La passion sakura

Dites moi en toute
sincérité. Regardez-vous de près les cerisiers en fleurs de par
chez vous? Voire, étalez-vous une toile plastique à leurs pieds
pour y pique-niquer après vous être photographiés en famille sous
leurs pétales blancs (ou rose saumon).

  • Bien sûr que non
    Mimi! Tu sais bien que boulevard Arago il n'y a que des
    marronniers… qui aurait l'idée saugrenue d'aller faire dînette
    sous leurs feuillages parmi les crottes de chien! D'ailleurs à quoi
    reconnait-on une fleur de cerisier hein?!

Bonne question, Maman. En
effet, je me suis obstinée à considérer les pétales de cerisiers
comme des fleurs de prunier pendant une dizaine de jours jusqu'à ce
que des okaasan de Mastumura corrigent mon erreur. Tout ça parce
qu'on avait cessé de me dire que le printemps était en retard et
que l'on ne verrait pas de cerisiers en fleur avant euh juillet, ou
juin, disons fin mai si ce n'est…

  • Bon et alors Mimi,
    tu ne vas pas nous bassiner avec tes pétales pendant mille ans non?

La voisine, par dessus
l'épaule de la grande Simone, serrant contre son sein un géranium
qu'elle vient d'acheter au marché.

Eh bien si, je vais vous
bassiner avec les sakura, ou cerisier, ou cherry blossom, vu que
c'est TRES important au Japon. C'est presque aussi important que
que… l'Empereur.

  • Non?!

Si. C'est même un
rituel, organisé j'allais dire mais c'est toujours inutile d'ajouter
cet adjectif quand on parle de rituel, qui plus est japonais. La
floraison des sakuras est lancée le 4 avril, et tant pis s'ils sont
en retard. Ce jour là, des tas de salarymen posent leur journée (ou
plutôt, se voient offrir leur journée par leur patron, que dis-je,
par leur pays aux sakuras reconnaissant) pour venir se tirer le
portrait entre collègues ou en famille sous les pétales de neige
puis manger et boire, et boire encore, et boire toujours, sous les
banches, de plus en plus couchés dessous… Vu que A les retrouve
parfois le matin ainsi quand il traverse le parc pour aller bosser,
après les avoir vus, le soir, au retour du travail, installer leur
bâche plastique et sortir leurs bouteilles de gingin.

A ce propos, la boîte de
A ce jour là, le 4 avril, avait réservé un emplacement sous un
arbre d'un parc à Kudanshita, où elle a ainsi logé quelque 100
salariés qui ont bu du mauvais vin et mangé des haricots froids par
une nuit plutôt frisquette mais enfin c'était le jour J et tant pis
pour les Français frileux. Monsieur Silicone san aurait bien réservé
plus tard cet emplacement mais toutes les dates étaient prises,
autant dire que ça défile ferme en terme de salarymen et d'office
ladies sous les branches de plus en plus alourdies de pétales des
sakuras tokyoïtes.

  • Et euh… c'est
    joli?

La voisine, dubitative.

Ma foi, oui. On dirait un
nuage de neige autour de l'arbre, et quand ils (les cerisiers) se
suivent dans une allée, par ciel bleu et soleil aux heures
délicieuses, c'est effectivement beau comme un tableau école Monet.

Tout le long du mois
d'avril, avec un pic le week-end de Pâques (c'est ainsi cette année
et c'est un hasard), les Japonais défilent en famile ou en
département sous les branches de cerisiers où, après la photo
rélementaire, ils ouvrent leurs bentos et boivent comme des trous.

Les Japonais sont
tellement attachés à cette activité rituelle qu'ils lui ont trouvé
un nom : o-hanami. Hana, de fleur, et mi, de
miru, regarder. Regarder-les-fleurs donc.

  • Merci Mimi, on
    n'avait pas compris!!!

Une amie, peu bucolique,
qui, les cerises, les préfère dans son assiette plutôt que pendues
aux branches sous forme de fleurs. Sauf que ces arbres là, ne
donnent même pas de cerises, juste des fleurs, en une sorte de geste
gratuite de Dame Nature.

Le 4 avril, je me suis
pour ma part rendue comme d'habitude au Yoyogi Koen, notre parc, et
j'ai trouvé notre pelouse où nous jouons au ballon(le Zébulon) ou
au râteau (la Zouflette) envahie par des tas de bâches au bleu
électrique réglementaire, avec des familles, des bureaux entiers
qui pique-niquaient dessus. J'avais complètement oublié que c'était
le jour J et que forcément, les Japonais n'allaient pas le rater.

Seule, assise sur la
pelouse, mes deux enfants jouant non loin, j'ai réalisé qu'il y
avait une bâche sur laquelle se trouvaient certaines de ces mères
de Matsumura qui se feraient hara kiri plutôt que de m'inviter à
euh danser un rock endiablé, par exemple. Ça m'a fichu un de ces
coups…

  • Ah bon mais
    pourquoi? C'est des nazes non?

Une amie compatissante.

Certes mais c'est que tout le
monde buvait et riait, mes enfants avaient trouvé deux puis trois
jolies jeunes filles de 20 ans pour jouer avec eux, une grattant le
sol avec le rateau, l'autre caressant les cheveux de la Zouflette
d'un air aussi émerveillé que si ma fille était un ange descendu
d'un sakura, et l'autre remplissant le sceau de mon fils. Bref,
j'étais seule, avec mon carnet de vocabulaire japonais, nakunaru,
mourir, mais pourquoi diable apprenais-je de tels mots?!

Derrière moi, un groupe
d'une vingtaine de personnes s'était mis à danser de façon
mi-martiale mi-modern jazz, l'ambiance était donc à la liesse sauf
de mon côté… Et je n'avais même pas une bouteille de vin à
descendre!!

Bon ensuite, j'ai entamé
une discussion un peu chaotique en japono-anglais avec une des jeunes
filles fans de mes mioches, Midori, qui m'a demandé si les Français
buvaient aussi…

  • Bien sûr que non
    Mimi, nous ne nous saoulons pas dans les parcs nous!

Juste dans les bars et en
famille, en toute occasion, sakuras ou pas. Ensuite elle a été bien
étonnée (ravie? sidérée? envieuse?) d'apprendre que les hommes
français rentraient généralement directement chez eux après un
travail qu'ils quittaient vers 19h00, sans passer par la case bar
pour se saouler avec constance. Elle a de même été fort étonnée
(déçue? attristée? frustrée?) d'apprendre que non, en France, on
ne chantait pas seul ou en groupe, ou qu'on ne dansait pas en cercle
concentrique épais comme le groupe derrière nous s'était mis à le
faire, dans nos parcs et jardins.

De façon générale,
chère Midori san, nous ne fêtons pas particulièrement la floraison
de nos arbres quels qu'ils soient, cerisiers ou autres.

Ensuite, le jules d'une
des autres filles, m'a expliqué avec une haleine chargée (et pas
que de sakuras) qu'ils bossaient tous dans la même boîte,
Anniversaire, à Omote sando, les gars au bar, les filles au
département Mariage (cachez ce cliché que je ne saurais voir). Et
qu'ils étaient tous venus ce jour là, ensemble, fêter joyeusement
la floraison de leurs chers sakuras. Ensuite, il m'a expliqué
longuement quelque chose au sujet de temples à Kyoto, une histoire
de fenêtre, il m'a dessiné à plusieurs reprises un carré dans
l'air avec un geste très catégorique et j'ai senti alors ce que
tout étranger de bonne volonté intégrationniste ressent.

Une forme de désespoir
affectivo-communicationnel. Soit on est seul car personne ne vous
parle. Soit on vous parle et on entrave que dalle ou presque.

C'était aussi frustrant
que que… un sakura privé de floraison tiens (et je n'ai même pas
pu placer le verbe nakunaru, c'est dire).

Heureusement, il y avait
les petits, les garçons s'amusant à poursuivre et à soulever dans
les airs le Zébulon, les filles jouant à la poupée avec la
Zouflette de plus en plus crevée et qui me lançait des regards du
style Je commence à saturer des sakuras et des papouilles, tu
pourrais peut-être me coucher dans ma poussette non? Ce qui fait que
l'on (je) n'étais pas obligé de parler fenêtres, temples et
rituels d'entreprise, juste d'âge, de prénoms et aussi un peu la
vie son oeuvre de mon salaryman de mari.

  • Nihonjin wa
    hatarakisugiru to omoimasu…

Je trouve que les
Japonais travaillent trop. J'ai réussi a articuler en matière de
conclusion. Moi aussi, a répondu avec enthousiasme un des jeunes
types (pas mal du tout au demeurant) avant que de boire à sa
bouteille (ils boivent aussi un peu trop les Japonais).

On a fini par des photos,
en coeur, et j'ai promis de passer les voir un jour à leur boutique
sauf que je ne suis pas sûre que je les reconnaîtrai et que je ne
vois pas ce que j'irai diable foutre au département mariage pour
pouvoir rencontrer les filles.

En tout cas, voilà un
bon moment comme je les aime, un poil anthropo, un autre affectif le
tout relevé d'une bonne pincée d'exotisme certes contrôlé, tout
ça sans plus penser aux mères de Matsumura qui m'avaient même pas
invitée à boire sous leur arbre.

  • Bon et alors, le
    week-end du pic, vous avez fait quoi?

Ma mère qui aimerait
bien que la voisine reparte avec son géranium rouge électrique.

Le dimanche, en matière
d'exotisme certes contrôlé, on s'est retrouvé à la sortie ouest
de Shinjuku à marcher en compagnie d'une foultitude d'individus de
tout âge et de toute nationalité transportant paniers et/ou sacs
plastiques. Un peu le genre de foule que l'on peut trouver à la gare
saint Lazare un matin vers 9h00…

  • J'espère que tous
    ces gens ne vont pas au Shinjuku Goyen…

A a marmonné. Bien sûr
que si, ils y allaient tous, ou presque, quelques uns, très peu, ont
bifurqué sur Gap, ou un resto de soba ou bien sur Yodobashi pour
aller s'acheter une tronçonneuse (à branches de sakuras?).

Devant le dit jardin, il
y avait une queue digne d'un concert gratuit de Mickaël Jackson ressuscité (après tout c'était Pâques!!). J'ai voulu tourner les
talons (faire la queue moi? Jamais!) mais le trader
incompréhensiblement cool sympathique et gentil, avec sa petite
famille franco-jap nous a hélés, il y allait aussi, rejoindre le
même groupe d'amis.

  • Franchement Mimi, tu
    as de ces fréquentations…

Une amie cégétiste
mélanchonnée.

  • Faire la queue pour
    voir des arbres en fleurs je n'aurais jamais cru ça de toi!

La voisine de la grande
Simone, morte de rire, son stupide géranium tressautant contre sa
gorge basse, pétasse.

Oui bon ben je m'adapte
hein, et socialement et rituellement. En plus, une fois dedans, je ne
dirai pas qu'il n'y avait pas un chat mais bon, on pouvait marcher
sans (presque) se toucher et si les pelouses étaient certes plus
proches de la côte d'Azur que du cap Corse par avis de fort vent, on
pouvait tout de même s'y asseoir en y étalant largement sa bâche
bleue réglementaire.

L'alcool était interdit,
on avait fouillé nos sacs façon encouragement à boire, et
d'ailleurs ça buvait. Au retour, une femme complètement saoule a
même fait exploser sa bouteille de vin juste devant nous en la
lâchant sur le bitume… Car oui hommes et femmes sous un sakura
sont tous égaux devant l'alcool.

  • Et les sakura, ils
    étaient comment?

Euh très beaux. Epanouis
même. Des nuages blancs et rose clair, comme des apparitions
fragiles car éphémères (dans deux-trois semaines, couic). J'ai
juste complètement oublié de faire des photos entre la Zouflette à
appréhender dix kilomètres plus loin, la conversation en français
avec les collègues de A, en anglais avec la collègue jap Koko dite
Koko les gros nénés (anglais impeccable), en japono-anglais avec
les autres.

On est rentrés fourbus
de soleil et de piétinement debout sur la pelouse, le ventre une
fois encore rempli de cochonneries (chocolat, chips au curry, onigiri
à la feuille d'algue nucléaire…) mais c'était bien chouette.

J'attends de voir si pour
la chute des pétales, quelque chose de particulier est prévu…

  • Oui! La saison des
    pluies Mimi! Au Japon on dit que la saison des pluies arrive ensuite
    car on est triste de voir le printemps avec ses beaux sakuras s'en
    aller… Il va pleuvoir pendant des jours et des jours d'affilée!

Yuko Tanaka san, qui aime
à boire tout le mois d'avril sous les cerisiers de Tokyo et encourager le moral météorologique.

Matane!

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