Interlude

Yoyogi
koen, un jour de pluie. Une femme habillée d'un tailleur strict, droite comme un
i sous son parapluie, chante ou plutôt enchaîne inébranlablement ses vocalises
alors que la pluie et le vent secouent son parapluie aussi sombre que son
tailleur..

Au
Japon il convient de ne pas attirer l’attention sur soi, certes… mais apres
tout, au Japon, chanter seule sous la pluie n’est peut-être pas une façon
d’attirer l’attention sur soi ?

Yoyogi
koen toujours. Une jeune femme promène trois chiens du style caniche laid,
habillé chacun d'un jean délavé et d'un débardeur à dentelle, une barrette rose
retient en frange les poils de l'un d'entre eux (la fille des triplés?).
D'autres jeunes femmes se promènent ensemble avec chacune leur chien, comme de
jeunes mères tout juste rentrées de couches, parfois on voit une tête de chien
dépasser du giron d’une de ces femmes, confortablement installé dans son
écharpe de portage, tel un bébé, il cherche à regarder au dehors. On
s'attendrait presque à voir la mère euh la maitresse s'arrêter pour lui donner
le sein sur l'air de Quand Yoko dégrafait son corsaaaage pour donner la
gougoute à son chien


Mardi,
jour de chorale à Mastumura, fin de la répétition, tout le monde se plient dans
salutation pétrie de respect et de reconnaissance éperdue pour Sakurai sensei
avec un non moins éperdu Arigato gozaimashitaaaaa (merci
beaucouppppppppppppppppp). Presque aussitôt, du fond de l'église, surgissent
trois des nôtres avec un balai qu'elles passent et repassent sans cesse là où
nous nous sommes tenues, ramassant on se demande bien quoi puisque Sumiko
sensei, la nouvelle directrice tendance omniprésente, nous a interdit de manger
ou de boire dans l'église, avec un laïus d'au moins 5 minutes que l'on m'a
traduit par un sobre, no food no drink by now.

On
pourrait croire que nous sommes des sortes d’intouchables malpropres dont il
faut à tout prix effacer la moindre preuve de présence en ces lieux sacres.

Yuka
sensei, ma prof de japonais, près de l'ordinateur de A où je l'ai conduite pour
lui demander conseil à propos de manuels à acheter. Je vois bien que quelque
chose la turlupine… soudain, n'y tenant plus, elle tend la main et remet le
tapis de souris dans le bon sens, je regarde, c'est un kanji, chose que je
n'avais jamais vraiment remarquée je dois bien avouer (ben oui la souris est
toujours posée dessus), le kanji du mot amour me traduit-elle… mot qui,
visiblement, ne doit jamais être lu à l'envers.

A la
caisse du Ok market, une nouvelle caissière prend chacun de mes articles en
énonçant à toute vitesse ce qui me semble bien être le nom de l'article ainsi
que son prix… Une petite faveur de mon supermarché pour que je progresse en
japonais des courses? A la fin, elle se saisit à deux mains de mon billet de 10
man (environ 100 euros) qu'elle me montre en me le nommant cérémonieusement
comme un enfant qui viendrait de naître ou le corps de Jésus à la messe quand
j'y allais encore (mais de fait, ils font tous ça avec l'argent), puis elle le
couche avec tendresse dans son tiroir-caisse et avec autant de prévenance que
de respect, elle compte ma monnaie, 3 billets de 1000 yens, devant moi, qui à
chaque fois opine du bonnet d'un air pénétré.

Et
avec tout ça, elles sont plus rapides que les caissières françaises, allez
comprendre pourquoi.

Mame
Michu, deYokohama ken (département) arrivant chez Ana Freud, de retour depuis 4
jours à peine d'une semaine un peu éprouvante de post-accouchement à Aiku,
hôpital où la propre belle-fille de l'Empereur a pondu son dauphin,
établissement super ultra moderne à la pointe… quoique puissent laisser croire
le papier peint province-seventies sur les murs, les toilettes au bout du
corridor (10 bonnes minutes de marche, avec une césarienne compter le double)
et la hiérarchie écrasante qui fait que pour essuyer une fesse de bébé il faut
demander à trois personnes au moins leur aval.

Bref.
Ding dong. Ana Freud va ouvrir, le ventre un peu douloureux, son
bébé-qui-grossit-pas-dort-tout-le-temps dans les bras… et trouve une mame
Michu à moitié effondrée contre le chambranle.

                   
Ohlala ça va pas?

                   
Ah Ana… je n'aurais dû venir… excuse-moi…

                   
Non non ne t'inquiète pas, je me sens en pleine
forme…

 La rassure Ana Freud, qui se sent soudain
presque en pleine forme effectivement.

                   
Non non, je n'aurais pas dû… je suis
épuisée… j'ai mes règles tu comprends et j'aurais dû rester couchée chez
moi…

(La
Japonaise est pudique pour ne pas dire coincée).

                   
Ah…

Ana
Freud partagée entre le rire et la compassion.

                   
Mais comme ma mère nous avait préparé les
bentos… c'est très important les bentos et que tu dois manger beaucoup comme
tu allaites… je me suis dit, je DOIS y aller… il FAUT que j'y aille…

                   
Certes… 
entre donc justement…

Mame
Michu se traîne dans le séjour et inspecte tout quasiment à la loupe (la
Japonaise est discrète pour ne pas dire timorée).

                   
Oh mais c'est nouveau ça… ah et ça vous l'avez
changé de place? Pourquoi? Je peux éteindre la musique ? Je déteste avoir
de la musique en bruit de fond… oh mais dis-moi t'as pas maigri du tout! T'es
toujours aussi grosse… c’est comme Hervé… C'est pour ça qu'il s'inquiète que
Lilichan ne mange pas hein c'est ça? 
C'est parce qu'il est gros?

(La
Japonaise est très polie voire obséquieuse).

Puis
plus tard, dans la cours d'école.

                   
Tiens Mimi, comment ça va? Pof (une tape sur
l'épaule), t'as vu mon mail pour le Tabuki, pof (retape sur l'épaule), je sais
c'est cher mais la salle est super… ah vous êtes pas là fin juillet… quel
dommage… mais tu sais quoi pof (reretape sur l'épaule), comme vous restez
encore un peu au Japon… on ira en 2014 à la réouverture pof (rerereretape sur
l'épaule) du super théâtre de Tabuki de Ginza actuellement en travaux… c'est
un théâtre spécialisé… il faut compter 10 000 yens la place et pof
(rerereretape sur l'épaule)…

(La
Japonaise évite au maximum le contact physique, y compris avec elle-même)

Ainsi,
à elle seule, Mame Michu contrarierait presque tous les clichés sur les
Japonais si elle n'était pas [raisonnablement] chauvine, rigide et
autoritariste, ouf.

Une
femme encore jeune disons pas encore trop vieille court à 8h00 du matin dans
les rues de Hatsudai entre poubelles, enfants se rendant à l'école et salary
men se hâtant vers le métro. Tous la regardent comme si une sorte de soucoupe
volante l'avait déposée par erreur dans leur quartier. Ces gens-là sont
véritablement obsédés par le sport et la forme physique pour courir ainsi un
mercredi matin dans les rues sous la pluie…

                   
Ben ça alors Mimi san, qu'est-ce que tu fais là?

                   
Euh, rien… je cours comme tu peux voir…

                   
T'as raison, t'as grossi ces derniers temps et à
ton âge il faut faire attention…

Mame
Michu depuis Yokohama.

La
liste n'est bien sûr pas exhaustive mais comme dirait mame Michu, c'est pas le
tout, faut que j'aille changer mon tampon.

Matane!!

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