sensei de même et une autre jeune femme à tablier ingallsien, et Sumiko sensei s'adonnait à ce qu'elle raffole le plus, à savor parler vite et fort, comme ce grand
épagneul fou à qui il ne manque même pas la patrole, donc.

Là j'ai eu droit à ma
Cindy san de Taiwan qui souvent me traduit vite et bas ce que disent
les grandes personnes japonaises, ce qui fait que je comrpends un mot
sur deux et comme je ne veux pas être chiante, je fais, yes yes, oh
so? Yes yes etc etc.

Bon
autant vous dire que dans ma réunion à moi, ça n'était pas
croustillant tandis que dans celle d'Ana Freud…

  • Ah bion, tu
    l'appelles à nouveau Ana Freud? C'est plus Hélène?

Ça c'était une erreur,
dans le dernier post, saisie par ma parano-frustration-culpabilité,
j'ai appelé cette pauvre Ana Freud, Hélène, ce qui a succité un
abondant courrier des lecteurs de toute la Terre (y compris de la
part de Barak Obama) auquel je n'ai pas répondu, à la fois prise
par le temps et la bévue honteuse.

Dans la nôtre de
réunion, il a été question de bento, d'abris anti sismiques (2
garages si j'ai bien compris, à construire en ce but mais c'est
bizarre non?), du fait que la future hanagumi était si nombreuse
qu'ils avaient décidé d'en faire deux et de l'installer dans la
grande classe qui normalement aurait dû revenir à la hoshigumi, la
classe dans laquelle donc le Zébu et ses collègues vont entrer à la
rentrée d'avril, ce qui fait qu'eux resteront dans cette pièce qui
était la leur cette année mais ne vous inquiétez pas, pour leur
dernière année en tsukigumi, ils auront bien droit à la grande
salle du bas…

  • Bon ben et alors? Ça
    change beaucoup de choses?!

Eh bien Amélie san, ex
voisine ex sympa mais toujours là, oui, sache qu'ilsemblerait que ce soit très important pour
les enfants (et leurs mères surtout) de changer de salle d'année en
année. La petite en haut pour la première année, la grande en
haut, pour la deuxième année, et la grande en bas, pour la dernière
année. Voilà. Encore un symptome de cet esprit d'organisation et de
formalisme qui caractérise le nippon vrai.

  • Mimi san, vous avez
    (en partie) raison mais vous gagnerez à être vous aussi, un peu
    plus organisée!

Certes.

Ensuite, chacune a dû
exprimer en quelques mots son ressenti de l'année écoulée.
Blablablabla, je ne comprenais rien, surtout qu'elles parlaient vite
avec la main devant la bouche, et je préparais dans ma tête les
phrases que j'allais dire, et que j'ai dites, mouvement d'admiration,
qui néanmoins ne s'est pas traduit par une apparition ensuite
d'amour à mon égard (personne ne m'a causé plus que ça à la fin
de la réunion, je veux dire).

De toute façon, je crois
bien qu'il n' y a rien eu de croustillant, pas de larmes, pas de oh
desu ka, ni de ohhhhhhhhhhhhhhhhhhhhh, comme elles le font, parfois.

Alors qu'en Hoshigumi, la
classe d'Adelou chan, la petite d'Ana Freud, il régnait une ambiance presque latine quand le
tour de paroles de chacune est arrivée…

  • Rainen
    ozlflpzpfzpmef^meêf^…

  • Wouat? Wouat? Wouat
    did shi saille?

Mères en larmes, et Ana
Freud demandant fébrilement ce qu'il en était à Fumiyo angel, son mouchoir, taptaptap, sur les
yeux. Elle a dit qu'elle ne reviendrait pas l'année prochaine, ils
déménagement et ça fera trop loin… Fumiyo angel, dans le creux
d'oreille d'Ana Freud.

  • Musume..;opoéozprp
    « p »^r é »^é ^ù »…

  • Wouat? Wouat? Wouat
    did shi saille?

Mari san, en larmes, et
toutes les mères de même, et Ana Freud encore à la question.

  • On a trouvé un
    problème aux yeux de sa fille… (qui par parenthèse n'est même
    pas dans cette école!).

  • Ah mince quoi? (Ana
    Freud, inquiète)

  • Je ne peux pas te
    dire (Fumiyo angel, fuyante).

Mari san, le lendemain, a
éclairé spontanément la lanterne d'Hélène, sa fille devait juste
porter des lunettes pendant 3 ans, j'ai même mené mon enquête
étant opportunément tombé sur elle au Sport center le vendredi,
elle aura un oeil caché pour faire travailler l'autre, feignasse, rien de grave donc, à moins que de porter des lunettes au Japon pour une gamine de 3 ans ce soit comme, comme… être détectée porteuse de la sclérose en plaque du sida et de la chtouille de la face?

  • Elles ont la larme
    facile quand même…

Ma mère, forte femme,
mais qui n'a pas tort. Dans ce pays très pudique, on (les femmes)
pleure facilement semble-t-il mais sur de petites choses, je suppute, les grandes, les graves, on reste de marbre, stoïque et atterré. 

Puis ça a été au tour de Kaoru
san, tout le monde avait son mouchoir bien en main. Elle s'est levé, et
d'un air digne, a longuement parlé, et tout le monde a pris un air atterré, vraiment très atterré… taptaptap ont fait les mouchoirs,
sauf celui de Kaoru san, très digne donc.

  • Wouat? Wouat? Wouat
    did shi saille?

A demandé, éperdue Ana
Freud d'autant plus que Kaoru san est une amie dont elle s'apprêtait à
garder la fille toute la journée.

  • Elle se sépare de
    son mari…

  • Wouat? Wouat?

  • Elle divorce…

  • Ah bon but ouaille?

  • Je ne peux pas te
    dire pourquoi…

Crotte zut, j'ai dit tout
comme Ana Freud quand elle m'a raconté ensuite sa passionnante
réunion.

  • Je pense qu'elle a
    un amant, m'a chuchoté Ana Freud, même si personne ne pouvait nous
    comprendre, elle est bien jolie en ce moment et a l'air plutôt en
    forme…

  • Son mari en tout cas
    travaille dans la pub et rentre tous les soirs à minuit, sans doute
    bourré… ceci explique peut -être cela…

Que j'ai émis de mon côté
comme hypothèse.

En tout cas, cela
explique sans doute pourquoi Kaoru san s'est trouvé, chose rare pour les uni comme multipares, un emploi à temps partiel, public relations dans
une société, et tous les jours
de la semaine à partir de la rentrée d'avril,elle ne nous en a pas dit plus, et pourquoi aussi sa
fille, Minami chan, est gardée tous les jours ou presque à la
garderie de l'école, chose pour le moins des plus rares à
Matsumura.

Kaoru san a d'ailleurs
remercié les sensei pour leur soutien et l'école, pour son aide.
Puis elle s'est rassise, d'un air digne, encore une fois, en lissant
sa jupe à fleurs (elle a un côté baba cool parfois), tandis que sa
voisine, à qui c'était le tour de parler, est restée les yeux dans
le vague, l'air aussi frappé que si c'était le 11 mars 14h46.

Ensuite, elles ont moins
pleuré, c'était moins croustillant, forcément. Mais ca l'était
toujours plus que par chez moi ou alors j'ai vraiment zappé…

  • Mais à part
    raconter ses petits malheurs, ces réunions, pédagogiquement, ça
    sert à quoi? Vous parlez un peu de ce que font les enfants en
    classe? De leurs progrès, de leur développement psycho-moteur et
    mentalo-cérébral sans oublier celui de leur créativité
    artistiquo-personnelle?

Amelie sensei, à
nouveau.

Euh oui bien sûr, mais
ça aussi ça a dû m'échapper.

Avec tout ça, c'était
l'heure du déjeuner, les enfants ont reflué dans la classe et j'ai
récupéré le Zébulon, pieds nus et la blouse pleine de boue,
pédagogiquement, c'était peut être nul cette école, mais question
activité physique et jeux d'extérieur, c'était bien du 20 sur 20
au moins.

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