Est-ce parce que je lis ce portrait du brillantissime et drolatique Nicolas Bouvier écrit par le fort compétent François Laut ? Est-ce parce que mes copines du Japon à Paris en passant par la Provence et le Berry profond m’assaillent de leurs réussites professionnelles ? Ces jours sont las car je me sens particulièrement accablée de ne pas en être, et, outre ne pas avoir de numéro Isbn ou d’emploi salarié, de sans cesse écrire pour les poub…
– Mimi, je t’envoie pour la Zouflette l’album écrit et primé de notre copine de sixième, Natacha, tu te souviens ? la belle métis malagcho-bourguignonne qui non seulement était belle, et bien foutue, et intelligente et charismatique (et etc), mais qui en plus a fait un très bon mariage vu qu’elle a marié à même pas 28 ans le fils à Frydman, suivi de 3 reproductions des mammifères des plus réussies… bref, il se trouve qu’en plus, non seulement Natacha n’est pas employée de bureau ni simple mère de famille mais qu’elle écrit aussi des CHOSES MAGNIFIQUES ! Je te l’envoie de ce pas, tu vas voir, tu vas ADORER !
Une ex camarade de classe mal comprenante. Envoie ma belle, envoie… même pas mal, je le donnerai à une association (ou au tri sélectif).
– Ma chère Mimi, notre conversation d’hier avec nos amies Alf m’a bien déçue, je lui mets un 8 sur 20… enfin c’est vrai quoi, nous voyons un film très intéressant, passionnant même, Jeune et jolie, un joyau du genre consacré à la prostitution juvénile en milieu prato-latin… et alors que nous aurions pu parler de sexe, de cunilingus, de pipe et de sodomie, on s’est retrouvé à cause de toi et de Nouille san, à ne parler QUE de gardes d’enfants… pourquoi pas de bas de contention ou de soutien-gorge d’allaitement pendant que vous y êtes !
Ma consoeur d’Alf dont je commence à comprendre les origines de la réussite dans la vie. Elle n’hésite pas, elle, à être désagréable et à frapper sans se demander si elle-même a fait quoi que ce soit pour élever le niveau des ébats euh des débats.
– Oh mais si tu es déprimée, Mimi viens donc au Tohoku ce dimanche servir un bon repas aux réfugiés avec la caravane Bon appétit ! Rien de tel qu’un pré-fabriqué et des réfugiés pour se changer les idées !
M’a conseillé une hasard de rencontre depuis évaporée comme tant de hasards de rencontre.
Alors avant de me mettre à douter et à me trouver mille raisons pour rester le dimanche au chaud à torgnoler les mioches, je me suis inscrite à cette caravane, entamant quelques nuits d’insomnie à l’idée que j’allais servir la sousoupe à moins de 40 km de cette chère Centrale après avoir affronté 4 heures d’autocar où les risques d’accident par ces temps de neige sont légion, sans oublier un paysan forcené qui, privé de ses terres à Fuck-shima Land, pourrait bien ouvrir le feu sur cette bande de gaijins venus flairer sa misère nippone, à moins que…
– Mimi du calme, c’est carrément mémère comme voyage… les gens sont si heureux de nous voir avec nos bons petits plats et notre pinard offert par la maison Rernot-Picart quand le fromage lui l’est par la boîte La fesse bleue, le maquillage étant pour sa part gracieusement donné par le cosméticien Loréole, une véritable sainteté quand on voit tout ce qu’il a fait pour le Tohoku… keep cool, tu vas plutôt bien t’amuser !
Voire. Je suis partie en serrant fort mon compteur dans la poche après avoir embrassé mes enfants qui se disputaient déjà à 8h00 du matin le dimanche, tandis que l’époux, au fond de son lit, geignait que je faisais vraiment chier à mettre le réveil à 7h30 un dimanche matin…
Je suis arrivée au rendez-vous fixé à Roppongi devant le show room de Fujifilm, dans mes tout petits souliers pour trouver une équipe à la fois française et japonaise des plus sympathiques.
Japonais les chefs cuistots, salariés d’un grand restaurant dont j’ai aussitôt oublié le nom, japonaise la jeune fille, chichi chan, un truc de ce genre, qui allait nous gratter la chansonnette durant le dîner, et japonais encore un homme niko niko comme on dit (très souriant) qui parlait un peu français. Le boss de la Caravane, un quinqua français lui, était le genre Lavilliers en moins vulgaire (pardon Bernard) et sa main droite, était une fausse blonde très maquillée dans les 50 ans aussi, pas franchement le style Alf voyez, mais à l’usage, plutôt sympa et rigolote.
D’ailleurs à propos d’Alf, rien à voir, ici toutes les Françaises travaillaient. J’étais la seule dependant du lot… En matière de remontage de moral, ça commence bien, je me suis dit, mais j’ai bien sympathisé avec l’une d’elle, vivant depuis 23 ans au Japon, traductrice bilingue ou presque, mariée à un autochtone, 3 enfants ado. Un cuistot aussi, moustachu avé l’accent de Toulouse, 30 ans de Japon, une femme et une fille autochtones… un petit homme rondouillard qui ressemblait à pépé Jean que vous connaissez certainement, il est généraliste à Lluppia dans le 66, et a épousé en seconde noce la mère de A… non, ça ne vous dit rien ?
– Bon ma Mimi, tout ça est bien intéressant mais euh tu ne vas pas nous faire le portrait de toute la troupe non ? On veut de l’info préfabriquée ! Des détails radioactifs !
Nous sommes partis et avons roulé entre des champs de neige en écoutant quelques statistiques. 90 000 réfugiés encore dans des préfabriqués, environ 50 000 dans la préfecture de Fuck-shima, nous étions la 35ème caravane depuis mars 2011, très vite mise sur pied par des Français dont le monsieur Lavilliers qui travaillait dans l’immobilier, et la prochaine, la 36ème donc, fêterait, enfin si on peut dire, ses 3 ans de livraison de repas de luxe en compagnie de monsieur l’ambassadeur pouet pouet. De fait, il s’agit de faire concocter par de grandes Toques un bon repas bien de chez nous (c’est-à-dire avec vin, pain et fromage) et de le livrer-servir aux réfugiés des pré-fabriqués de plus en plus oubliés par tous, des voyous de Tepco au citoyen lambda sans oublier les politiciens tokyoites et leurs électeurs qui n’ont rien trouvé mieux que de désigner pour gouverneur de Tokyo un pro-nucléaire.
Nous sommes arrivés sur le coup de 14h00, dans notre village cible du jour, situé à quelques centaines de mètres de la ville de Koryama, et donc à 40 km de Fukushima. Une cendre noire tombait sur nos sacs à mains (à nous les dames), les hommes (nantis de gourdins anti radioactivité) nous ont dit de ne pas bouger, des habitants vêtus de combinaison blanche avec de larges masques nous faisaient signe de déguerpir tandis qu’un chien à six pattes nous menaçait de ses trois rangées de dents…
– Mimi si c’est pour dire des conneries pareilles, tu aurais mieux fait de laisser dormir A ce matin !
Bon c’était juste pour dire qu’à première vue, rien d’anormal. Mon compteur affichait même une mesure radioactive inférieure à celle de Tokyo, le ciel était d’un bleu léger, les préfabriqués brillaient dans le soleil ainsi que le toit des voitures des habitants qui emplissaient le parking au point que nous ne pouvions point accéder à l’allée principale du village. Rien à voir un camp de réfugiés palestiniens ou roms donc.
Le chef du village est arrivé, un homme au teint de cuivre, vêtu d’un jogging, le genre parlant haut et rigolant de même. Puis le chef du chef, si j’ai bien suivi, un petit vieux plus classe à qui j’ai donné pour la communauté, avec un air de bienfaitrice de Lourdes, la boîte de train et de rails en bois que le Zébulon devait être à cette heure en train de chercher partout dans l’appart. Florence, la bilingue mariée à un japonais 3 enfants, m’a servi d’interprète car personne ne semblait comprendre ce que je foutais avec une boite de trains en bois à 40 km de Fuck-shima.
Après, on a fait comme au resto du coeur. On a monté les tables, rempli les sacs de fromage et de rouges à lèvre avec une crème anti-vieillissement car c’est pas parce qu’on vit dans un pré-fabriqué radioactif qu’il faut se laisser aller mesdames. En fait il s’agissait de dons de La fesse bleue et de Loréole qui, j’ai l’air de rigoler, a quand même fait beaucoup pour le Tohoku, du moins si j’en crois sa représentante, Sophie san, 53 ans, service mécénat.
A savoir : ateliers de maquillages dans une ville ravagée par le tsunami où Loréole avait une succursale, afin de redonner le moral à ces dames, puis construction d’une maison commune, suivie d’ateliers de recherche d’emploi pour les dames maquillées qui voulaient absolument retravailler, avec en point d’orgue un cocktail à Tokyo dans les salons chics du siège en compagnie du PDG où ces dames de la campagne, un poil Deschiens, ont sans aucun complexe empoigné le micro pour retracer leur parcours pour apprendre à bien se présenter et savoir se vendre quand on vient du Fuck-shima ken.
Avec tout ça, les cuisiniers s’agitaient dans la maison commune, un pré-fabriqué à peine plus chaud que dehors où la température frôlait le zéro. Trois filles du camp, larges et hautes, avec de grands rires et des paumettes jusqu’aux yeux, nous ont aidées, et quand je leur ai tiré le portrait, alors que je m’attendais à une mine au mieux effarouchée au pire hostile, elles ont gloussé et brandi le signe de ralliement de la prise de photo sur tout le territoire nippon, le V de la victoire…
– Quelle victoire ? Celle d’avoir tout perdu parce qu’on a eu la malchance d’avoir les fenêtres de sa cuisine donnant sur les cuves de cette foutue Centrale ? Parce que cela fait 3 ans que l’on vit dans des pré-fabriqués où vous m’excuserez, mimi san, on se les caille ?! 3 ans que l’on se boit du césium, 3 ans que l’on endure les conneries de Tepco qui mastique le fond des cuves avec de la pâte à modeler et époussète le calamar pour lui ôter son trop plein de césium et elles font le V de la victoire ???!!!
Je sais, je sais. Mais c’est pavlovien chez le Nippon, ce signe là dès lors qu’il y a un appareil photo devant lui. Ma Zouflette du haut de ses 3 ans et demi en est même toute contaminée…
On a aussi installé des jouets et des livres pour les enfants, peu nombreux. Une famille est restée longuement penchée sur les casiers de jeux, une famille un peu le genre de celle que vous trouveriez dans le Nord pas de Calais, la mère avec une mèche de cheveux décolorée rose bonbon, le père avec un piercing mais les enfants, ressemblant à tous les enfants de tous les yoochien du Japon, sauf qu’ils créchaient dans une boîte en métal et avaient sans doute ingurgité déjà autant de doses radioactives qu’un ouvrier d’Areva à la retraite après 60 ans de tripotage de cuves et de pompes à neutrons.
L’ambiance était à la fois glacée, le thermomètre ne cessait de descendre avec la nuit qui ici tombait une bonne demie heure plus tôt qu’à Tokyo, et en même temps, il régnait un bourdonnement de ruches affairées avec surtout des personnes âgées, des obaasan et des ojiisan (eux d’allure plus égarée) demeurés sur le carreau car les jeunes et les familles étaient pour l’essentiel partis refaire leur vie ailleurs. On a bu, on a mangé, on a remis le colis cadeau, on a prié les enfants de choisir plusieurs jouets, on a écouté aussi Chichi chan nous jouait de la guitare dans le froid bientôt rejointe par un Français avé l’accent, le genre à avoir roulé sa bosse dans les bars et les concerts avec qui je me suis retrouvé à discuter par moins zéro ou presque d’Higelin et de Thiéfaine, en essayant d’avaler mon repas gastronomique bien vite glacé car entre mes souvenirs musicaux de jeunesse mes madeleines de Prout à moi, les volontaires d’une association de Fuck-shima et une jeune Japonaise de la troupe dont la sœur vivait à Marseille avec un Marseillais, je parlais plus que je ne mangeais et…
– Eh bien je vois, un côté la Croisière s’amuse… tu as passé une bonne journée à ce que je vois ! Bravo ! Un petit four pour le Darfour façon Nippon !
Qui a dit que tirer la gueule remonterait le moral des Fuck-shimatiens hein ? Et qui a dit qu’on allait à un enterrement et non pas un repas gastro pris à deux nationalités ? Mais oui, je l’admets, je m’amusais bien…
Devant le brasero installé pour les invités, un petit vieux se balançait sur la musique d’un air perdu… Je dois dire que c’est la seule tristesse véritablement poignante que j’ai croisée ce soir-là dans un regard. Non pas que les gens étaient fous de joie, n’exagérons rien, mais tel la vague du tsunami, le grand choc du déplacement étant passé, le désespoir devait s’égrener désormais à petits grains pour ceux et celles qui ne pouvaient pas trouver d’autre endroit où aller vivre. Alors les gens, tranquillement, repartaient comme ils arrivaient, tout plein de leurs salutations à la japonaise, et certaines dames auraient pu être ces mamies qui viennent parfois chercher les petits camarades du Zébulon et de la Zouflette ou se passent la baballe à la la fête du sport.
Les premières caravanes elles en revanche devaient être très poignantes, Sophie san (madame Loréole) m’a raconté comment un vieil homme faisait en larmes le tour de tous, Japonais et Français, pour montrer des photos de sa belle maison de bois, avec son jardin magnifique, sakuras et autres, qu’il avait dû abandonner toute affaire cessante car située à 10 km de a Centrale.
En grelottant et en tapant des pieds dans le sol enneigé, on a plié la tente, rangé les tables, remisé les ballots des cuisiniers (grandes casseroles et larges faitouts enrobés dans de grands tissus façon bento !) tandis que les chauffeurs, restés obstinément enfermés dans le car durant toutes ces heures, reprenaient leur place.
Au retour, bercée par le roulis du bus, loin des cris habituels qui accompagnent chacun de mes déplacements motorisés (le Zébu et la Zouflette), j’ai lu mon Bouvier dans le bavardage des jeunes derrière, un coopérant et sa copine, jolie et fraîche comme un cœur, un autre également avec sa copine, dotée d’un prénom déroutant en 2013 pour une fille de pas même 30 ans (Marie-Madeleine) « qui en France travaillait dans la politique » (mystère…) et qui l’avait suivi au Japon pour son boulot, une belle fille comme on en croise dans les boxes enfumés de Gallimuche où jeune diplômée je grattais du guide, ou les soirées d’inauguration parisienne, galeries ou cinémas art et essai, à la fois sûres d’elles, impérieuses et néanmoins sympathiques, avec juste ce petit poil de dureté qui affleure sous la cordialité, signe qu’elles sont de celles qui comptent bien faire autre chose qu’obéir à des ordres ou à apprendre à plier un origami pour la cérémonie de graduation de leur fiston car elles, connaissent le juste prix de leur valeur…
– Ah ben elle a dû te remonter le moral professionnel la Marie-Madeleine !
Quatre heures après, je me suis trouvée à marcher vers le métro dans les lumières et l’animation de Tokyo, si satisfaite de cette journée que je m’en serais sentie coupable si la jeune Chichi chan ne m’avait pas rattrapée dans la rame où j’ai ainsi pu l’aider à porter ses guitares et nombreux sacs, justifiant ainsi que j’ai été prendre du bon temps à quelques encablures de la funeste Centrale…
La Caravane Bon appétit : http://www.la-caravane.info (site mal fichu mais qui donne une idée de la chose…)