Carrières

Ce matin, prise d’une pulsion masochiste, une fois ma Zouflette fourrée dans son uniforme de yoochien, j’ai eu envie de chercher sur internet pour voir ce qu’étaient devenues mes amies de sciences po, Nathalie Mollard et Emma Giap Trinh…

–          Ah mais fallait me demander, moi je sais !

Une amie, chef de projet en nouilles sautées qui regrette que je ne rentabilise pas plus mes années japonaises surtout depuis que leur temps est compté. Une de celles qui pense que je passe mes journées à parader en kimono couleur cerise en sirotant du ocha vert tout en peignant des toris rouges sur la mer avec en arrière fond le Fuji san, comme ces deux mères d’enfants français qui marchaient derrière moi alors que j’allais chercher le Zébu dans son école de riches et qui se demandaient comment rendre la perspective un tori avec celle de la montagne… bullshit.

–          Bon alors elles font quoi ? La vaisselle, l’aspi et le pousser de balançoire ?

Eh bien Maman, Nathalie Mollard travaille pour l’Europe mais pas en Europe, une sorte de diplomatie européenne à l’étranger, tu vois, et Emma Giap Trinh diplomate de métier pour de vrai est femme de l’ambassadeur à Hanoi où elle est chargée de mission culturelle tout en dirigeant l’Institut français d’Hanoi.

–          Ouais elles enculent les mouches quoi…

Un ami skypeur, fabricant de sièges wc, du tangible, du concret quoi.

–          Ah elles ont réussi elles !

Oui maman, mais elles écrivent pas, pas comme ta fille quoi.

–          Ouais…

Pendant ce temps-là la Zouflette avait enlevé son uniforme pour passer sa robe Hello kitty tellement plus jolie et j’ai dû lui courir dans tout l’appartement puis dans le couloir de l’immeuble, croisant des voisins armés de leur costume noir de cérémonie salariale, puis, une fois la petite ré-habillée, coiffée et chapeautée, prête à partir, j’ai découvert que son frère avait pissé sur le sol des toilettes et laissé infuser dedans un slip lavé la veille, enfin, je vous épargnerai mes hurlements quand j’ai retrouvé la bento de la Zouflette, que je croyais rangée dans le sac, renversée sur le sol de la cuisine parce qu’elle avait voulu l’ouvrir pour voir si tu as mis de l’omeulette dedans maman parce que moi je veux manger de l’omeulette tout le temps.

Pendant ce temps là, Emma Giap Trinh entrait en réunion, ravissante dans sa tenue de soie blanche (vue sur internet), l’air d’avoir 30 ans quand moi j’approche les 50 visuellement, et ses subordonnés, pliés sur leurs dossiers, attendait qu’elle leur donne le signal d’envoi de l’ordre du jour.

Au yoochien, une fois déposée ma fille, j’ai dû aller pointer, comme quoi j’étais bien présente pour fabriquer des épées pour le bazar auquel nous échapperons puisque nous serons en France en train de raconter combien c’est merveilleux le Japon et la civilisation passéiste qui vous fait d’une employée de bureau à vocation écrivaine une femme au foyer fabricante d’épées en papier journal roulé.

–          Au moins tu peux pratiquer ton japonais… tes copines parlent-elles seulement le chinois hein ?

Vietnamien, maman, et puis oui, Emma a un père viet alors je suppose qu’elle le parle.

Pendant qu’Emma Giap Trinh, justement, palabrait avec un brillant auteur français à l’institut français de Hanoï dont elle était également directrice je vous le rappelle, tenez au hasard Melissa Talagalle venue jacqueter sur son Réparer les vivants, moi, sous l’œil vigilant d’une mère, je défaisais pour la troisième fois mon rouleau de papier journal destiné à être le manche d’une épée toujours pas assez mince pour entrer dans le goulot de la bouteille que des mères, diplômées kookooko (lycée) + 6, avaient découpé à la chaîne pendant une nuit entière.

Mais j’étais heureusement surprise. Je n’avais que 4 épées à fabriquer, je pourrais ensuite rentrer chez moi écrire et faire du japonais que présentement je ne faisais qu’à peine car tout le monde travaillait tête baissée et puis les mères sinon rigolaient entre elles sans se fatiguer l’intérêt avec la wakaranai hito que j’étais.

Je finissais enfin ma première épée alors que Nathalie Mollard expliquait pour sa part dans un espagnol fluide comment les cartels de drogue tenaient la vie politique mexicaine…

–          Ah tu m’as vue sur internet Mimi ? C’est vieux ça je suis au Vietnam maintenant ! Tu le sais bien ! je dîne tous les vendredi soirs avec notre amie Emma, qui est devenue madame l’ambassadrice chargée de…

Oui je sais merci. J’imagine la conversation sur fond de Ferrero croqués gracieusement avec des rouleaux de printemps roulés à la main par une armée de boys tandis que les nounous faisaient sauter sur leurs genoux les enfants respectifs, 6, 8 et 11 ans, voire 15 et 17 pour le premier lit de monsieur l’ambassadeur.

–          Dis moi Nat… tu as des nouvelles de cette pauvre Mimi ?

Air compassionnel.

–          Ah oui elle en est à sa deuxième épée !

–          Ah tiens elle n’écrit plus ?

–          Mais si ! Plus que jamais ! Enfin quand elle a le temps…

Air entendu.

–          Mais comment cela se fait-il lors que je ne trouve jamais ses livres à la bibliothèque de l’institut français de Hanoi dont je suis pourtant la directrice tout assurant par ailleurs une importante mission de conseil culturel…

–          Je sais Emma, pas la peine de me le répéter… Eh bien ne cherche plus, c’est juste parce qu’elle n’est pas publiée !

–          Ah quel dommage… elle était pourtant sympa cette fille, même si… enfin tu vois…

Air ennuyé.

–          … elle a toujours manqué d’ambition…

–          … et de talent…

Air convenu.

–          … et aussi de savoir vivre, j’ai encore en oreille les jurons qu’elle avait proféré à la garden party de l’ambassade de Lisbonne où j’étais attachée culturelle et où j’avais été forcée contrainte mon dieu quel souvenir affreux de l’emmener… difficile de la laisser en plein été dans la voiture même avec un filet d’air… j’ai bien cru perdre mon poste !

Air hors d’elle.

Bordel à queue, j’avais juste dit zut et connard à un vieux radis portuguèche qui m’avait prise pour une poignée de porte !! En tout cas moi ce que je dis c’est qu’en toute objectivité entre le papa ambassadeur et la maman chargée de, directrice de, le gamin il doit pas voir souvent ses parents quand les miens ils me voient TOUT LE TEMPS !!!!!

–          Mimi franchement tu te verrais dans cette vie-là ? avec des boys à plat ventre, des tapis rouges et des baguettes en or, des vieilles rombières en soie sauvage et des vieux à la bouche en trou de pénis ?

–          Et servir la soupe certes de luxe toute la sainte journée ?

–          Et brasser de l’air en étant persuadée de sauver la place de la France dans le monde ?!!!

Non je ne me verrais pas franchement mais… en revanche je me verrais fort bien reçue par madame l’ambassadrice du Vietnam dans son Institut d’Hanoi pour palabrer sur La femme blanche est fatiguée, ou ma pièce de théâtre, La reproduction des mammifères, ou mon dernier recueil de nouvelles Nous maîtrisons la situation. Sans compter que… vlang, ma coach en matière d’épée vient de me donner un coup sur la tête, j’ai encore boudiné le scotch comme un cochon et mon épée a l’air d’avoir été récupérée dans la cuve de la piscine number 4 de Fuck-shima.

–          Mademoiselle Mimi Chotek ? Nous avons une bonne nouvelle pour vous ! Notre revue, 56 lecteurs, installée en basse-creuse, et dénommée L’encrier renversé tout partout, a décidé à l’unanimité de publier votre texte Le guidon entre les dents ! Alors heureuse ?

Mais oui, parfaitement heureuse ! Car comme dit le proverbe, les petits ruisseaux font les grandes rivières et je ne devrais donc pas tarder à être aperçue descendant majestueusement les flots du Mékong sur ma jonque, attendue sur le ponton par madame l’ambassadrice en personne…

En attendant, j’ai trois épées à finir alors j’y retourne.

Tam biêt !

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