Ca y est, les Freud-Curie sont repartis au pays, les femelles du moins. Pierre Curie récure l’appart expérimente les sofas et lit de camps de son laboratoire (il y a parait-il à la fac une foultitude d’espaces dit morts que l’on a aménagés en petits coins salons que les dormeurs utilisent volontiers) et nous transmet non sans une certaine jubilation les niouzes du moment, la pollution de ces foutus Chinois nous arrive dessus et « ce sont les pires particules qui traversent l’océan » (évidemment).
Avec A on a décidé de traiter ca par le mépris sauf que la veille du week-end, le dernier de Pierre Curie sur le sol nippon, l’ambassade de France nous a envoyé un message d’alerte car le nuage était sur le point d’arriver, bourre de ces éléments qui raffolent des vieux et des petits enfants. Nous voilà donc comme les Pékinois, le masque sur la figure (sachant que cela ne sert à rien) et à essayer de faire garder un masque au Zebu et a la Zouflette, ce qui relève du défi du siècle.
-
C’est quoi le rapport avec le titre ?
Aucun. C’est juste une mise en route comme on dit dans mes cours de FLE. Pour ne pas lâcher ce fil rouge qui est le nôtre depuis notre arrivée sur l’ile du Soleil levant : ABUNAI ! Attention, danger ! On avait déjà sur notre liste Fukushima, les tremblements de terre, nous pouvons ajouter aussi la pollution chinoise.
Alors, si je devais quitter le Japon et ses Japonais, soudain lassée des angoisses que ce lieu me vaut, que dirais-je donc de ses habitants ?
Qu’est-ce qu’un Japonais ? Dites-moi !
-
C’est un gars avec un attaché-case qui court tout le temps…
-
Qui travaille comme une fourmi ! Nuit et jour !
-
C’est un peuple de petits soldats bien dresses !
-
C’est une femme en kimono cerise qui marche à petits pas sur les dalles disjointes d’un temple millénaire…
-
C’est…
C’est un peu tout ça, mais vu à la louche, a la grosse en plus.
Alors, le gars avec l’attaché-case d’abord. Oui, il y en a, à la sortie des bureaux, une nuée de petits hommes et de petites femmes à talons plats tous de noir vêtus jaillissent sur les trottoirs et s’enfoncent en courant dans les bouches de métro comme si un géant avait tapé du pied près de leur fourmilière euh je veux dire de leur bureau. Shinjuku, à l’heure de pointe, c’est la Défense en mille fois mille.
Bon, alors déjà il n’y a pas d’heure unique de sortie de travail, en plus, tous ne s’engouffrent pas dans la bouche du métro, loin s’en faut, certains vont boire ensemble, parfois toute la soirée. On compte même en général trois soirées, la première la deuxième et la troisième que chez nous on appelle l’after car c’est à l’aube avec ceux qui restent encore debout au sens propre du terme. Les femmes y vont aussi, du moins à la première, si elles sont jeunes et sans enfants (si elles sont des enfants, en général elles ne travaillent pas ou alors se dirigent vers une crèche ou la maison de leur maman qui les lui a gardés).
Et puis il y a l’art et la manière de porter le costume ou le tailleur noir, donc exit la nuée qui ne serait que ça, une nuée.
-
Mais c’est une fourmi le Japonais Mimi ! Tu ne diras pas le contraire !
Je crois savoir que la fourmi est une grande travailleuse car elle travaille tout le temps. Or le Japonais ne travaille pas tout le temps. Forcement de 9 h 00 à 22 h 00, ça serait difficile… Il y a les réunions, les sorties de déjeuner, et surtout les micro-siestes (voire macro) tout le long du jour. Qui n’a pas un collègue qui au moins une fois dans la journée repousse ce qu’il y a sur son bureau pour y poser ses bras et enfouir son visage dedans et pioncer comme le nouveau-né après sa sortie du tunnel ?
-
Moi ! Le mien de collègue il dort la tête sur l’appuie-tête de son siège, la bouche ouverte !
-
Moi il a carrément un lit de camps !
Etc, etc.
Donc non, le Japonais est comme nous, il ne travaille pas comme une fourmi car il ne travaille pas tout le temps. En plus, le Japonais est capable de consommer d’un coup et beaucoup de ses yen, on dit souvent que sous ses allures d’homme ou de femme strict(e) et presse(e), c’est un jouisseur qui ne s’ignore pas, une cigale capable de se révéler chaque jour ouvrable qui se clôture, et qui sait ainsi croquer à ses heures dans la vie (qui souvent à la forme d’une tentacule de poulpe, d’un verre de saké ou d’un beignet de poisson appelé samosa).
Une chose est sure, c’est que globalement, fourmi ou cigale, au travail, il est moins efficace que le Français.
-
Ahaha la ca m’étonnerait ! Le Français est le moins efficace de toutes les races ! La faute à quoi ? Aux syndicats, à la CGT et à la RTT ! A mort la RTT, c’est d’elle que nous vient tous nos maux !
Eh non, désolée madame Parisot, je vous l’assure, le Japonais est tout sauf efficace. Chez Uniqlo, notre ancienne baby-sitter a cru frôler la folie Nothombienne (l’amour saphique en moi) en devant chaque heure ou presque, entièrement déplier et replier des piles de vêtements quand bien même déjà impeccablement pliées. Dans chaque entreprise ou presque, on trouve de ces façons de faire, de ces règlements qui sont pour le moins sinon sidérants, du moins incompréhensibles (et réciproquement).
En revanche, pour compenser, le Japonais est serviable et souvent perfectionniste. S’il fait son travail avec lenteur (compter 15 minutes pour un paquet cadeau) il le fait consciencieusement, avec grand soin, tout en ne cessant de s’excuser de vous faire attendre (o-matase shimashita). Il en pleurerait presque en vous tendant votre paquet et votre irritation (je n’ai pas que ça à foutre moi !) retombe aussitôt comme un piteux soufflé.
A la poste, quand les employés derrière le guichet sont en train de discuter alors que vous poussez la porte, non seulement ils s’arrêtent de bavasser mais en plus, ils vous saluent, ils vous sourient et ils s’occupent même de vous ! En France, si vous interrompez la conversation de 3 employés de bureau par une petite toux discrète, vous êtes cuit ! Vous le bourreau du lupum proletariat ! On va vous le faire payer vous pouvez en être sur !
-
Ah ca c’est sûr, avec de tels pions, on ne risque pas d’avoir ni grèves ni progrès social…
Il est vrai qu’on les imagine mal défiler pour protester contre quoique ce soit, mais si les salaires sont bas, la main d’œuvre est toujours nombreuse, il y a donc au moins aucune raison particulière de protester contre le manque d’effectif… contrairement aux services publics français qui, à ce propos, tirent légitimement la langue.
Par exemple, sur le vif en direct de Grenoble, Ana Freud a appris en rentrant en France que pour remettre le gaz dans leur appartement (il suffit de tourner une manette), il lui faut attendre… 10 jours (sans chauffage ni cuisinière pendant dix jours à Grenoble en février youpi), manque de personnel, madame, mais si vous payez 100 euros, le manque de personnel peut toutefois se déplacer un peu plus rapidement…
-
Tu files au mauvais coton, mimi ! C’est moi qui te le dis !
Oui maman, je sais mais ne pas attendre dix ans à la Poste ni être reçue ensuite par un sourire façon gilet pare-balles de CRS, c’est si bon !
Le Japon préfère donc employer les gens plutôt que de les voir s’immoler devant le Pôle emploi local. Il y a sans doute pléthore de jobs sans intérêt que l’on a sans doute raison de refuser en France (encore que) mais les moyens humains sont la (sauf dans les centrales nucléaires) dans les services, les transports, les magasins.
Donc, le Japonais fondamentalement passe beaucoup de temps au travail, aime faire ce qu’il fait, ce qu’il fait toujours (ou presque) avec le sourire et ne songe pas ainsi toutes les heures de sa journée à rouspéter parce qu’on lui avait dit 22 photocopies à faire et pas 25.
En plus, le Japonais, sauf drapeau blanc à point rouge confirme, est gentil avec tout le monde, étrangers compris. Il vous rend service gentiment, vous indique votre chemin gentiment et aime à donner, s’il est chauffeur de taxi, des bonbons à vos enfants qui attendant patiemment devant le hall que maman ait enfin cache tous ces cernes sous sa crème et mis son sent-bon pour dissimuler ses odeurs de blanche quadragénaire (car oui nous aurions une odeur parait-il). Le Japonais est aussi généralement très gentil avec les enfants car au Japon, peut-être parce qu’il y en a peu (et encore je trouve qu’on en voit pléthore des enfants !), on sait les apprécier…
-
Il faut te méfier mimi ! Les gens gentils sont les plus dangereux ! Surtout avec les enfants !
C’est ce qu’on leur dit, à nos enfants, avec l’impression d’altérer une gentillesse généralement véritable mais qui peut effectivement dissimuler de mauvaises intentions.
-
Et puis n’y aurait pas un peu beaucoup d’hypocrisie dans cette gentillesse ?
Une employée de bureau finaude qui ne sourit que deux fois par an (c’est le quota).
Hypocrisie, je ne sais pas, quelque chose de mécanique parfois, dans les formules surtout, c’est fort possible. Disons que parfois on aimerait moins de bonnes manières automatiques dans les propos et la façon de faire, et plus de gentillesse concrète… genre je vous aide à porter votre poussette de 25 kilos dont 14 de Zouflette dans le métro au lieu de vous sourire bêtement en vous dépassant à vive allure en bredouillant la formule rituelle, o-sakini shitsurei shimasu (je me permets de passer devant vous).
Et puis, s’ils sont gentils, ils sont aussi rigides, ça n’est pas un mythe ni un préjugé, loin s’en faut. Car c’est ça qui revient souvent avec notre Japonais moyen. La rigidité. Pas forcément par gout ni vice pleinement consenti mais par reflexe, par peur de dévier et de se retrouver face à une énigme insoutenable : cette femme me demande si elle peut sortir par l’entrée car sa poussette ne passe par la sortie, dois-je l’y autoriser alors que le règlement stipule bien que l’entrée c’est pour rentrer et la sortie c’est pour sortir ?!
Ah la torture…
Aussi, les jours de cafard, de fatigue, de mauvaise humeur, leur gentillesse (refus poli) vous met dans un état de rogne qui vous vaut une remontée acide de nipponophobie aigue. Que vous calmez ensuite en acceptant un bonbon de la part du chauffeur de taxi ou un sourire de la caissière du supermarché accompagne d’un mot doux sur votre Zouflette (oh kawai ne oh qu’elle est mimi votre petite), caissière qui, malgré qu’elle prend vos effets dans un panier rouge pour en passer le prix qu’elle va parfois jusqu’à réciter a voix semi-haute, et qu’elle range ensuite soigneusement dans un panier vert, est très très rapide.
Oui, il faut savoir ca, le Japonais aime les règlements parfois stupides et s’y tiendra toujours avec rigueur (peut-être sans en penser pas moins, chose que je ne peux hélas pas vérifier car outre mon niveau de langue, je n’ai pas encore le pouvoir e rentrer dans la tête des gens, japonais ou non).
A la piscine par exemple, toutes les heures, on vous sort de l’eau, après que 10 minutes avant un des jeunes maitre nageurs ait effectue au-dessus des gestes étranges qui tiennent de la bénédiction, pendant que vous patientez sur les bancs de bois chauffes de la salle d’attente, un autre plonge dans le bassin pour vérifier qu’il n’y a pas de problème, genre bouche d’évacuation qui se détache et risquerait de vous aspirer (en France, on a vu une fois un enfant être aspire, mais on a jugé que c’était suffisamment rare pour qu’on ne perde pas son temps à vérifier le bassin toutes les heures), et après un speech interminable dans le micro, un troisième souffle dans son sifflet pour autoriser la reprise de la baignade.
Itou dans les trains, le Zebulon adore (moi aussi) regarder la pantomime du chauffeur que l’on aperçoit à travers la vitre de devant, et qui fait des grands gestes en direction sans doute des feux de signalisation tout en psalmodiant des mots inaudible.
-
Mon dieu, quel peuple… Ils faisaient des gestes de ce style à Fukushima quand le couvercle de leur Dai-ichi a sauté ?
Tante Babe qui écoute par-dessus l’épaule de ma mère.
C’est vrai qu’ils aiment le luxe de précautions ultra trop précautionneuses, les Japonais… sauf peut-être quand c’est très important. Si on devait résumer leur manie de la précaution et des règlements stupides ce serait, on est jamais trop prudent, on ne sait jamais…
Est-ce pour cela ? Globalement, le Japonais est douillet. Il a une peur farouche du rhume et de la grippe, comme s’il s’agissait de la peste bubonique, et le petit Lulukun que le Zebu a blessé à la tête en lui balançant une scoppu (j’ai fini par comprendre que c’était une pelle), a de suite était emmené a l’hosto pour être recousu près de l’œil. J’étais effondrée, voyant déjà l’enfant borgne a vie et nous, avec un procès et une culpabilité sur le dos jusqu’à la tombe. Quand on a enlevé son pansement au petit, j’ai pu constater (avec soulagement certes) qu’elle était à peine plus visible que le trou que la Zouflette s’est fait au front le même jour lorsqu’elle est tombée dans l’escalateur de ce magasin ou je me rendais, terrassée de culpabilité, acheter un jouet a la victime du Zebu.
Mais face à un séisme comme celui du 11 mars, sans doute se montre-t-il plus fort intérieurement que nous ? En France, on en aurait aussitôt profite pour virer encore quelques jeunes et quelques vieux, et déclarer que la crise de la crise étant désormais la, on n’allait surtout pas embaucher ni consommer ni développer quoique ce soit de productif ou non… anticipant comme nous avons si bien faire la débâcle, voire la Fin de Tout au plus petit signe de la plus petite occasion, avec désespoir (ou jouissance pour certains) et soit disant réalisme.
Quoiqu’il en soit, le Japonais est donc généralement gentil, travailleur (quand bien même peu efficace), jouisseurs (à ses heures) serviable, très poli et pas mal rigide tout en étant douillet a la normal, mais brave a l’extraordinaire.
-
Et celle qui trottine avec son kimono sakura elle est où ?
Du calme, les nipponophiles, du calme. Elle est là, toujours là, a tout âge de la vie ! Elle sort surtout le dimanche en grande tenue, avec ses geitas de bois et son obi (nœud plat et carre) dans le dos, elle ne court plus les rues comme jadis mais on peut la voir, même en semaine (âge plus vénérable) car des occasions importantes il y en a toujours. Et pour leurs 20 ans, les filles japonaises vont au temple en kimono pour saluer leur entrée dans la majorité et se faire bénir, comme au nouvel an car on n’est jamais trop prudents.
Car oui, le Japon c’est ça aussi, un vrai cliche : un peuple moderne surtout techniquement (sauf thermo-nucleairement) et des traditions très présentes, pour le meilleur (les fêtes, la beauté des vêtements traditionnels que l’on met en certaines occasions, la joie qui en exsude) et le pire (le sentiment d’être une race supérieure car on en a des strates et des strates d’histoire, de conquêtes et de culture, tous les autres surtout jaunes sont de la unshi).
-
Mais alors Mimi, tu préfères les Japonais ou les Français ? Choisis ton camps !
Il y a des jours ou je mettrais bien les Japonais en France pour leur apprendre la vie et à relativiser, a s’assouplir le quotidien (oui laissons cette femme passer par l’entrée avec sa poussette même si ce n’est pas la sortie !). Et d’autres ou je mettrais bien les Français au Japon pour leur apprendre les bonnes manières, la bonne façon de vivre, fondamentalement. L’employée de bureau de la Marie de Montreuil, par exemple, qui avait fait les passeports de mes enfants avec une irritation qui frôlait presque la haine parce que ma Zouflette de 10 mois avait la bouche semi-ouverte sur la photo.
-
C’est bien plat, ma Mimi, c’est bien plat… c’est le refrain de Il y a du bon chez tous les peuples c’est ça ?
Plus ou moins. Sauf chez les Chinois qui crachent par terre, exploitent les petits enfants, et nous envoient leur nuage de pollution très sournoise (micro-particules) au début du printemps avec pour seul façon d’y remedier (cehx eux) de construire des serres géantes remplies d’air pur (et réservées a ceux qui en ont les moyens of course) et non de se donner un ministère de l’écologie et une Bato nationale (enfin une Bato qui serait Eva Joly quoi).
Mais là encore, je suppose que sur les milliards de Chinois qui existent, il y en a qui ne crachent pas par terre, ne martyrisent pas les petits enfants ni ne roulent en voiture super polluante en étant inconscients ou au contraire sur de leur bon droit.
Enfin, comme pour l’heure je ne pars pas encore de cette ile de tous les dangers, je vais pouvoir creuser un peu plus avant sur l’âme nippone… et même, qui sait, me tatamiser suffisamment pour aimer déplier et replier sans cesse des piles de vêtements en refusant quoiqu’il arrive de passer par une sortie pour rentrer et vice versa.