A l’est rien de nouveau

Début mars, la perspective d’une nouvelle ère s’ouvrait à moi avec l’entrée du Zébulon dans le système scolaire français et ses horaires non moyenâgeux, un bus le récoltant à 7h45 pour ne me le relâcher qu’à 16h30, la Zouflette quittant pour sa part l’univers impitoyablement cooconé de Matsumura pour entrer dans celui de Fukoda, littéralement, le champs du bonheur, tout un programme, où sa mère pourrait l’y laisser jusqu’à des 18h00 les jours de bon vent sur le clavier, au moins 17h00 si elle est pas totalement dénaturée, et ce, sans même à devoir se justifier en bonne et due forme avec cette vilenie, je travaille. Le bonheur !!!

–          Ah enfin tu vas pouvoir trouver du travail ! Du vrai !

–          Ecrire un gros livre bien épais sur le Japon !

–          Un roman peut-être enfin qui sait rêvons un peu on y croit tous au moins un peu PUBLIABLE!

Sauf que bien sûr vous imaginez bien que tout ceci n’était que fantasme, fumée et foutage de gueule (la mienne).

De bus, point nenni puisque très vite, on nous a appris avec jubilation qu’il était plein, ce qui nous vaut 3 heures de trajet par jour via Shinjuku bondée (c’est la plus grande gare du monde, j’ai vérifié sur Internet, 4 millions de voyageurs y transitent par jour dont A, le Zébu, moi et la Zouflette flottant dans les airs tirée par la main de sa mère en retard et donc courant, le tout à une hauteur idéale pour s’encaisser tous les attaché-cases des 4 millions autres moins 4 dans la fiole).

Bon en fait, soyons juste c’est 45 minutes le matin pour A qui a droit aux rames les plus remplies de la mégalopole, tout le monde le dit, compter 2 heures en cas de suicide cette ligne étant semble-t-il particulièrement appréciée des désespérés pour les tarifs peu élevés exigés par la compagnie auprès de la famille du défunt suicidé « pour dédommagements divers (dit-on), puis 45 minutes de mon côté l’après-midi, le pire étant de devoir être là-haut à l’heure ultra pratique de 15h15, autant dire le créneau idéal pour qui cherche à faire autre chose de sa vie que des trajets en train en compagnie d’un second enfant en vacances qui trépigne de rage quand il lui faut abandonner ses jeux ou son dessin animé pour aller s’entasser dans une rame afin d’aller chercher le grand frère. Le créneau aussi parfaitement tip top pour qui veut chercher du travail, car oui vous n’allez pas me croire mais personne ne se bouscule pour accepter les services d’une quadra qui doit partir juste un peu plus tôt le soir que les autres (14h00  maxi).

–          Ben ma pauvre Mimi, je t’envoie au moins un peu de lecture… une grande interview de Melissa Talagalle, tu sais cette fille qui travaillait en même toi chez Grasdulard… mais si rappelle toi… une fille à peine plus âgée que toi, jolie comme un cœur ce qui ne gâche rien, mais déjà chef mais déjà remarquable mais déjà si brillante que tu l’avais surnommée la Parfaite ? Tu te rappelles pas ? Vraiment ? Eh bien tiens-toi bien, figure-toi qu’elle est considérée… tiens-toi vraiment bien car c’est pas de la tarte… comme un écrivain français majeur de notre siècle !

Nous, je ne vois pas de qui il s’agit. Et puis comment peut-on parler d’écrivain majeur de notre siècle quand on n’en est qu’en 2014 hein ?? Si c’est pas de la foutaise ça. Quand on s’appelle Talagalle on ferait mieux de pas la ramener ou au moins de prendre un pseudo, ah c’est un pseudo…

Bref. Le Zébu m’avait déjà bien plombée avec ses histoires de bus, quand ensuite est venu le tour de la Zouflette.

Avril, ne te découvre pas d’un fil. Avril, paie tout le mois de classe mais n’envoie que ta fille en matinée, soit de 9 à 11h30, le temps d’écrire un mail de candidature à un poste de prof de français qui une fois encore me vaudra une non-réponse, c’est presque un soulagement car autant vous dire je ne verrai pas comment enseigner cette langue dans un créneau de 2h30 auquel il faudrait en plus ôter le temps de trajet.

–          Bonjour, nous sommes le 21 avril, jour de la saint A, sur ce au revoir et à la semaine prochaine !

Le 7 mai, les bento ont enfin commencé ! Tout le monde s’est passé le message avec jubilation, mais alors que je déjeune ce jour avec le Zébu qui bien sûr est en vacances de printemps puisque le système français crèverait plutôt que de s’aligner sur le japonais (ou l’inverse), coup de fil d’Ayaka sensei, la prof de la Zouflette que j’ai remarquée être de plus en plus réservée pour ne pas dire fort rafraîchie  avec moi qui ne cesse d’accumuler les gravissimes bévues (sac à blouse trop petit, crayons non étiquetés un par un au nom de ma fille, noms collés et non cousus à la main…).

D’un ton tendu, Ayaka sensei m’a annoncé que ma fille m’attendait assise seule sur un banc dans sa classe car s’il y avait eu bento certes ce n’était que jusqu’à 13h00, et ce pendant 15 jours, après on passerait à la vitesse supérieure de 13h30, avant d’aborder l’horaire inouï et d’une rare violence pour le petit enfant de 14h00… la garderie elle ne débuterait bien sûr qu’en juin et encore, il faudrait vraiment être une mère dénaturée pour y mettre son enfant si précocement. Adieu déjeuner en japonais avec mes vieilles sympas des Alf, adieu sortie avec mes autres vieilles sympas, adieu écriture trois heures durant, adieu, adieu…

J’ai abandonné mes pâtes à la tomate omelette, ainsi que le Zébu, pour foncer cherche ma fille, croisant des cortèges de mères japonaises le rire aux lèvres, elles avaient eu 4 heures à elles ce matin !!!

–          Sugoi yokatta ne !

–          Bazar wa nani o eranda ?

Super hein, et pour le Bazar t’as choisi quoi ? Ben oui car en plus une fois la garderie entamée se profile le Bazar avec xxxxxx choses à faire qu’être ministre du redressement onycroit, c’est de la rigoladae à côté.

Quand on voit ces ramées de Japonais et Japonaises devenus adultes si constipés et rigidifiés on se demande quand diable a viré leur système parce que petits c’est à la toute petite cuillère qu’on les enfourne dans le monde… vraiment, et si on pouvait ça ne serait pas un bazar qu’on ferait mais dix sur toute l’année !!

En rentrant, pour me défouler j’ai braillé sur mon vélo, la Zoufette chantonnant derrière moi, qu’ils pouvaient se la foutre au cul leur courbe de dénatalité ces Japs ils la méritaient !!! et quand ils seraient tous entourés de vieux croulants d’au moins 90 ans comme seule force de travail ils y repenseraient peut-être à deux fois à la façon dont ils avaient traité leurs femmes, ces potentiels ventres porteurs !!!! Parce que se dire qu’on va s’en sortir en faisant bosser des robots à la place des humains à mon sens ça n’est pas la meilleure façon de procéder bande de connards !!!!!! Et puis aussi je.

–          Maman, c’est pas bien de me faire attendre, il faut pas arriver en retard…

M’a interrompue la Zouflette d’un air réprobateur. La sakura sur le gâteau sec de ma vie mon œuvre.

–          Le Japon de demain se fera avec le travail des femmes ou ne se fera pas !

Etait en train de claironner le Shinzo au même moment en prenant le thé avec François l’homme sans qualités.

–          Prenez exemple sur nous, c’est rengorgé ce dernier, toutes nos femmes travaillent et ont même des responsabilités ! Mon ex est même ministre c’est dire…

–          Mais moi aussi je travaille et j’ai des responsabilités !, a protesté Akie Abe qui était en train de vérifier discrètement le contenu de son sac (la France est un pays de voleurs).

–          Non ma kiki, l’a corrigée son mari, toi tu ne travailles pas, tu es juste assise derrière le comptoir d’un bar de nuit que je t’ai acheté…

–          Et alors, je bosse non ?

–          Si on veut… disons que tu regardes les autres bosser…

–          Et bien ce n’est pas ce que tu fais toi peut-être ? ! Tu ne manques pas d’air, Bébé !

–          Oui mais…

–          Si je puis me permettre, a glissé François l’homme sans qualités, je voulais vous proposer de visiter une crèche… ça vous donnera peut-être des idées pour vos femmes…

–          Ah tiens, Noël n’est donc pas fini par chez vous ? S’est étonné Shinzo.

–          Mon amour, a gloussé la Kiki, une crèche est ce lieu où les femmes qui travaillent abandonnent leurs enfants au moins six heures de suite…

–          Ah c’est pas ce qu’on appelle plutôt un orphelinat? S’est étonné le Shinzo.

J’imagine que le François a levé les yeux au ciel, avec de tels gens, il allait réussir à passer pour une sorte de révolutionnaire MLF sans difficulté, engendrant ainsi auprès des femelles un renouveau d’attractivité… peut-être même qu’une nouvelle actrice de seconde zone en serait toute émoustillée hein qui sait ?!

J’ai imaginé pour ma part faire visiter Fukuda à Shinzo Bébé et sa Kiki, je rigolais d’avance. J’entendais la phrase du Shinzo.

–          Le Japon de demain se fera avec le travail des femmes ou ne se fera pas…

Euh plutôt pas alors. Je t’explique mon Bébé comme dirait l’autre.

En avril, il ne faut espérer travailler que 2h30 et en matinée. En Mai on peut espérer atteindre les 3 heures. En Juin, on aurait pu espérer frôler 6 heures par jour mais il y a le bazar à préparer, soit quelque 120 articles par femme à fabriquer car oui, Shinzo, tes citoyennes ont peut-être encombré les bancs de la fac et parfois dirigé brillamment des réunions de plus de 100 personnes mais là ce qu’on leur demande c’est surtout de savoir utiliser une machine à coudre pour fabriquer quelque 120 sacs à bento, ou bien confectionner à la main des dizaines d’enveloppes traditionnelles au millimètre près, on m’a promis une visite drastique de la contremaître qui vérifie la règle à la main la rigueur des mesures… et si c’est pas bon, c’est direct à la poubelle avec un très réprobateur Dame ! (pas bon !) en bonus (témoignage d’une copine).

En aout c’est les vacances et en septembre la reprise, en douceur. Et puis il y a la tanoshimikai, la bambulakai la undokai, la foutagedemagueulekai, bref une série de festivités croquignolesques qui exigent parfois la présence de mères une semaine voire deux semaines entières sur les lieux pour préparer l’activité. En décembre c’est la fête aux mochis puis les vacances de Noël, en janvier on se prépare à clore l’année et donc faut pas non plus songer à quitter le huitième de temps partiel pour un septième, ce sera pour plus tard (dans dix ans).

Et avec ça, Fukuda insiste pour que les rares mères qui travaillent puissent néanmoins inscrire leur enfant dans son établissement mais là j’avoue que la contradiction me dépasse tellement que je vais aller me servir à boire.

–          Ah mais alors et tes projets professionnels ? T’as au moins pris RV avec la chambre de commerce pour t’aider dans ta quête d’un bon job ?

–          Et l’écriture ? Toujours pas fini ta pièce de théâtre ? Toujours pas de résultats des concours de nouvelles ? Toujours pas de…

Non toujours pas de, et en ouvrant le colis envoyé par la grande Simone, ma môman, j’ai eu la joie infinie de découvrir le dernier livre de Melissa Talagalle, que j’ai aussitôt employé à caler une table de chevet.

Même en terre nippone, il y a des limites à la persécution.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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