Aujourd’hui, j’ai décidé de faire plaisir aux fans de ce Japon millénaire, avec ses geitas, ses militaires et ses xénophobies anachroniques mais aussi avec ses traditions, à la con forcément puisqu’il faut toujours être absolument moderne, et je me suis donc rendue en chaussettes blanches, sésame japonais des évènements d’importance, à une cérémonie du thé, c’est-à-dire sadoo (le chemin du thé) dans le texte.
– Ah chouette enfin un peu d’exotisme !
– Simone enfin, Nicolas (Bouvier) te l’a dit mille fois, l’exotisme c’est bon pour les feignasses qui ne s’en tiennent qu’au décor !
– Mais je suis une feignasse ! J’ai passé les 70 et j’ai envie de céder à la facilité… le zen par le thé par exemple, parce j’aime mieux te dire, Babe, c’est pas avec mes vieux genoux que je vais rester 2 heures à méditer à la forme de l’œuf sur un tatami !
– Et moi j’en ai 32 mais ça n’empêche que je me suis acheté un kimono pour parler avec Mimi sur skype !
Dans ma famille, comme vous le voyez, cette simple annonce a déjà fait sensation.
Alors pour une cérémonie du thé, il vous faut des vieilles Japonaises avec des jeunes, car oui, trop drôle, au Japon, les jeunes générations continuent de perpétrer pour certains de ses membres les traditions millénaires, cérémonie du thé, danses folkloriques, calligraphie, shamisen… Et puis, sans aller jusqu’à pousser la porte d’un club, il suffit de voir les fêtes dans les temples ou dans les rues qui ponctuent l’année, toutes les générations s’y retrouvent, même le petit rebelle de la famille, 19 ans, qui habillé en soubrette à mules roses aurait préféré rester à tapoter les touches devant son écran.
Des vieilles donc et des jeunes, en kimonos, ça va de soi, de saison, de même, avec des tabis blancs au pied (les chaussettes à un doigt), et un zest de rouge aux joues. Une pelletée de Françaises plus ou moins ménopausées, dont Marie Chotek, qui ne l’est pas, elle tient à le préciser si jamais vous vouliez l’utiliser comme mère porteuse (elle cherche un emploi qui ne l’empêche pas d’écrire), mettre des chaussettes blanches aux gaijin sus-citées, ajouter aussi des tatamis avec un kakémono recouvert de kanjis, à sens profond et symbolique, de vieux bols moches mais qui valent très très chers et qui sont très très fragiles, une…
– Bon, et pour le thé, du Lipton yélo, ça ira ?
Non maman, ça n’ira pas. Le thé, c’est de la poudre verte, qui colle aux doigts et qui est âcre. Tout étant dans la préparation, il faut me laisser énumérer les ustensiles, bon sang !
– Ah oui scuze moi…
Le thé donc, macha, cette poudre verte, une bouilloire en fonte genre Geneviève Léthu, j’en vends une si ça vous intéresse, un brasero creusé dans notre sol de tatami et entretenu avec du charbon de bois, éloignez tout Zébulon et toute Zouflette des alentours, un petit balai appelé le nom m’échappe, qui ressemble à un blaireau pour la barbe de tonton, mais en bois très fin à la place des poils, une cuillère qui ressemble à une cuillère-miroir pour dentiste mais en bois et sans reflet, un foulard du genre bandana mais en plus chic, que vous aurez à plier et déplier de façon imbitable c’est-à-dire aussi complexe qu’inutile, et puis du SILENCE !
On doit entendre un pétale de sakura tomber au sol en volant dans les airs.
– Chérie, t’as mis à cuire le riz ?
– Chérie, où sont mes surripa (pantoufles) ?
– Chérieeeeeeeeeeeee, une asahi biru vite pour lire mon Asahi shimbun du soir !
– Darling, is my steack au poivre ready ?
Eloignez donc aussi tout mari japonais ou autre intempestif.
– Et le sucre, Mimi, tu as oublié le sucre !!
Ah non pas de sucre mais des gâteaux à pâte de haricot, très sucrés et ce jour-là, roses, blancs et verts pâle ressemblant à de la pâte d’amande. On les mange juste avant la cérémonie, pour se sucrer et se préparer le palais, comme ces gras du bide qui avalent du bicarbonate de soude avant de s’empiffrer. Avec une pique façon baguette mal taillée, pointue, qui sert à les couper en 3 morceaux (sauf que moi j’en ai fait une dizaine car y avait un truc jaune dedans récalcitrant qui est parti en miettes).
Après, on s’assoit et on regarde. La sensei, une vieille dame ravissante dans son kimono beige clair, très chaleureuse (elle m’a palpé ensuite par deux fois le bras), assiste de façon bienveillante Michiko san, une élève quinquagénaire qui prend des cours avec elle, et qui l’instant d’avant de toute rigolante et esclaffée, assurant que la cérémonie du thé c’était pour accéder à une forme de zen et de sérénité, loin des préoccupations ordinaires (aller chercher les enfants, acheter un slip à mon mari, vérifier le niveau de riz…), est devenue en passant à l’action toute tendue et stressée comme si elle passait son permis de conduire.
– Elles s’en font du mouron pour rien ces braves dames, elles devraient essayer le féministe, ça détend…
Oui tante Babe, je leur dirai.
Alors primo, que je me positionne devant la table qui ressemble à un secrétaire de laque noir sur lequel on va écrire sa vie son œuvre, on arrive en traînant bien au sol ses geitas genre je passe la cire ou je déambule sur une scène de Nô, et que je te plie le foulard comme ci, puis comme ça, que je le passe sur tous les objets de la cérémonie pour les purifier, que je mets de l’eau bouillante dans le bol pour le rincer et le chauffer, dont je jette l’eau ensuite à la figure de l’assistance mais non dans un bol de bois placé à côté, que je tapote le pli droit de mon kimono ah non ça c’était un geste parasite, que je délie bien les mains à chaque fois que je me saisis d’un objet, en une sorte de ballet gracieux de la gestuelle qui n’est pas sans rappeler le Nô une fois encore. Et que je mets enfin de la poudre dans le fond du bol, avec délicatesse, que je rajoute une louche d’eau froide dans le chaudron, je veux dire, la théière car le thé doit se boire chaud mais sans plus et que je…
– Mimi, tu ne m’en voudras pas mais j’ai un poulet au feu et de l’eau qui boue… c’est longuet ton histoire…
Ensuite, on verse sur le thé de l’eau chaude avec le godet de bois prolongé d’un long manche fin…
– Ah ça tu ne l’avais pas dit Mimi ! Du coup je fais comment moi hein ? J’ai même pas tous les objets !
La copine en kimono, aussi attentive que Michiko san.
Ensuite, une fois le liquide dans le bol, on prend le petit balai et on fait aller et venir avec énergie toujours de haut en bas, ou de bas en haut. Cela doit mousser.
– Comme ça ?
Oui, l’idée c’est de toujours balayer dans la même direction tu vois ma chérie.
Après, on fait tourner le bol 2 ou 3 fois dans le sens CONTRAIRE des aiguilles du montre, pour que la belle face se retrouve en face de l’invitée, une femelle en général, même si initialement la cérémonie du thé était réservé aux hommes comme faire CRS ou pompier dans la vie.
– Et si on a un bol blanc, on fait comment ?
Eh bien je conseillerai de le troquer contre un bol breton, c’est facile de s’y retrouver comme ça : le bol sera bien disposé quand la bretonne danse en face de votre invitée, et puis c’est marre.
On offre ensuite le bol à une invitée qui prend l’air béat si possible. Elle prononce alors le sésame magique, otemae choodai itashimasu.
– Qui veut dire ?
Merci ma vieille, depuis le temps que je l’attends !
Ensuite, elle tourne le bol 2 à 3 fois, dans le SENS des aiguilles d’une montre, puis elle boit et on guette tous sa moue. Si tout va bien, elle finit sa dernière gorgée par un gros shlurp, puis elle s’exclame, courbée face contre sol dans une posture de gratitude que l’on voit rarement en région parisienne (au contraire du shlurp).
– Taihen blabla kekko degozaimasu !
C’était rin bon ma chérie, on s’en refait un quand tu veux.
Ensuite on s’est toute exécutées et moi, j’ai gagné au concours du petit balai, et du shlurp, elles étaient SIDEREES d’admiration devant une telle technique et le pire c’est qu’ayant pris de l’âge la semaine d’avant et de l’échec ben je me suis sentie comme visitée par la Grâce. Bon, en revanche, je ne vous cache pas que mon tourner de bol a été un échec, il faut le tenir en le bloquant avec la main gauche tout en tournant avec la droite ou bien l’inverse, chais plus bien, en tout cas je suis bonne pour reprendre des cours dans cette option-là, crotte.
– Mimi, y a pas une video sur you tioube ? Parce que tes explications franchement…
Certaines Japonaises passent leur vie à étudier la cérémonie du thé, certaines doivent passer un examen à un moment je suppose pour devenir prof à leur tour, à moins que ce ne soit comme la psychanalyse, après un paquet d’années de divan vous pouvez à votre tour ausculter les inconscients de vos prochains ? Oublié de poser la question, je sais juste qu’un certain nombre d’étrangères suivent des cours de cérémonie du thé et que c’est sans doute un moyen comme un autre de se faire des copines en milieu local quand moi j’ai choisi l’option yoochien, ce qui fait que 3 ans après, même pour un thé Lipton yélo, j’attends encore qu’on m’invite…
– Ah ça on le saura !
On a bien gloussé, shlurpé, bavardé, puis j’ai mis les bouts pour aller manger un jambon beurre avec un café bien noir, bien dégueu, façon américaine, à Shibuya, 22 minutes de post-thé avant d’aller chercher mes canailles que je devrai peut-être inscrire à la cérémonie du thé pour leur apprendre à ne pas renverser leurs verres à table ou accrocher de leur manche pourtant courte eut égard à une longueur de kimono leurs assiettes de sobas et de petits légumes?

En lisant j’ai cru que j’y étais :D.