L’art et la maniere made in Matsumura (… et in Japan)

Depuis quelques temps, sans doute pour accrediter ma parano matsumurienne (personne y ne m'aime), Miki sensei, la maitresse de Zebu, une petite brune a queue de cheval et a lunettes facon Secu, a pris l'habitude quand je vais rechercher le Zebu, de m'accueillir avec un large sourire… puis d'articuler d'un air ennuye un, chotto matte mama… attendez un peu la mama… Le temps qu'elle redonne leur propre enfant, a chacune des meres qui pietinent derriere moi.

Car il faut savoir que les choses se passent ainsi a Matsumura. Nous (les meres) allons rechercher notre tresor en uniforme a 14h00, lequel de tresor nous attend avec tous les autres, assis sur le sol d'une classe ouverte sur l'exterieur et toutes, nous faisons la queue pour le recuperer… ce tresor que la sensei tient a nous remettre en mains propres.

Pas question de liberer les enfants au coup de cloche dans la cour ou les meres viendraient progressivement les rechercher.

Je gage que cette coutume s'appuie a raison sur le fait que si les choses etaient ainsi, nombreuses serions-nous y compris Japonaises depuis l'ere Heian (c'est super vieux ca) a venir recuperer notre merveille a des 14h10,15 voire 30, etant donne que la merveille en question, le plus souvent, veut rester jouer dans la cour de l'ecole qui reste ouverte jusqu'a ce que la derniere mere soit tombee (en fait a 17h00, ce qui veut dire que l'on peut rester, en cas extreme, 3 heures de plus sur les lieux).

Ensuite, le fait que l'on reprenne en mains propres son enfant de celles de la sensei permet a celle-ci de faire ce que les infirmieres et les militaires appellent la transmission, c'est a dire de nous dire si tout s'est bien passe (en fait en ce cas c'est juste bonjour et au revoir), ou si quelque chose a cloche.

Et ne concernant, beaucoup de choses semblent clocher.

  • Mimi, ne te laisse pas ecraser le tatami par ces individus rigides!

Ca c'est ma mere, qui commence a avoir les Japonais dans le tarbouif depuis qu'elle a lu que la derniere feministe nippone s'etait eteinte dans le metro qui la ramenait de son plan de carriere a son foyer single hormis son chien habille en Gucchi assis devant l'ecran plasma, bonus du mois de juin, chagrin.

En effet, est-ce un signe de mon integration? Ou bien au contraire de mon irreductible difference? Desormais, presque tous les jours, j'ai droit a mon, chotte matte mama, ou bien a une courte remarque/critique rapidement delivree (enfin ca depend de mon niveau de comprehension)… tandis que le Zebu a deja file, envoyant valser bel uniforme de couleur kon (prononcez konne, ca veut dire bleu marine), chapeau, sac et gourde parfois sur les pieds des autres meres attendant derriere mon dos.

  • Bon eh bien ca avance ou quoi?
  • Poussez pas, c'est encore la gaijin qu'a des soucis!
  • Ah celle la vivement qu'elle craque et aille enfin inscrire son gamin a l'ecole francaise!
  • Tu plaisantes? Elle veut aller jusqu'au bout! Elle veut meme inscrire la petite soeur l'annee prochaine!
  • C'est pas vrai! Y en a qui ont la comprenette difficile!

Etc, etc.

Les critiques ou remarques que Miki sensei a a me faire sont de differents ordres. La premiere a commence par un fait de conduite de mon Zebulon.

  • Aujourd'hui, Zebulon kun wa LLLPPPnnnnnn yuki chan gedo jqlllslslld desho?

Euh….

J'ai lentement repris a partir des mots que j'avais reussi a saisir et a force de gestes et de mimes j'ai fini par comprendre que, tragedie du mois, Le Zebu avait pousse, sans le faire expres certes, une petite de Hanagumi en courant pour grimper fissa pousse toi de la au toboggan. La petite s'etait cogne le front bing contre une barre qui passait par la et avait eu mal.

Ah.

A ce stade, j'ai pense que m'excuser platement apres avoir demande des nouvelles de la petite Yuki suffirait amplement. En effet, en arrivant j'avais croise la petite en question, elle etait souriante et ne presentait aucun stigmate meme sous la forme d'un simple pansement sur le front, elle etait donc en vie et en bonne sante. Mais Miki sensei, ce jour la, enragee dans son sourire d'ex jeune fille modele, agitant sa queue de cheval, a insiste, chotto matte mama… car quelq'un l'appelait et elle devait aller sumimasen mama voir ce qu'il en retournait.

  • Tire toi Mimi! Cours!
  • Te laisse pas faire! Tire lui sa queue de cheval!
  • Mimi, ton fils est une brute, quand te decideras-tu a lui administrer de la valeriane chaque matin dans son chocolat chaud?

Miki sensei est revenue pour m'entrainer vers… la petite Yuki et sa mere, qu'elle a happees en leur disant quelque chose…

  • J'ai chope la mere de la brute, on va lui faire sa fete… ?

Et la, elle a repris de A a Z le fait du drame avec la mere qui faisait ses airs d'eploration rituelle tandis que la petite… souriait pleinement. Elle a insiste sur le choc a la tete, geste de la main, et j'ai compris qu'il fallait que je me penche sur le front de l'enfant… ou je n'ai rien vu qu'un front avec de la peau et un jour, tu verras mon enfant, des boutons laids d'acnee et puis des rides quand ensuite ce sera l'Halzeimer derriere tout ca et pour finir la cremation au temple bouddhiste avec l'urne rangee a cote de celles de tes ancetres.

J'ai repris mes sumimasen, demandant a la petite si ca allait et essayant d'avoir l'air sincere en me penchant sur le front… mais ayant passe une matinee a calancher sur la didactique avec une Zouflette qui voulait tourner les pages vite vite, j'etais de mauvaise humeur et j'ai senti que prendre la mere pour taper sur la sensei tout en donnant un coup de pied a la gamine n'aurait fait un petit peu de bien.

  • Eh bien Mimi, ne cherchons plus, on sait d'ou vient la violence du Zebu!

Certes. Ensuite, deboussolee par tant de dramatisation de cette banale affaire, j'ai demande par acquis de conscience si le Zebu s'etait excuse, oui bien sur, elle m'a dit, il a dit Gomene… Bon ben alors qu'est-ce que tu veux de plus? Il ne l'a meme pas fait expres! Quand a la maison, parfois, il s'asseoit sur sa soeur apres lui avoir vole sa poupee et la oui on peut dire, sa brutalite est volontaire et nous reunissons alors avec son pere le Conseil de Securite afin d'agir de facon adaptee et appropriee (une claque).

Apres une ultime courbette, je suis repartie fumace, avec a peine l'envie de sermonner mon fils qui jouait follement avec sa brouette, pret a fendre en deux celui qui oserait la lui voler, et quand je lui ai fait remarquer que ce n'etait pas une bonne idee de courir sans faire attention et de renverser des mineures sur son passage (vu que c'est sur moi que ca retombait) il m'a juste dit d'un air etonne que la petite n'avait pas beaucoup pleure… ce qui ne m'etonne pas car son front etait intact.

Le lendemain, rebelotte. Chotto matte mama… bon mais j'etais la derniere donc je n'ai pas vraiment eu a attendre… Zebu wa jkkkdll;jjjkekwlwl trucmuche kun…

Ah. Le Zebu avait donc, toujours sans effet de volonte de sa part, en jouant avec une corde qui passait par la, frappe le visage de truc muche kun, le petit frere d'un gamin de sa classe, bidullle kun. Et ce serait bien que je demande a la mere quand je la verrai comment il allait (tout en m'excusant bien sur mais ca je ne le precise meme plus), mais ca ne pourrait etre que demain car ils etaient deja partis (porter plainte?).

Je veux bien j'ai dit, mais de qui s'agit-il? Qui est truc muche kun, qui est bidulle kun et qui est trucmuche kun to bidulle kun mama??

Toute a sa mission de pacification des bonnes moeurs, Miki sensei a promis de me montrer demain aux premieres heures, et la mere et l'enfant, tandis que moi je pensais in peto, cause pepette, demain est un autre jour. J'ai juste bravement rassemble mes fiches interieures de vocabulaire pour lui expliquer combien je trouvais ca etrange, moi Francaise, que l'on fasse autant d'histoire de de…

  • Ouille ouille Mimi san, vous mettez les pieds dans le jugement culturel… gare!

… mais, je me suis vite repris, je comprends que chez vous ce soit different, meme si l'enfant n'est pas blesse, on s'excuse, quand chez nous sauf cas grave, on n'intervient pas… alors promis j'irai m'excuser, sumimasen gomene et tralala.

J'ai fait son sourire de gaijin de bonne volonte et je suis partie faire le poireau double d'un flic dans la cour de recre car bien sur, le Zebu dit la Brute, voulait rester jouer tandis que sa soeur elle s'amusait follement avec la corde en question, si je me la mets autour du cou, est-ce nipponement correct??

Quand j'ai raconte mes deux mesaventures a Ana Freud, j'etais au bord de l'implosion thermonucleaire. Celle-ci s'est exclame, ah les gros cons on va tous les buter, mais non, ca n'est pas le genre d'Ana Freud, elle est plus delicate et temperee, alors elle a reflechi avant de m'enoncer lentement…

  • En fait, tu sais ce que je pense… c'est que ce n'est pas tant ce qu'a fait le Zebu qui compte, puisque c'etait sans consequence… et ce n'est meme pas lui qui est vise par ces critiques… mais toi! La mere! C'est du pur controle social! On te fait bien remarquer combien tu es une mauvaise mere ou du moins, combien il te reste de choses a faire pour que ton enfant soit socialement integre dans le groupe, ne tapant ni ne bousculant…

Et je dois avouer que cette vision des choses m'a semble fort futee. Cela expliquerait ainsi pourquoi, alors que rien de grave ne s'etait produit, il convenait de convoquer la mere et de la confronter a la victime de son fils (la mere de l'enfant bouscule bien sur).

Quand j'ai ensuite raconte ca a Erica san, la mere de Lulu kun, un gamin de la classe du dessus qui lui aussi est une brute agitee, qui raffole du Zebu meme s'ils se maltraitent mutuellement, elle a compatit, secretement heureuse j'en suis sure de voir une autre mere aux prises avec le meme traitement de redressement social qu'elle-meme et son fils, mi-japonais, mi-americain.

  • Les meres japonaises sont trop sensibles avec leurs enfants… elles reagissent immediatement a la moindre broutille comme si c'etait d'elles dont il s'agissait! Certaines sont litteralement branchees sur leurs enfants!

Elle a constate pour la enieme fois.

  • Tu sais… j'ai une amie dont le fils embetait toujours un enfant… cette amie ne cessait de s'excuser et plus le temps passait, plus elle se sentait mal, de plus en plus mal concernant la conduite de son fils… et tu sais ce qu'elle a fini par faire?

Euh, hara kiri?

  • Eh bien elle a fini par se rendre chez le confiseur le plus huppe de Tokyo ou elle a achete une enorme boite de bonbons qui coutaient extremement cher… et elle s'est rendu a genoux les cheveux sur le visage chez l'enfant victime de son fils pour l'offrir en sanglotant des sumimasen a la mere… qui a daigne les accepter… C'est de la folie! Jamais je ne pourrais faire ca!

A conclu Erica d'un air tendu car elle surveillait que son Lulu kun n'aille pas une fois encore frapper un autre enfant par jeu ou par impertinence, ce qui peut etre un jour lui vaudrait d'acheter une boite de carambars importes de France et donc super chers.

Question controle social, il n'est pas faux de dire que Erica, en tant qu'autochtone, mais peut etre aussi d'autochtone mariee a un gaijin, a en quelque sorte le delit de sale gueule, ce qui fait qu'elle est deux fois plus controlee que moi. Et surtout, les remarques des sensei et des meres, elle les comprend quand moi, non, et elle se sent visceralement atteinte, ou exasperee selon les jours, quand moi, je peux toujours me dire, mon Royaume n'est pas de ce monde.

  • Tu sais je me sens plus proche de la facon de penser occidentale… c'est sans doute pour ca que j'ai epouse un Americain…

M'a-t-elle dit une autre fois.

Le fait est qu'outre sa relative passibilite face aux heurts de la vie sociale des enfants faite de coups et de disputes (il faut que jeunesse se fasse ou se passe…), elle a du mal a se re-adapter apres trois annees en Australie a ce subtile controle social fait de critiques implicites voire explicites que les meres ont a subir. Et par dela, en general, a cette facon de proceder par non dits, regards ou gestes, tendant a montrer combien votre enfant, ou bien vous-meme en d'autres situations, perturbe le jeu social, fait de relations temperees (sumimasen, gomen nasai et gomene) et de cris rentres (ta gueule morue).

Et puis bien sur, quand on pense bonne mere, on pense a bon bento, et quand on pense a bon bento, on pense a joli bento. Et en cela ma faute est lourde, meme si A des fois s'y colle et remporte un certain succes avec ses petits onigiris roules dans du nasigoren.

Et comme j'ai la comprenette parfois rouillee, quand Miki sensei m'a dit un jour dernier que le Zebu avait mange tres lentement ce jour la sa bento, je me suis lance dans des explications comme quoi il etait fatigue et avait du mal a s'endormir en ce moment le soir… avant de realiser, plusieurs heures apres, que le message etait en fait, ton bento etait degueulasse aujourd'hui la mama, gare a ce que cela ne se reproduise plus.

Du coup, je commence apres plus d'un an, enfin, a analyser de plus pres ce que l'on me dit… du moins, quand cela sort d'une bouche japonaise, en essayant de decrypter ce que veut me dire en fait la personne. Et croyez-moi, ce mode de communication, ca n'est pas une sinecure, surtout avec mon niveau de langue.

En tout cas, ma parano episodique et naturelle a de tres beaux jours devant elle…

 

 

Leave a Reply