Vallée de larmes (1)

Bientôt le printemps… et les vacances qui vont avec puisqu’au Japon, qui ne veut surtout pas faire comme tout le monde (sauf entre Japonais) l’année scolaire court d’avril en mars.

Autant dire que mère Chotek va encore bien s’amuser dans les parcs et non à son bureau… mais avec la seule Zouflette puisque le fils lui sera à l’école française qui, ayant peur sans doute que mère Chotek tourne en rond, lui a annoncé avec cette candeur désarmante des fonctionnaires pas concernés que…

–          La ligne 4 du bus scolaire ? ahahha (éclat de rire gras) mais c’est complet ma p’tite dame ! Je mets votre Zébu sur liste d’attente ? Il sera le 100eme… un compte rond comme je les aime…

Deuxième en fait, et le ciel qui nous tombe sur la tête vu qu’on pensait qu’à 1800 euros le droit d’entrée et 800 euros le mois d’enseignement, il y avait quand même assez de bus pour tout le monde… mais non. Youpi ! A nous donc les trajets de 45 minutes aller, et 45 minutes retour, le matin avec A dans Shinjuku bondée, la ligne à emprunter étant par ailleurs l’une des plus chargées, et à moi les sorties de classe à 15.15 voire 12.30, youpi, youpi, hiphiphip houra!!

–          Ah ma p’tite dame, j’y suis pour rien, vous prenez le bus en cours d’année aussi…

Euh non justement, j’aurais bien aimé le prendre le bus mais y en a pas.

–          Ouais mais c’est que moi on me demande calculer au plus juste le nombre de places dès septembre alors un conseil… de fonctionnaire ami… faites nuit blanche le 30 mars pour inscrire à la première heure votre Zébu pour la rentrée de septembre… car qui sait… vous aurez peut-être une chance d’avoir une place…

Parce qu’en septembre c’est même pas sûr d’avoir une place ?! Là j’avoue que j’ai conspué la France entière, ce merveilleux pays adepte des économies de bouts de chandelle, cette France qui fait payer le mois de bus dans les 280 euros mais n’arrive néanmoins pas à loger tous ses écoliers dedans car préférant le modèle estafette à celui de bus touristique, cette France qui…

–          Euh la France elle y est pour rien madame… le lycée français est un établissement privé… et encore une fois je vous le redis, j’y fais ce que je peux mais j’y peux pas grand-chose…

Un établissement privé peut-être mais rempli de fonctionnaires et de crétins aux bottes de la restriction budgétaire y compris dans des établissements de riches à près de 1000 euros le mois d’enseignement !!

–          Tout ça est bien intéressant, mais comme dirait ta collègue d’Alf, Cloclo san, c’est guère captivant… t’as pas autre chose à nous raconter ?

Eh bien oui figurez-vous ! Enfin pour ceux qui aiment les histoires de mode de garde…

–          Ah non, parlons plutôt des pruniers en fleur, des feuilles au vent, des plis du kimono ou de la céramique du bas Kyushu ! Toutes ces choses tellement plus fondamentales que la garde de tes mioches !

Une collègue à la Cloclo san.

Qu’importe. Le Zébu, après deux ans et demi de roulades dans la boue, de chansons et de cocottes en papier s’apprête à quitter les lieux de son yoochien en une sorte d’apothéose qui aura lieu le 15 mars.

–          Une roulade collective dans la boue ? Merveilleux… mais dis-moi, Mimi, il sait enfin lire ton fils ? A 6 ans, il devrait déjà être plongé dans Jules Verne!

Non maman, il ne sait pas, et surtout il s’en fiche.

L’apothéose, c’est la sotsuenshiki suivi de la shaonkai puis de la nomikai 1 suivie d’une nomikai 2, elle-même prolongée par une nomikai 3 suivie d’une nomikai 4… bref, jusqu’à ce que les mères soient déposées au koban (poste de police) le plus proche du dernier troquet où elles auront été aperçues en semie-vie.

–          Ehhhh késako ?

La sotsuenshiki, c’est la remise des diplômes, car oui il y a un diplôme de jardin d’enfants, la shaonkai c’est la fête de remerciement des mères pour les professeurs avec chants, petits cadeaux, discours lacrymaux…

–          Et puis quoi encore ?! ils sont payés pour, on va pas EN PLUS les remercier !

C’est ce que je me suis dit mais après je me suis aussi morigénée en me disant que si la France traitait avec plus de gratitude ses profs y aurait peut-être plus de profs dans les écoles et moins dans les cliniques de soins psychiatriques ou les bureaux de l’Education nationale en train de faire des origami avec des trombones.

Quant aux nomikai 1, 2, 3 etc c’est les soirées buvons ensemble où les mères se retrouvent dans la joie et la bonne humeur et la satisfaction du travail bien fait… dont une gaijin inadaptée et mal comprenante (moi) qui néanmoins s’obstine à participer à ces beuveries, et moins une autre, Yumi san, dépresso-dépassée qui ayant séché toutes les étapes de préparation des liesses, n’ira tout e même pas se saouler parmi ses consœurs qui lui en veulent à mort (feutrée). Le tout sera arrosé de larmes et sanglots car partir du yoochien, c’est commencer la vraie vie et donc mourir un peu.

– Mimi, je suis contente de savoir le Zébu bientôt hors de ce lieu de perdition…

Ma mère, encore et toujours.

Les pleurs, eux, ont d’ailleurs déjà démarré. Dernière réunion de classe. Imaginez la scène… Une prof le genre bien rondelette assise sur une petite chaise d’enfants, au sein du cercle formé par les mères elles-mêmes toutes assises sur leur petite chaise d’enfant. Sauf une, la gaijin, debout au fond de la salle car arrivée à la fin de la réunion parce que vous comprenez ça la fait ch… de se farcir une réunion où elle ne capte rien et qu’en plus, elle se la jouant prof de français, elle a justement une élève tous les mercredis matins, alibi en or que personne ne semble croire car une mère qui fait autre chose que des pâtés de boue et de la corde à sauter tout en attendant que sa chair de sa chair condescende à enfin bien vouloir rentrer à la maison, ça n’existe pas.

Bref. J’étais dans mes pensées, que faire à déjeuner à midi, tiens si on voyait Ryoko après le déj, faudrait passer à Tokyu hands racheter des bottes au Zébu… quand tout à coup, Yayoi sensei (la prof), s’est mise à sangloter, essuyant sa grosse face avec un mouchoir de mickey sans doute rescapé de son enfance, ce qui a entraîné une réaction en chaîne à son entour, encore aggravée par le fait que chaque mère, une à une, a dû livrer son précieux témoignage et sa profonde gratitude pour ses 3 ans passés ensemble dans l’univers pas impitoyable de Matsumura.

Enfin je suppose car déjà le japonais j’ai toujours du mal mais le japonais pleuré derrière un mouchoir voire un masque facial ben j’ai encore plus de mal. Certaines hoquetaient tellement qu’elles ne pouvaient même plus parler, d’autres commençant la voix ferme puis s’effondraient en cours de récit, Yayoi sensei n’ayant pour sa part toujours pas réussi à fermer le robinet de ses yeux de plus en plus rouges… J’ai eu la soudaine impression d’avoir atterri dans une séance d’auto-accusation façon Union soviétique, ou, plus  l’Ouest, dans une séance de revival lacrymalement poignante.

–          Arrête Mimi, je sors mon kleenex… elles ont entendu parler des femmes de réconfort ? ça leur ferait peut-être du bien ?

L’autre cas est arrivé en retard (la mère depresso-dépassée) et je me suis dit, ah au moins une alliée aux yeux secs dans la place. Tu parles. Cinq minutes plus tard, quand son tour es arrivé elle s’est mis à sangloter et à bramer littéralement des sumimasen, gomen nasai déchirants (excusez-moi, pardon…) pour le fait qu’elle ne pouvait pas aider à la préparation titanesque de la TRES importante cérémonie de diplômes, sa belle-mère étant décédée il y a 7 mois, toute la charge du travail administratif post-décès repose sur ses frêles épaules (à croire que la belle-doche possédait la moitié du Japon tant son patrimoine est long à partager), elle-même étant dépressive, son mari, misanthrope, son beau-frère bipolaire mais néanmoins dur en affaires etc etc. Elle a conclu avec une dernière larmichette et en remettant son masque.

–          Eh bien Mimi m’est avis que ces femmes devraient d’urgence se retrouver un emploi… ça leur ouvrirait des horizons… plus secs !

Ma foi Tante Babe, tu leur en parleras hein ? Moi je renonce.

Et jeudi, le 13 donc, il y a eu la phase A de la sostuenshiki avec le grand ménage de printemps du yoochien où toutes les mères de la classe du Zébu ont été mandées. Youpi. Déjà, le déjeuner, un bonheur de communication sociale, assise seule avec mes enfants qui ont mis du riz sous leur siège…

–          Mimi san… the rice… under the chair of YOUR children… RICE !!!

Ça c’est sœur Sourire, une quadra du genre hypertendue, mariée à un américain de style british, mère de deux enfants têtes à claque dont une fille Coco chan dans la classe du Zébu dotée d’une bouche à la Emmanuelle Béart (pot de chambre) que je n’ai vu sourire qu’une fois (quand je me suis pincé les doigts dans la porte d’entrée), une sœur Sourire sympa à ses heures, voire semi-rigolote mais parfois très très ch… le genre Japonaise puissance 10, avec ce côté exprimé hélas du Je suis parfaite je fais tout bien et je dis aux autres comment faire, alors écoute moi bien ô toi pauvre gaijin et apprends ce qu’il faut faire…

Ok, ok je ramasse le riz par terre. Plus tard, alors qu’on range les tables du déjeuner avant de s’attaquer à l’affaire du siècle, le ménage du yoochien du sol aux plafonds…

–          RICE ! Rice again on the floor ! Mimi san ! it’s YOURS !

Euh c’est pas le mien on était pas assis là mais un peu plus au nord-est mais bon, hein, je vais pas commencer à ergoter pour 3 grains de riz, je vais donc aller prendre un mouchoir pour nettoyer sauf qu’une mère s’est déjà ruée pour faire de même et que…

–          No ! non ! Mimi san is going to do it ! let her clean !! it’s HER rice !

Mimi san te conseille surtout de péter un coup, ma belle, ça te fera du bien et t’ouvrira peut-être même, qui sait, des perspectives dans la vie.

Plus tard, après un briefing incompréhensible que personne n’a jugé utile de me traduire dans les grandes lignes, ni de me dire dans quelle équipe je suis…

–          You are with the leader ! Rio chan’s mother ! Watch her very carefully and do the same ! Right the same hein !!

Salle du bas donc, celle de la leadeuse, une sympa qui porte des bagues dentaires à 41 ans et demi, et la Zouflette qui s’accroche à moi alors qu’il a été instamment demandé à ce que tous les enfants sortent dehors se rouler dans la boue pendant que leurs mères dans une geste sacrée récureront le sol des lieux… avec une micro serviette de toilette apportée de chez soi, du papier mouchoir et leurs jeans car oui les produits d’entretien ne semblent pas passionner les placards du yoochien. Bah tant pis, la Zouflette n’a qu’à rester avec moi, après tout c’est une des plus petites…

Mais Sœur sourire veille.

–          This is a VERY serious thing… all the children MUST BE OUTSIDE !!! Yuto’s mam will look after them !

Le tout dit avec, sur le visage, de cette gravité tendue et pénétrée qui doit être celle arborée par les autorités malaisiennes en train de rechercher en vain les restes de l’avion disparu depuis dimanche.

Cause toujours ma pépette, je me suis dit, tu es dans l’équipe du haut, moi du bas, quand je veux je fais re-rentrer ma fille… qui finalement a préféré aller jouer dehors avec cette corde où je m’étonne encore qu’aucun enfant n’ait été retrouvé pendu avec, tandis que son frère se roulait déjà dans la boue avec délectation.

Les membres de mon équipe s’étaient de suite égayé avec fébrilité dans toute la salle, qui passant à la serviette de toilette mouillée les murs, qui époussetant avec une sorte de cotillon les ventilos et toute autre élément pendant du plafond au sol, qui enlevant à la pince à épiler les poussières déposées sur le piano, qui… Car autant vous dire que le ménage, une obsession japonaise en certains endroits, est pour moi un mystère vu qu’aucun produit d’entretien n’est véritablement utilisé, comme je l’ai déjà mentionné, nous étions d’ailleurs muni en ce jour et pour cette very serious thing, que d’une micro serviette de toilette (apportée qui plus est de chez nous) que nous passions sous le robinet d’eau froide.

Alors que je récurais dans un acte de vengeance les tatamis à l’eau de javel ou du moins ce qui s’en rapprochait sur cette île du soleil levant, achetée au combini du coin après avoir fait le mur pendant que la leader à quatre pattes sur le sol nettoyait les rainures du parquet avec une allumette, sœur Sourire depuis son étage supérieur, m’est apparue.

–          Mimi san for this inqualifiable act, you will be sent to Fuck-shima for cleaning the bassins radioactifs with your towel !

Elle écumait, sa fille Coco chan opinant du bonnet derrière elle sur la nue où elles m’étaient apparues, mais le ménage étant fini nous nous étions déjà toutes donné la main et en une ronde émouvante nous faisons le point sur le rétro-planning (enfin elles surtout), les tatamis sont donc passés à la trappe.

– Mimi, pourquoi avoir passé tant de diplômes si c’est pour la souillon chez des étrangers hein?

Le lendemain serait consacré à la décoration, à la répétition de notre chant lacrymal, comme aux mots que chaque enfant aurait à répéter, celui du Zébu étant tanabata (la fête des étoiles), que je m’obstinais à prononcer tabatakash, lui pour sa part marmouillant tabacaca.

–          Eh bien ma Mimi, à part ça, tu cherches du boulot ?

–          Tu écris ?

–          Tu as combien d’élèves en français ?

–          Tu en es à combien de kanjis ?

–          Saturday be on time Mimi san ! 9.15 for 10.00 !! This is a very serious time !!!!

La journée était finie, j’avais écrit au moins un quart de page de mon futur roman mais la salle était propre (selon des critères japonais) et je m’étais trouvée une ange gardienne format peau de vache certes, une sœur Sourire qui veillait sur moi qui m’étais souvent sentie si esseulée et sans soutien dans cette école… Que demander d’autre hein ?!

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