Le monastère de Likir

LikirCa n'a l'air de rien mais il a fallut se farcir deux heures de montée pour y arriver, le moine surplombe la plaine, avec Baba qui a déclaré au moins cent dix fois, je vais crever, laissez moi là, au bord de la route, je vais crever… et le petit prince qui râlait de ce qu'il avait des cailloux dans ses chaussures (il marchait pieds nus, passons).

 

Au monastère, un bouddha géant nous attendait (visible de profil, à gauche du monument, sur la photo) et le petit prince a déclaré, j'arrête de fumer, l'est trop énorme, tandis que Baba, elle, décrétait, je commence à fumer aujourd'hui… ce pays me tue!

Il n'y avait pas un chat, à part deux touristes allemands qui ont essayé d'entamer la conversation dans un anglais oxfordien, je pense, j'ai joué les arrogantes pour ne pas avouer mon poor english. Baba, elle, a refusé de leur parler au motif que les Allemands avaient soutenu l'indépendance de la Croatie au début des années 90 et que cela avait déclenché la guerre (en fait, elle parle encore pire que moi le poor english). Un moine a essayé de nous vendre son monastère, en attaquant par le front "musée, you want to visit, only 75 roupies".

On a dit que non. Trop fatigués. Trop cher. On devient vite radins (75 roupies? Plus de 1 euro?!). Il a eu l'air déçu et il a filé en ramassant ses jupes.

De toute façon, le lieu se suffisait à lui-même, avec la plaine aux pieds et le ciel pas loin au-dessus de nos têtes. La fraîcheur aussi des temples avec leur peintures sur bois (vie de Bouddha, multiples scènes de son épopée, de la révélation à la mort, scènes indéniablement plus sereines que le chemin de croix du gars Jésus). Ce que j'appréciais le plus, c'était d'être arrivés après le ballet des jeeps qui montent leur viande blanche par la route quand d'autres viandes un peu moins blanches (crasse et soleil) se farcissent la montée à pied comme de vrais pélerins de Saint Jacques. Après, ça donne des embouteillages dans les salles petites et obscures des monastères, avec des obsédés du gros zoom qui voyent pas autre chose que ce que voient les obsédés de la gâchette ou snipers à la lunette (un rond étroit).

Baba a ensuite déclaré que si elle était pas si vieille, elle se ferait bien bouddhiste. Je lui ai fait remarquer que justement, les anciens religieux de l'Inde prévoyaient qu'à l'âge de la retraite, âge du début de l'inutilité sociale, il était bon que l'on se fasse mystique en prenant son bâton de berger et en partant vivre de mendicité et de spiritualité sur les routes du pays. Allez hop, Jacques, Alain (Juppé et Jospin), Valéry et les autres, sur les routes!

– Peuh, a répliqué Baba, encore un truc de jeunes pour faire trimer le vieux… Non, avec mes blessures de guerre (là, là et là), je pourrais pas faire ça… et puis, avoir été élevée dans le matérialisme tito-marxiste, ça vous casse l'âme…

Tout ça pour dire qu'une fois encore, j'aurais bien voulu mais j'ai pas pu, sacrée Baba. Le petit prince s'est roulé un gros pétard et je lui ai arraché des mains car y avait marqué qu'il ne fallait pas fumer. Dans les mosquées, ils s'obsèdent des têtes nues et des épaules découvertes, chez les bouddhistes, c'est la fumette, légale ou non, et l'alcool aussi (dès fois qu'on s'enfilerait une tchang sur le parvis).

Le petit prince est parti vexé, il a commencé à descendre sans nous, me laissant seule manager Baba qui ne cessait de gémir. On a croisé en route une vieille dame avec une gamine, joulé, joulé, la vieille dame portait un énorme fagot de bois et le cartable rose bonbon de la petite, elle avait un dos presque parallèle à la route et au moins 105 ans. Baba n'a plus moufté ensuite, bien fait.

A l'hôtel, après le dîner, la jeune tenancière qui mourrait d'envie de bavarder dans son anglais plutôt bon, m'a demandé si j'étais mariée. J'ai mis du temps à comprendre qu'elle parlait de moi et du petit prince Sacha (qui faisait une pyramide de canettes de coca sur la table). Je lui ai dit non, et elle m'a dit que c'était rudement bien la France (soupir), on pouvait vivre avec quelqu'un et en changer du jour au lendemain. Piquée au vif, j'ai tenté de lui expliquer qu'en France, seules les Marie-Camille et les Hector-Charles se mariaient désormais (pour dire vite) et que des TAS DE GENS vivaient à la colle sans pour autant penser à changer de mastic tous les quatre matins.

– Ah quand même… c'est bien cette liberté… vous pouvez changer quand vous voulez… ici, divorce interdit… si vous divorcer, vous rejeter par village tout entier…

Insiste-t-elle la lourde. A-t-elle seulement entendu parler du célibat des ex jeunes Occidentales?

– Euh vous êtes mariée?

– Oui, mais mon mari travaille à Leh (la capitale du ladkah) et il revient parfois les week-ends… et encore… c'est rare!

– Ah.

– Je tiens l'hôtel avec mes beaux-parents (grimace) et l'hiver, je vais étudier à Delhi…

– Et qu'étudiez-vous? Je demande poliment.

– Le management. La communication. Tout ça quoi.

A croire que tous les ladakhis étudient le management. Ou la communication. Et cette malheureuse, âgée dans les 25-27 ans, n'avait pas l'air de profiter de son mari plus qu'une célibataire de sa liberté sexuelle. Même pas osé demander si elle avait des enfants, je me serais fait penser à une mère de célibataire de France.

– Mais euh… vous avez des amies dans le village?

– Mississe! Je suis mariée!

Réplique-t-elle vertueuse et indignée. Merde comment dit-on copines en anglais. Potes de même sexe avec qui rigoler et bavarder des heures loin des soucis de l'amour et du conjugo. J'essaye de décrire ce qu'est une "copine".

– Non non (mimique gênées)! Je suis mariée!

Etc. J'abandonne au bout de la sxième prise. On part se coucher, après que j'ai réveillé Baba, qui  s'est endormie les coudes sur la table face au petit prince Sacha qui écrit ses poèmes herbacés se prenant pour Ginsberg ou Kerouac que même je les ai jamais lus.

Baba se couche entre nous deux dans le grand lit et continue de ronfler avec ardeur. Le petit prince parle tout seul dans son sommeil et comme moi, je n'arrive pas à dormir, je poursuis ma lecture de la "La fin de la souffrance", de Pankaj Mishra*, histoire de connaître quelque chose de ce pays, au moins de Bouddha et les autres… même si je pourrais déclarer comme Baba, Bouddha c'est pas pour moi, on a eu Jésus, la Shoah, mai 68 et Bernard-Henry Levy, ça casse l'âme!

* Je vous en parlerai plus avant une autre fois.

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