Monsieur le vénérable chef de rayon, je vous fais une lettre que vous lirez peut-être, si vous avez le temps…

Il y a au moins dix générations de sakuras qui ont fleuri depuis la dernière fois où, moi, Mimi, plumitive exilée (de confort) au Japon a gratté sur la toile.

Le plus drôle c’est que vous êtes une bonne partie à découvrir mon dernier billet comme si je l’avais tout frais pondu de la veille alors que cela remonte à bientôt une année que je n’ai pas approché ce blog. Concernant votre fidélité, c’est à la fois rassérénant et inquiétant…

  • Mimi, qu’as-tu fait durant tout ce temps à ?
  • Tu travailles enfin ?
  • Tu dois être bilingue maintenant !

Eh bien mes amis, j’ai surtout approfondi mes frustrations de roseau pensant. Certes mes deux canailles sont désormais toutes deux scolarisées mais deux systèmes scolaires en même temps je vous conseille. Les employeurs si jamais je tentais ma chance, adoreraient.

  • Alors du 24 février au 8 mars, c’est les vacances de mon fils… du 19 mars au 10 avril celles de ma fille, qui en général se casse un bras vers la fin ce qui me permet de faire la jonction avec les vacances de printemps de mon fils soit de la fin avril à la mi-mai…

Même si je sais que c’est rien que des excuses, que les femmes, les vraies, les battantes, les non assistées, les qui en veulent les etc etc auraient déjà au moins deux années d’expérience professionnelle au Japon, la vérité est là : je patine.

  • Et m’englue dans ce statut méprisable qu’est celui de la femme au foyer qui rime avec glander…

Merci maman.

Question tentative de sortir de ce puits aux murs si lisses qu’est ce statut dans lequel je suis tombée, c’est vite vu. Anglais moyen, japonais merdique, compétences concrètes à l’œil nu de même, j’ai juste glissé un orteil furtif dans le grand bain de la Vraie Vie (marché de l’emploi) en donnant depuis un an des cours de français à domicile (le mien).

  • A qui ? A des hommes d’affaires ?
  • A des cadres de l’industrie de luxe ?
  • C’est bien ça ! ça va t’ouvrir des portes ma fille !

Euh non, plutôt des femmes dans mon style, des femmes au foyer qui auraient envie de s’ouvrir l’esprit entre deux bentos et l’entretien de l’autel maison dédié à la défunte belle-mère.

Même s’il est vrai que j’ai croisé aussi la route d’une office lady dépressive et d’une traductrice free-lance, la cinquantaine, un style relax chic façon Campers mâtiné d’Agnès B., qui chose curieuse, aimait surtout la France pour son esprit gréviste et râleur et non pour ses fromages et ses parfums de luxe. Elle s’indignait ainsi de ce Macron qui voulait faire ouvrir les commerces le dimanche.

  • Mimi, Je ne suis pas sûre que tout ceci te mène bien loin…
  • Je suppose qu’au moins, tu as fait énormément de progrès en japonais…
  • Toi qui baignes dedans…

Comme le clochard suisse dans l’argent (sale) sous prétexte qu’il est avachi le long du mur du Crédit Suisse, c’est vraiment n’importe quoi je vous jure cette histoire d’immersion dans une langue sous prétexte qu’on côtoie des gens qui la parlent (mais entre eux et pas avec vous).

  • T’énerve pas mimi, on a juste dit ça comme ça !
  • Ton ex co-turne devenue femme d’ambassadeur au Vietnam et directrice de tout un tas de choses, paraît qu’elle est devenue fluent en vietnamien en à peine six mois…

En ben moi, non, le vietnamien ça m’a jamais bottée. En revanche, j’ai écrit. Beaucoup. Une pièce de théâtre, un recueil de nouvelles, un roman pour enfants et…

  • Ah et tu publies chez qui maintenant ?

Ne mettez pas la charrue sur le bœuf, ça, ça viendra après. Les éditeurs ont de la peau de saucisson sur les yeux, je le tiens d’un contact sûr.

En tout cas, aujourd’hui, en ce jour de soleil et de liberté, conditionnelle puisqu’il faut bien que je trouve un travail, un vrai, les fonds étant salement en baisse, j’ai décidé d’imaginer que j’étais un Japonais et que je devais rédiger une lettre de motivation à un chef de rayon d’un grand magasin .

Ça vous donnera ainsi un aperçu du quidam, in situ puisqu’il paraît que je baigne dedans, et vous permettra de briller au repas de midi à la cantine auprès de collègues pour qui le plus fol exotisme s’arrête à la porte de Saint-Ouen.

Monsieur le vénérable et majestueux chef du rayon bas et jarretelles des établissements La cuisse se lève haut et c’est bon pour les bas*,

Je me permets de vous prier à genoux de bien vouloir excuser mon inqualifiable impolitesse qui consiste à vous déranger avec cette chose de si piètre importance, ma candidature pour le poste d’assistant réceptionniste en factures à payer.

Je me permettrais même d’avancer encore d’un cran dans l’impolitesse en vous présentant de façon assez outrecuidante les quelques qualités que mes employeurs précédents ont cru déceler chez moi.

Veuillez savoir si cela vous agrée que je suis toujours à l’heure, je suis même le plus souvent en avance, parfois même de 20 minutes, ce qui peut parfois stresser mon interlocuteur, voire l’indisposer s’il est latin ascendance pas organisé du tout. En revanche, pour rentrer chez moi à 1h30 de train du centre de Tokyo, je ne suis jamais à l’heure. Mon dernier employeur a même dû un jour simuler un tremblement de terre pour m’obliger à quitter les lieux…

Par ailleurs, concernant le travail proprement dit, je vous prie de bien vouloir noter que je ne prends jamais d’initiative personnelle, cela est très réconfortant pour un supérieur hiérarchique sauf s’il est paresseux (c’est rare) ou incompétent (ça arrive). Je ne fais qu’exécuter le plus fidèlement possible ce qui m’a été demandé, même s’il s’agit d’un ordre frôlant l’absurdité dantesque voire la psychopathologie absolue.

Mimi : Je me permettrais un aparté… Monsieur Masao Yoshida, directeur de Fukushima dai ichi de juin 2010 à décembre 2011, est des rares exemples à être positivement brandi au Japon d’individu ayant désobéi en prenant une initiative personnelle, décision qui a sans doute sauvé le pays en mars 2011, et c’est en cela qu’il a été salué post mortem en héros (il est mort en 2012 d’un cancer en aucun cas lié à la centrale cela va sans dire…) mais sur le coup, je ne suis pas sûre que le PDG de Tepco ait apprécié son initiative. De fait, si elle a sauvé au moins une partie du pays, elle a flanqué en l’air une centrale valant quelques dizaines de millions de yen qu’il espérait bien, ce PDG de mes fesses, remettre un jour en service, vu que c’est bien connu, l’énergie nucléaire ça fabrique pas que des lumières… cela étant dit, poursuivons ce courrier.

Sachez vénérable chef de rayon des bas et jarretelles, que j’ai été élevé dans le respect du sacrosaint dicton Tout clou qui dépasse doit être frappé. Cependant, je dois dire que je suis quelque peu perturbé car on a récemment infléchi ce mantra par un, mais s’il se dresse droit et fort, il peut réchapper du coup de marteau et s’en sortir gagnant.

J’avoue que je me sens un peu perdu, le mieux encore est de ne pas être un clou, ou alors couché. Vous serez assez bienveillant de m’indiquer quelle sorte de clou vous désirez dans vos services.

Clou ou pas, je réponds toujours le mieux possible à la question posée des clients ou de mes responsables hiérarchiques mais j’avoue éprouver quelque difficulté à balayer le champ alentour, ce qui laisse le plus souvent l’interlocuteur sur sa faim.

Exemple : Marie Chotek emménageant avec les siens dans sa nouvelle demeure.

 – Toc toc… excusez-moi… je suis votre nouvelle voisine… Je ne suis pas sûre de mon adresse, on a inscrit 9 sur mon contrat mais je me demande si c’est bien ça… car la vôtre me semble bien être le 9 ? c’est ça ?

– Soo desu… oui c’est ça…

– Et à côté… là… tanaka san… (le connard qui ne me dit jamais bonjour)… c’est le 11 on dirait non?

– Soo desu né… oui c’est ça en effet…

– Ah…

A l’instar de ce voisin, sachez grand chef, que je me garderai bien de préciser, par pudeur, par respect pour l’intelligence de mon interlocuteur, et surtout parce que la question ne m’a pas été spécifiquement posée, qu’au Japon on peut être deux familles voire trois même quatre sur le même numéro, le terrain initial ayant été divisé en plusieurs lots. De fait, seul le nom nous distingue, et si nous portons le même nom, rien de fâcheux, cela n’est en aucun cas imputable à une quelconque faute de notre part, croyez en mon plus profond regret et mon non moins profond respect pour ce qui est désormais du ressort de cet honorable employé des postes japonaises qu’est le facteur.

Par ailleurs, question qualité du travail, il peut vous être intéressant de savoir que je peux cent fois remettre mon ouvrage sur le métier même s’il est achevé depuis la troisième. Certains appellent ça du perfectionnisme d’autres de la maniaquerie, voire de la névrose collective puisque tous nous procédons ainsi, cela au moins le mérite d’occuper les gens à plein temps. J’ai ainsi dans mon précédent emploi plié et replié mille fois en une seule journée la même pile de pull overs chez une marque connue dont je tairais humblement le nom sous le prétexte que les regards des clients l’avaient potentiellement dérangée.

Enfin, concernant l’emploi que vous avez l’extrême générosité de proposer à qui est intéressé, et qui consiste à réceptionner la facture des articles que désirent acheter le vénérable client pour l’en tamponner tandis qu’une autre personne encaissera l’argent de l’honorable acheteur et qu’une autre emballera le dit achat dans un sac voire plusieurs sacs, tandis qu’une quatrième murmurera dévotement les formules de gratitude consacrées, j’aime à penser, sans humilité j’en conviens, et sachez combien j’en ai honte, que ce genre d’occupation serait en tout point adapté à mes quelques rares compétences ci-dessus citées.

Je m’incline maintenant le front au sol en osant vous présenter cette inconvenante requête et je ne m’offenserai point si en sortant de votre bureau, vous me piétinez par inadvertance avant que je n’ai eu le temps de quitter ces lieux, auxquels le souci mesquin, j’en conviens, d’économiser un timbre pour cette missive m’a de façon éhontée conduit…

         *Au Japon, on aime à recourir au français pour les noms de boutiques, restaurants et autres enseignes, accompagné parfois d’un petit texte qui en général ne veut absolument rien dire mais tout le monde s’en cogne, car qui parle français au Japon ?

 

  • Ben Mimi, et avec une lettre de ce style, on a une réponse au moins ?

Non pas forcément. Au Japon c’est comme en France, on ne demande pas aux employeurs d’être polis. En revanche, et c’est intéressant de le préciser, dans ce pays aux aspects parfois ultra-capitalistes, on ne vire jamais les gens. Les placards des entreprises japonaises sont ainsi pleins de salariés dont on ne sait que faire et qu’on a mis là où ils risquaient le moins de porter préjudice à la société, qui est comme une mère pour ses employés… et quelle une mère mettrait-elle à la porte son enfant sous prétexte qu’il travaille mal hein ?

Le tout est donc de rentrer dans une boîte et après, ma foi, si on fait ses douze heures par jour même dans son placard, Pôle emploi peut aller se rhabiller…

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