Année du cheval, que ça trotte et que ça cavale !

Eh oui déjà 2014 comme le tampax ahahahaha…

–          Mon Dieu Mimi, c’est l’humour japonais ?

Non, c’est le temps qui passe et me dépasse. Comme dit la Cadette, la vie est comme un TGV dans lequel on essaye de monter sans succès encombré de tous ses bagages. Un shinkansen me concernant, et n’allez pas croire que c’est parce que ma vie est trépidante. C’est juste que les jours, les semaines, les mois, les ans filent… et je demeure toujours absente des (parfois) tueries médiatiques comme Le Masque et la Plume comme des présentoirs de librairie, mes indics sont formels, aucun Marie Chotek en devanture ou en stock, tandis que je prends de l’âge comme on dit poliment et que mes enfants grandissent en m’appelant la vioque (enfin bientôt).

–          Mimi, ne veux pas être pessimiste mais… tu devrais faire autre chose qu’écrire dans la vie…

–          Prof de FLE ?

–          Mimi, c’est pas ton truc ! Regarde tes élèves foutent le camp une à une !

–          Bon ben alors quoi…

–          Je sais pas moi…

A, mon anti-coach.

A ces heures de rétrospective auxquelles vous avez dû avoir droit (au Japon aussi sans doute mais je ne comprends rien donc j’y échappe), il est bon que je sacrifie à mon tour à ce rituel archaïque et inutile.

Que s’est-il passé en 2013 ?

–          Mimi, la Syrie est devenue démocratique, la finance a redistribué tous ses fonds et les banquiers sont devenus éducateurs spécialisés, Dieudonné s’est converti au judaïsme et la terre entière s’est mise d’accord pour stopper la pollution… Franchement, quelle bonne année !

Je veux dire, que s’est-il passé et non pas, qu’est-ce qui aurait été bien que ça se passe.

Mettons que je me pose cette question dans cette petite station de ski non loin de Takayama où le premier janvier nous a conduit A, les enfants et moi, et que je me la pose sur cette banquette de télésiège qui, sous la grésine, mot dont j’ignore le sens mais qui ne plait même si mon visage en est tout fouetté, me hisse jusqu’à ce vertigineux sommet de 876 mètres dont je descendrai la bleue avec la fougue d’un pur-sang (c’est bien les années chinoises, ça permet plein de jeux de mots).

–          Les faits putain les faits…

Ça c’est ma tante babe qui avec l’âge se fait plus impatiente qu’une jument d’âge à saillir.

A côté de moi un homme avec un surf board arrimé aux pieds. Chose étrange, il me semble avoir au moins la cinquantaine, du moins de ce que m’en laisse deviner son visage ridé qui sous la casquette de style militaire ornée d’un gros pompon rouge, pour moi le surfboard passé 40 c’était chose cuite. En tout cas, cet homme me fixe depuis le moment où nous avons posé de concert nos fesses sur ce siège qu’un pisteur a délicatement et promptement balayé la seconde d’avant (quand en France on se prend une main aux fesses si on ne monte pas assez vite, ah le service japonais…).

Bien sûr, je pense aussitôt à un pervers. Qui d’autre pourrait regarder ainsi une quadragénaire française au nez rebiqué, tout humide et dégoulinant, sans oublier ses yeux encore piqués du saké de la vieille euh veille hein ?

–          Tous les goûts sont dans la nature…

A, anti-coach en toute chose.

Depuis l’affaire de la poussette conchiée, je me méfie des autochtones un peu bizarres. Madame Michu a beau me dire que j’ai eu affaire à un détraqué sans doute inoffensif, je demeure sur mes gardes. Bon j’en étais où ?

–          Ton année 2013 ma chérie, tu en es contente ? moi j’ai publié dix articles dans dix magazines de voyage, j’ai un roman en commande, et je me demande où je vais trouver le temps pour en plus donner ces cours de français à mes élèves japonais qui m’adorent et m’ont suppliée de ne pas démissionner pour me consacrer entièrement à mon écriture…

Une connasse d’expat de Shibuya, sans intérêt.

Oui alors d’abord le positif 2013. J’ai écrit beaucoup (mais rien publié), j’ai obtenu un diplôme de Fle (mais suis au chômage), j’ai eu mon niveau 4 en japonais (mais suis toujours mal comprenante et les kanjis sont si bien absorbés par ma cervelle qu’on ne les retrouve plus), mes enfants ont bien grandi et ont échappé aux graves maladies (mais ils ont été souvent infernaux et ont porté des coups terribles à ma carrière d’écrivain), A a fêté ses 40 ans et a semble-t-il échappé à la crise qui va avec, celle qui aboutit parfois à un retour aux sources de jouvence, baise frénétique, night-clubs et rupture du contrat familial (mais répète sans cesse que ses collègues eux ont droit de tâter de la Japonaise et que pas lui et que c’est pas juste).

Bref, que du positif comme vous voyez !

–          Et moi, j’ai remporté les JO ! Tralalaitou !

S’écrie le snow-border à mes flancs. Merde, encore lui. Shinzo Abe, fougueux comme l’alezan, têtu comme le cheval de labour et tenace comme la tique de leurs robes.

–          Et après ? Atode wa ? So what ?

Que je lui fais, en trois langues notez y donc au passage.

–          Eh bien… c’est déjà pas mal non ?

–          Ouais c’est un peu facile de balayer tous les obstacles d’un revers de kimono…

–          Comment ça ? Quels obstacles ? C’est encore un de vos stupides jeux de mot pour l’année du cheval ?

–          Non, iie, no… je veux parler de F…

–          F… ?

–          Oui F… A

–          La Franca ? La France ? Qu’est-ce qu’elle vient foutre là celle-là ?

–          Fukushima !

J’ai hurlé ça dans la grésine qui laboure nos visages tel un bourrin opiniâtre, les surfeurs en dessous ont levé la tête et y en a un qui crie, l’île du bonheur n’est pas sur la haute montagne, fukushima wa Takayama ni nai yo, Happinessisland is not on the Highmountain !

–          Et si j’ouvrais une boîte de traduction ?

–          Tu rigoles ? Tu es juste monolingue, Mimi… et encore….

A anti-coach à mort.

Shinzo tousse dans sa moufle puis m’éructe à la face, ses dents de poney presque plantées dans mon écharpe qui n’est pas sans rappeler un licou (de cheval donc).

–          Je vous ferais bien remarquer aussi que j’ai réussi à faire voter une loi, dite du secret d’Etat, qui jettera en prison pour dix ans au minimum tout individu mal élevé qui aura divulgué mes petits secrets à moi… donc votre F… A, vous me le remballez car il va de soi qu’il est inscrit sur ma liste même si, on ne le dira jamais assez, il n’y a plus aucun problème à F…A !

–          Mais euh, c’est pas très démocratique ça non ?

–          Rien ne vous empêche de ne pas voter pour moi ! C’est ça la démocratie !

–          Tout de même… ça craint pour une démocratie… on se croirait en C… E ou en C…E du N…D !

–          En Camargue ? En Croatie du Nord ? De quoi parlez-vous la gaijin ?

–          Je parle de ce que avec votre fichue loi, le champ des conversations possibles est drôlement restreint… alors que euh… en démocratie… on doit pouvoir parler de tout…

–          C’est pour ça que vous vous retrouvez avec des nègres antisémites qui vous font des quenelles sous le nez sans que vous puissiez même leur confisquer leur argent de poche ! Alors merci hein, doomo ne, thank you so !

–          Mais chez vous, on manifeste dans les rues en traitant les Coréens et autres Asiatiques de cafards et de rats ! C’est pas mieux, motto ii ja nai, it’s not better !

–          L’année du rat est une année magnifique et je m’apprête à faire adopter l’année du cafard par la Diète ! Maintenant taisez-vous ou…

Shinzo se fait soudain si menaçant que là, je dois bien vous dire que me traverse une pensée terrifiante : ce vieil alezan à pompon rouge pourrait bien faire basculer depuis le télésiège dans le vide, cette encore jeune pouliche, bon disons pas trop vieille jument que je suis. Alors je me tais. Ca commence comme ça, les dictatures, un individu déplaisant qui vous castre la conversation sur un siège de télésiège. Je tente une rébellion, ultime. Après tout, dix ans de prison japonaise me rendront peut-être bilingue ?

–          Mais euh si le champ de vos petits secrets est si vaste… de quoi parle-t-on alors avec vous à table ?

–          Eh bien… il y a tant de sujets… vous pouvez parler des sakura, de la cérémonie du thé, de l’art de fabriquer une darouma (poupée-bonhomme) aux yeux strictement identiques…

–          Je veux dire… des sujets politiques ! Genre F…A !

–          Eh bien vous pouvez parler de la beauté des sakuras de F…A, de la cérémonie du thé observée au bord de ses piscines, de ses milliers de daroumas qui oeuvrent pour que l’usine soit définitivement aussi propre que, que…

Shinzo cherche ses mots, alors que nous voilà parvenus au sommet.

–          Que le siège d’un télésiège japonais balayé par le pisteur !

Il lâche en sautant du siège. Je crie, à son dos.

–          Et les 59 cas de cancers de la tyroïde détectés chez les enfants de F…A ?

–          Il est impossible de faire le lien entre l’explosion de l’usine et ces cas ! Ce n’est pas parce qu’une explosion des cas de cancers thyroïdiens infantiles est observée près de la Centrale et pas ailleurs que c’est lié ! Ne soyez pas scientiste, madame !

–          Et la dizaine de Marines qui attaquent en justice Tepco pour cancers survenus deux ans à peine après avoir été exposés aux rejets maritimes de la Centrale en mars 2011 ? Hein vous en faites quoi Abe san??

(je transporte toujours sur moi des tas de notes dès fois que je tomberai sur lui)

–          C’est à la fois survenu trop tôt et trop tard pour que ce soit lié ! Tchenobyl qui elle était une vraie catastrophe nucléaire puisque survenue dans une dictature, communiste qui plus est, a enregistré des cancers au moins deux ans après ! Ici c’est trop tôt donc ça n’a rien à voir !

–          Mais…

Mais il s’est déjà jeté dans la pente, la piste noire comme la robe du pur-sang, ou celle du cheval de labour repeint par son proprio, ce noir qui devrait remplacer le rond rouge sur le drapeau japonais, enfin, je vous le dis tout bas car dix ans de prison, ça ne me tente pas vraiment même si j’aurais peut-être plus de temps pour écrire car plus de courses ni de vaisselle ni de ménage à faire.

Je m’élance toute fringante à sa poursuite mais il a disparu et en bas, A râle que j’ai mis au moins deux heures pour descendre une bleue, c’est que le temps passe vite avec des snow borders qui ont de la conversation et vous font prendre des noirs pour des bleues.

Quoiqu’il en soit, bonne année !

Leave a Reply