Autant vous dire de
suite, je suis d'une humeur de dogue.
La Zouflette nous
réveille toutes les nuits sur le thème « Je veux venir dans
votre lit oh que je suis angoissée malheureuse désespérée maman!
maman!! car elle a vite compris qui était le maillon faible dans
cette maison. Résultat, on se traîne tous, le Zébu y compris,
l'air éreinté, je m'enflamme au demi quart de tour au moindre écart
des deux mouflets et comble du comble, j'ai perdu hier dans le
Zushi-Shinjuku mon merveilleux petit dictionnaire français-japonais
(4500 Yen soit 45 euros), que je viens de chercher pendant une fichue
demie heure de ces 3 petites heures précieuses où la fauteuse de
troubles nocturnes et son voyou de frère sont gardés à l'extérieur
(4500 yen).
-
Calme toi, Mimi, un
dico ça se rachète!
Ma mère, lointainement.
Sauf que des sous, j'en ai de moins en moins, surtout que j'ai dégoté
l'agence de location du siècle à Montreuil, celle qui en pleine
pénurie d'apparts à louer sur le 9-3, n'arrive pas à trouver
preneur pour le mien, pourtant plutôt en dessous du prix du marché,
et qui, bien sûr, ne sait pas appuyer sur la touche répondre
lorsqu'elle reçoit un mail de ma part.
-
Relative Mimi,
relativise… Nous on a tueur casqué qui fait la sortie des écoles
juives et des casernes à soldats nés ici de parents pas d'ici…
Certes, certes. Et merci
à toi, ô Cadette san, car cela me permet de transitionner
gentiment.
Avec Ana Freud, qui aime
ce genre de choses, on a été assister un soir de la semaine passée
à une conférence à l'institut franco-japonais (celui où j'avais
acheté mon précieux dico ouin!!!), d'Akira Mizubayashi, questionné
et pommadé par Olvier Masset, un gars qui enseigne le français à
des étudiants japonais qui parsemaient les premiers rangs (regards
et clins d'oeil complices du prof à ses élèves), et qui est aussi
euh « Il anime des cours sur la géopolitique et la littérature
francophone qui ont a cœur d'éclairer les représentations que l'on
peut se faire de "l'autre" de part et d'autre de nos
lointains continents ».
-
Tiens comme faisait
ton professeur de thèse? Dis tu te souviens Mimi? De ta thèse?!
Je n'ai jamais connu de
Thérèse, maman.
-
Tu sais, le grand
dépendeur d'andouilles? Celui qui avait trouvé son dada de métier
à vie, l'Autre, le rapport à l'Autre, identité amour gloire et
beauté…
Bon, ça me revient,
tata, c'était dans une autre vie. Et puis, le Olivier, lui, c'est un
jeune précocement dégarni, volubile et vif d'esprit, avec juste un
peu trop de miel sur le bout de la langue quand il s'adresse à
Monsieur Akira Mizubayashi, mais c'est normal, il l'aime et veut nous
le vendre le mieux qu'il peut. Sans compter que l'homme est aussi
sympathique qu'il est simple d'accès.
-
Mais c'est qui ce
type?
C'est un prof de français
qui…
-
Ah bon lui aussi? Tu
fais une collection?
… a appris le français
tout seul avant que de poursuivre en France, langue qu'il parle
admirablement et même mieux que toi, pétasse, et qui lui a fait
écrire ce livre, Une langue venue d'ailleurs, dont le titre
me paraît soudain presque bateau quand on écoute l'homme,
et dans lequel il écrit sur des pages et pages pourquoi comment et
jusqu'à où le français qui…
-
Il est bien ce
livre?
Euh oui, enfin… moins
bien que l'homme. Trop léché, trop émerveillé et limite cucul
parfois. Mais c'est aussi parce que je suis souvent en ce moment
d'une humeur de dogue, surtout quand on me réveille toutes les nuits
et que je perds mon dico à 4500 yen, ce qui fait que, je l'admets,
en ce moment, j'ai du mal à me sentir légère et émerveillable.
Pour en revenir à ce
monsieur, je vous passe les détails de sa passion française qui lui
a fait apprendre cette langue tout seul dans sa petite chambre de
néo-pubère, en écoutant des cassettes et des émissions de radio
sur le poste super cher que son papa peu fortuné mais taraudé
d'ambition pour ses deux fils lui avait offert (et pétri aussi
d'amour, rajouterait Mizubayashi… sauf qu'être très ambitieux
pour ses enfants est-ce une forme si pure d'amour que cela hein?).
Je soulignerai cependant
le fait que pour se faire, apprendre le français, il a procédé
par imitation entière et absolue de… euh la langue qu'il
entendait. Imiter selon lui est la voie royale pour ensuite, une fois
bien acquis les éléments imités, on s'en libère pour en faire
quelque chose qui soit son oeuvre en propre.
-
Euh c'est à dire?
Le choeur des fans du
Japon (sakura-jardins zen-cérémonie du thé) un peu paumé.
Eh bien je suppose qu'il
faut imaginer une série de marches pleines de pieds des autres que
l'on emprunte à son tour avant que de monter, ensuite, ses propres
marches pour arriver au sommet de son oeuvre, euh le parler très
très bien le français, comme un Français (qui le parle bien), pour
lui.
-
D'accord mais cest
quoi le rapport avec le tueur de petits enfants juifs et de para
bronzés?
Eh bien, c'est à propos
de cette différence essentielle entre la France et le Japon, selon
lui.
Au Japon, on nait
étranger, ailleurs ou ici, et on reste étranger, à vie, même
après avoir appris des milliers de kanjis, cessé de faire des tas
de gaffes culturelles et maîtrisé tous les niveaux de langue, du
plus popu au plus raffiné, suite à ses 43 ans de présence sur
l'île-qui-tremble. Il y a le uchi (maison=dedans) et le sotto
(dehors=inconnu). Et vous, quoi que vous fassiez, vous resterez
toujours à la porte de la uchi, dans le grand sotto
qui fait peur…
-
Ah ben c'est sympa
ça! Merci les Japs!
Alberte Michaud,
boulangère qui a la main sur son bereta dès qu'un individu un peu
mate fait ding dung dong sur le seuil de sa boutique.
D'ailleurs, à propos de
boulangerie… Akira Mizubayashi confesse devoir toujours se faire
violence pour lancer la formule rituelle « B'jour m'sieurs
dames » quand il franchit le seuil d'un commerce français.
Pour lui c'est une forme d'intrusion, car au Japon, personne ne salue
de la sorte de parfaits inconnus en train de faire la queue chez le
marchand de sushis, ils sont irradiés mais frais mes poissons
msieurs dames.
Au Japon, on aime garder
une distance avec les autres, surtout s'ils sont étrangers.
-
Moi aussi! Je n'aime
pas ce côté, on a gardé les vaches ensemble!
Madame du Genou, très à
cheval sur sa uchi.
Par ailleurs, si en
France l'Etat apparaît comme une construction relevant d'un pacte
social (Rousseau, Du pacte social, m'sieurs dames, p.433-455),
et qui en ce sens dépend de la bonne volonté active de tous pour
qu'il soit préservé, l'Etat au Japon est une construction
naturelle, fondée sur une entité éthnique, homogène et immuable.
Ce qui doit expliquer le
fait que certains papys vous lancent des yankees! rageurs dans les
supermarchés de banlieue tokyoite. Sans doute ont-ils peur que cet
Etat naturel ne tienne plus la route avec votre blonde chevelure
bouclée et vos doux yeux couleur lavande (c'est tout moi ça).
-
Mais plus
sérieusement, Mimi, ça veut dire quoi au juste, un Etat qui est
une construction naturelle?
Eh bien ma chère
cadette, tu ferais mieux d'établir les statistiques de l'année 2011
plutôt que de me poser ces questions mesquines.
-
Sans blague Mimi,
c'est pas très clair… non?
Euh, je crois qu'il faut
retenir l'idée que la société civile française est le socle d'un
Etat qui lui doit à elle son existence et sa façon d'évoluer, ce
qui rend chacun responsable de ce qui constitue la chose publique, ce
qui est, vous en conviendrez, la définition exacte du mot citoyen.
Au Japon, il n'y a pas
selon Mizubayashi, à proprement parler, de citoyens, mais des
groupes, des familles, et chacun est titillé entre son
individualisme, le souci de ne pas déplaire à son clan et son
absence d'intérêt pour la chose publique car pour lui ce qui est à
tout le monde n'est à personne, et donc pas à lui.
Mais là, je brode et du
c'est pas moi c'est l'autre, je passe subtilement au dernier thème
de cette conférence à savoir Mizubayashi, Fukushima et l'Etat
japonais.
-
Ahahahaha!
Choeur des
anti-nucléaires comme des passionaria d'Areva.
A partir du moment où
l'Etat dans les années euh soixante a autorisé des opérateurs
privés à exploiter des dispositifs du type centrales nucléaires,
est alors né le lobby nucléaire appelé village nucléaire au Japon
avec tout ce que ça implique…
-
Ahahahahah!
Encore le choeur des
anti-protons et des fans absolus de l’électricité thermonucléaire.
… de néfaste. Car n'en
doutons pas, Mizubayashi a une dent énorme contre le nucléaire
(mythe de la sécurité absolue, course aux profits de même), au
moins aussi énorme que celle qu'il a contre les hauts fonctionnaires
d'Etat qui ont allègrement joué de la pantoufle en passant du
public au privé et vice versa, et enfin contre l'emprise du fric que
tout ceci a généré voire impliqué et qui a donc paralysé la
machine, cet Etat si naturel.
-
Ouhhhhhhhhhhhhh!
Les deux choeurs,
toujours.
Nous sommes entrés dans
l'ère du mensonge et de la bêtise…
-
Comme tu y vas Mimi!
Tu te présentes aux élections?
Ça n'est pas moi qui dit
cela, bien sûr, mais Mizubayashi, toujours. Mensonge quand on
raconte aux gens que tout est sous contrôle, que rien n'est
contaminé, ni les petits poissons, ni les jolis coquillages, ni les
poulpes roses à boutons blancs, et bêtise même quand, lors du
discours du 16 décembre 2011, le premier ministre a déclaré
qu'avec l'arrêt des réacteurs à froid, tout était rentré dans
l'ordre.
Bon, la piscine du
réacteur 4 menace juste de s'écrouler, il y a encore plein de
fuites, un peu partout, on balance des singes équipés de
radiamètres dans les arbres de la zone interdite mais à part ça,
tout va bien!
-
Ah mais Mimi tu es
bien contente d'avoir du courant pour écrire toutes tes conneries
non?
Je serai surtout contente
que mes enfants, voire moi-même, puissent vivre aussi longtemps que
toi, maman.
Et pof.
En bref, une conférence
qui après des journées à ramasser des miettes, essuyer des fesses,
régler des conflits à propos de legos, camions, pousseurs ou
tabouret convoités par deux billigérants, la plus petite n'étant
pas la moins féroce, m'a rudement fait du bien à l'esprit (euh
peut-être pas au moral).
Pour aller se requinquer
avec Ana Freud on a été dans un yakitori plein de fumée et de
costumes bleus, afin de taquiner du boeuf irradié tout en se payant
pour la forme un petit djishin (tremblement de terre) pas
piqué des hannetons mais bon, comme dirait l'autre, on ne va pas la
ramener après ce qui s'est passé à Toulouse saucisse et son école
de petits kipatés assassinés comme des quilles par un qui ne
devait pas avoir une vision fort large du contrat social.
